La chronique de JPB : Surfeurs ou grimpeurs ?

En réponse à l’article paru sur l’excellent site breton Krimpadenn sur les points communs entre grimpeurs et surfeurs, voici une bien jolie chronique du québécois Jean-Pierre Banville.

SURFEURS OU GRIMPEURS ?

Photo : coll. Krimpadenn

Il semble bien que les surfeurs vont continuer à draguer toutes les filles dans les bars et sur les terrasses !

Car l’escalade ne sera pas un sport olympique : la décision est tombée.

Nous avons perdu face au baseball et la lutte . Normal…

Nous avons perdu face au squash . Qui l’aurait cru ?

De toute façon , il restait le karaté et le wake-board qui risquaient de nous mettre au tapis sinon de nous faire boire la tasse …

Et maintenant, que faire?

Tout d’abord, il faut tenter de reconquérir le haut du pavé vestimentaire .

Oui, oui : tous les jeunes veulent avoir le look cool des surfeurs et dépensent une bonne partie de leurs allocations pour se procurer des vêtements surfistiques .

Qui se souvient du temps où nous portions avec grâce des pantalons ‘’painters » blancs et un gilet de rugby déchiré? Qui se souvient du temps où , dans les capitales américaines de la mode, il était chic de porter des chaussons Merrell bicolores à double lacets ?

C’est là qu’il faut frapper!

Gagnons le cœur des foules un bikini à la fois. Affichons-nous par t-shirt interposé . Grifffons ! Griffons !

Enterrons Quicksilver, Billabong, Roxy, Volcom… sous une avalanche de griffes escalade déjantées.

Japhet Cool, par exemple … Dollard Falot nous a montré la voie !

Ce qui existe actuellement en fait de marque escalade/montagne est pépère à souhait …

Pas étonnant que les grimpeurs n’aient pas la cote : ce sont des reliquats ‘’ vintage 1960 ‘’ de la Californie.

On entre dans un restaurant et on nous offre une bavette en nous aidant à nous asseoir…

Vite : une Fontaine de Jouvence verticale!

Mais il y a plus!

Pour se faire désirer, il faut se faire reconnaître et annoncer ses couleurs.

Par les fringues, oui , mais aussi par les accessoires…

Déjà, en Floride, quand un surfeur entre dans le café où je déjeune et qu’il me voit , il m’adresse un shaka , ce signe de reconnaissance provenant des îles du Pacifique.

Et comment me reconnait-il?

Outre l’air totalement perdu, le regard vide, que j’affiche à longueur d’année et mon bronzage touriste qui me fait ressembler à un cousin du homard, je porte toujours le tout dernier modèle de sandales de plage branchées. Un accessoire essentiel! Et c’est là aussi, dans le domaine des accessoires, que nous devons frapper!

J’ai les sandales au pied; mon auto stationnée à la porte du café offre à la vue quelques planches colorées et des stickers surf, je feuillette un hebdo de surf et la tablette à mes côtés affiche à qui veut le voir les prévisions de vagues pour les prochains jours. Mon sac à dos annonce une marque exotique de combinaisons disponibles uniquement sur commandes spéciales.

Avec ça, on ne peut me manquer!

Résultat?

J’ai eu deux merveilleuses matinées , dans ce café , à discuter avec une effeuilleuse locale qui faisait annuellement le double de mon salaire et qui trouvait le temps de tonifier son corps , quotidiennement , en surfant près de la jetée. Et possédant une culture surprenante en prime… et de fermes convictions quant au besoin de rationalité du monde. Croyez-moi : il n’y avait pas que ses convictions qui étaient fermes… si je n’avais pas eu l’air du grand-père du cousin du homard cité plus haut, elle m’aurait sans doute invité à dépenser de l’argent pour la voir s’émoustiller sur un poteau vertical.

Donc il nous faut créer des accessoires qui nous distinguent de la masse, des accessoires servant à la reconnaissance de l’espèce grimpante que, plus tard, tout le monde voudra nous emprunter pour faire partie de notre gang!

