On a lu « Petite anthologie de l’alpinisme » de Jean Schoenlaub

Il est impossible de ne pas avoir vécu cette sensation : on vous a traîné dans une exposition qui ne vous inspire pas, vous êtes allés voir ce film à reculons ou vous vous êtes forcés à lire ce livre.

Vous le savez, ça ne va pas vous plaire, surtout parce que cela sent le réchauffé. Je dois bien avouer que lorsque je me suis retrouvé avec, entre les mains, un livre sur les alpinistes écrit par un guide de haute montagne, il m’a fallu un peu d’abnégation pour dépasser la première de couverture.

Allons bon, me disais-je, encore un auteur montagnard qui a trouvé un prétexte pour nous raconter encore une fois à quel point Terray et Lachenal formaient la cordée du siècle, comment Bonatti a vaincu la face ouest des Drus ou qu’Edlinger a rendu l’escalade populaire. En fait, ce livre je l’ai déjà lu, non ? Peut-être même des dizaines de fois puisqu’il est une compilation de tous les autres.

Cette anthologie de l’alpinisme est loin d’être une ode à nos valeureux héros

Je me trompais, et largement. Cette anthologie de l’alpinisme est loin d’être une ode à nos valeureux héros, découvreurs de montagnes et d’itinéraires improbables. Non, cette compilation d’extraits d’écrits célèbres laisse de côté les pages les plus connues pour se focaliser sur l’humanité des plus grands alpinistes.

Jean Schoenlaub a choisi scrupuleusement les pages les plus délaissées des récits trop connus pour démystifier nos figures sacrées. Il nous fait comprendre, à travers les mots des alpinistes mythiques, à quel point ils sont faillibles (Whymper se blesse par imprudence, Knubel ne sais pas s’orienter, Comici meurt en faisant un rappel, Salathé devient végétarien car des anges le lui demandent, Lafaille se sent seul et désespéré après la chute de Beghin, le compagnon de Mauduit aurait tenté de l’assassiner … lors d’un acte manqué).

Son « anthologie » nous rappelle que, du débutant complet au grimpeur le plus accompli, pratiquer l’alpinisme met à l’épreuve les mêmes qualités

Ces alpinistes, notre imaginaire les a façonnés comme des créatures, certes mortelles, mais certainement pas humaines. Schoenlaub nous remet les pieds sur terre. Son « anthologie » nous rappelle que, du débutant complet au grimpeur le plus accompli, pratiquer l’alpinisme met à l’épreuve les mêmes qualités : le courage, le sang-froid, la volonté, la capacité à s’adapter (« Ce qui plaît […] au grimpeur, c’est […] faire appel à toutes les forces physiques, à toutes ses facultés intellectuelles et morales » nous dit Whymper).

Invoquer les plus grands pour briser les tabous

La joie éprouvée après une ascension est également une constante de l’alpinisme : Pétrarque semble aussi heureux d’avoir gravi le Ventoux qu’Alex Honnold d’être sorti vivant de son solo en big wall. Mais systématiquement, l’accomplissement d’un projet n’est vécu que comme une étape vers un projet plus ambitieux. Rébuffat, jamais rassasié, dira : « Mais des rêves, il en faut toujours. Je les préfère aux souvenirs »

L’auteur n’hésite pas à invoquer les plus grands pour briser les tabous. L’alpiniste aime à dire qu’il parcourt la montagne pour la beauté des paysages et pour accomplir un voyage intérieur. Preuss brise le mythe de l’alpiniste romantique qui, en fin de compte, n’existe peu ou pas : « Celui qui viendra me raconter qu’en surmontant les obstacles de l’escalade, il ne cesse de penser constamment et toujours à l’œuvre d’art que la Nature a devant lui, je le tiendrai pour un poète plus soucieux de fantaisie que de vérité ».

Mettre tous les alpinistes au même niveau que les plus célèbres

La force de cette « anthologie » est de mettre tous les alpinistes au même niveau que les plus célèbres. Car après tout, la préoccupation de Livanos est bien la même que chaque pratiquant : « Mais de toute manière,qu’il s’agisse d’alpinisme conjugal ou solitaire, de course en 2 ou en 6, il est une règle impérative qui ne l’est pas moins pour les aviateurs, les trapézistes et les bibelots précieux : ne pas tomber ».

Principe qu’il a plus réussi à mettre en pratique que le défunt Ueli Steck qui écrivait : « Ne pas […] répéter machinalement que le plus important est de rentrer en bonne santé chez soi, mais l’intégrer réellement ».

Nous avons aimé

  • Le choix insolites des citations et des récits célèbres qui donne l’impression de visiter les coulisses des exploits
  • Le format : quelques pages par alpiniste. Cela permet de fractionner avantageusement la lecture.

Nous avons moins aimé

  • Le livre se concentre sur un alpiniste particulier à chaque chapitre. Il aurait été judicieux de consacrer quelques paragraphes à des histoires de cordées.

Infos pratiques

  • Titre : Petite anthologie de l’alpinisme
  • Auteur : Jean Schoenlaub
  • Type : compilation de récits
  • Editions : Guérin
  • Prix de vente : 15€
  • En vente chez Arthaud ou directement chez Guérin

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