Depuis le porte-clés ouvre-bouteilles ( aux armes de Krimpadenn? ) jusqu’à la création d’un couvre-chef spécifique ( un chapeau de castor en fourrure artificielle? ) , il faut renouveler nos signes de reconnaissance. Créer une poignée de main secrète! Lancer des sites web bidons affichant l’état des falaises en tout temps!! Vous allez me dire que nous avons déjà le site web du magazine ‘’Grimper » qui remplit cet office mais est-ce suffisant? Imaginez : il est quasi impossible de trouver un sticker humoristique sur l’escalade… comment voulez-vous vous afficher???

Mais, encore plus, nous n’avons pas de vie culturelle. Pas de peintures et pas de sculptures, pas de livres ou si peu et, dans la majorité, les héros y meurent gelés sous une avalanche ou, au mieux, perdent des doigts et affrontent la gangrène. Rien pour attirer les foules. Rien pour attirer les filles .

Les surfeurs ont les requins, les barracudas, les raies, les alligators. Sans compter les vagues monstrueuses que tous peuvent voir du bord de la plage.

Il n’y a pas de tension dans le récit quand on évite une avalanche ou qu’on enfile une deuxième paire de gants. Par contre, quand un requin marteau cogne sous votre planche alors qu’une vague de six mètres se forme derrière vous, là vous gagnez rapidement l’attention de vos auditeurs! Et qui ira vérifier la longueur du requin? Quand je raconte que je me suis cogné le genou sur le bord d’une vire, tout le monde se lève pour aller aux toilettes. Quand je parle des dauphins qui tournaient autour de nous à la jetée de Cocoa et qui semblaient rire de nos efforts pour prendre une vague, toutes les filles sont suspendues à mes lèvres…

Ai-je besoin d’en dire plus???

Il faut rapidement réviser notre message et la façon de le transmettre. La couleur terre n’a jamais attiré personne sinon les vaches et les chauves-souris. Il faut tendre vers les tons vifs !

Donc il faut s’afficher, se démarquer, annoncer un message stimulant, un message qui n’est pas fait de lutte constante et de doigts écrasés. Un message qui n’est pas teinté de sueur…

Sans doute qu’il nous faudrait une histoire avec des héros qui ne soient pas morts de froid sur une vire ou bien tombés dans une crevasse. Des héros qui ne soient pas des grognons compulsifs prêts à décoter le bloc poussiéreux de l’adversaire de ‘’ 8b , départ couché avec un genou bloqué sur un caillou qui , par un hasard extraordinaire, est situé au bon endroit et les trois doigts de la main gauche en opposition sur une prise qui se trouve au niveau du nez » à ‘’ 7c+, départ avec les deux genoux sur le bloc erratique qui s’est déplacé à cause de la crue du Danube et la main droite en opposition sur une réglette qui est apparue lorsque le matelas a touché le bloc poussiéreux en question ‘’ .

Personne n’aime les chialeux! Pourquoi pensez-vous que je suis encore célibataire à mon âge? Kelly Slater ne se plaint jamais et Laird Hamilton non plus … bien qu’à la carrure de Laird Hamilton, s’il devait se fâcher… On n’arrive même pas à s’entendre entre nous sur un niveau de difficulté alors comment voulez-vous que les autres comprennent? Faut garder ça simple et conserver le sourire…

Oui, on a besoin de héros plaisants et possédant une couleur locale, sinon universelle. Et des histoires fabuleuses qu’on pourra raconter dans les bars, devant de jeunes effarouchées qui ne demandent qu’à croire.

L’avantage des surfeurs, c’est qu’ils ont en main, en permanence, un objet phallique de première grandeur!

Non, non, rangez tout de suite ce que vous venez de sortir de vos pantalons : vous ne faites pas le poids!

Dans mon sous-sol, j’ai trois 9’8 » et une 10′ , toutes colorées dans la masse, et je vous en passe un papier : quand je me promène sur une plage avec une de ces planches sous le bras, je proclame à tous ma masculinitude et mon pouvoir de séduction. Tellement que j’ai commencé à me promener avec une planche pour aller faire l’épicerie – difficile dans les allées – alors que je suis à cinq heures du plus proche océan. Mais je vous jure : toutes les filles me regardent. Tous les gars me jalousent. Tous les médecins m’offrent leurs cartes de visite et l’horaire des rendez-vous.

Je deviens un Dieu… encore plus si j’ai des sandales, le bronzage et tous mes doigts et orteils.

Comment créer un tel objet, nous, les grimpeurs?

J’ai la solution!

La corde… n’avons-nous pas une corde dans nos sacs? C’est par cette corde que nous rendrons notre activité attachante!!

Les pompiers ont leurs boyaux : nous aurons notre corde et la plus longue, le mieux!

Imaginez la discussion au restaurant :

* Tu as acheté la nouvelle 100 mètres fluo de Zéal ?

* Bien voyons!! Ca fait ringard… j’ai la 150 mètres 9.1 double sec de Zéro Absolu! , celle avec l’affichage à DEL pour la retrouver dans les consignes au sortir des terrasses.

Oui, plus long, ce sera plus bon! Et peut-être même meilleur!! Nous pourrons nous promener partout avec cette corde lovée sur nous ce qui fera paraître nos épaules plus larges et notre torse puissant. Affirmer que nous sommes des gens de sacs et de cordes… enfin dans le bon sens du terme. C’est à qui aura la corde la plus longue, le diamètre le plus fort et en prime cet effort de groupe permettra d’éviter les relais intermédiaires en falaise. Les chasseurs ont leurs peaux d’ours, nous aurons notre corde! Que du bonheur.

Vous voyez, chez Krimpadenn-miques , nous avons du chemin à faire…

Et quand nous serons rendus là, et bien on va s’apercevoir qu’on n’a pas besoin du CIO ou de J.O. pour être populaires et reconnus dans la foule anonyme.

Car les surfeurs ont un plaisir fou et draguent comme des bêtes sans aspirations olympiques. On ne peut en dire autant des curlingneurs dont les seules aspirations sont de passer le balai et de ramasser les pierres laissées à trainer par l’autre équipe ou des marathoniens qui doivent se coucher tôt pour s’entrainer le matin avant que les chiens ne sortent des maisons et ne leur courent après.

A qui voulons-nous ressembler? Surfeurs ou curlingneurs??? Qui possède le plus de capital de sympathie? Qui est réputé pour avoir une vie époustouflante sur l’oreiller?

Et ce, sans J.O. ni substances dopantes.

Vous, Bretons, êtes en première ligne – comme le sont mes amis Normands – car vous partagez un territoire fait de mer et de montagne. Le Réveil ne viendra pas de ces pauvres Alpes qui ne connaissent que l’odeur du chausson humide et le vert de la moisissure au bout des ongles d’orteils.

Non! C’est de vos contrées que la Nouvelle Vague de la Grimpe va surgir tel un tsunami qui emportera l’Ancien Régime nourri de barres tendres périmées et de chocolat virant au blanc.

Allez et faites que dans mes vieux jours, un pied dans la tombe, je vois arriver à mon chevet une infirmière portant un petit bustier coquin et un chapeau de castor qui me dira :

* Vous êtes un grimpeur, vous! Une légende vivante à ce qu’on dit… ça se voit à vos gros doigts…

* Mademoiselle, vous êtes bien bonne! Vous voulez voir la longueur de ma corde?

Tout ça, sans J.O.

A PLUS , AMIS BRETONS …

Je vous recommande mon dernier livre : ‘’ Des Rails et Dérives » , qui se passe à St Michel Chef Chef . Un morceau de Bretagne séparé de la mère patrie par d’affreux politiques .

Du surf . De la grimpe.

Des épisodes coquins…

Bye

Jean Pierre

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