Un nouveau Chapitre polémique pour le Cerro Torre

 

La route dite du “Compresseur” a été gravie sans les points de Maestri
par le canadien Jason Kruk (24 ans) et l’américain Hayden Kennedy
21ans.

 

La très controversée voie du Compresseur ouverte par Césare Maestri
vient dêtre gravie « by fair means » par deux jeunes alpinistes. Un chapitre de
plus dans l’histoire très polémique de cette montagne emblématique.
Après
êtres parvenus au sommet sans toucher les points posés par Maestri en 1970,
Jason Kruk et Hayden Kennedy sont descendus par la voie en retirant tous les
points. La police les attendaient à El Chalten et les 102 points leurs ont été
confisqués. Voici un résumé historique pour comprendre la polémique ainsi qu’une
interview des deux protagonistes ainsi que de Rolando Garibotti et Colin
Haley.

Au sommet de la Saint Exupery, avec le Cerro Torre en arrière
plan

1959.
Le mensonge de la voie Maestri – Egger.

En 1959, l’expédition de l’italien Césare Maestri et de l’autrichien
Toni Egger, effectue une tentative pour parvenir au sommet jusqu’alors vierge du
Cerro Torre. Selon Maestri, lors de la descente, après être parvenus au sommet,
Egger fût emporté par une avalanche et disparu dans le glacier avec l’appareil
photo et les notes prises lors de l’ascension. Maestri donna cependant des
informations sur l’ascension et l’itinéraire, mais le manque de preuves entraîna
la suspicion de la part des alpinistes italiens et du reste du monde.


1968. Première tentative. Cordée anglo-argentine par la face SE du Cerro
Torre.

Par la célèbre arête SE du Cerro Torre, alors vierge de tout point, la
cordée anglo-argentine constituée de Martin Boysen, Mick Burke, Pete Crew,
Dougal Haston et de l’argentin José Luis Fonrouge, tente de parvenir au sommet
par cette ligne naturelle. Il parviendront a 450m au dessus du Col de la
Patience qu’ils baptisèrent.

1970.
Césare Maestri ouvre la voie du Compresseur, la profanation de la
montagne

Maestri critiqué, amer et blessé dans son orgueil monte une nouvelle
expédition en 1970 afin de démontrer sa capacité à retourner au sommet du Cerro
Torre. Son intention était de faire une hivernale. Pour cela, il fît Monter un
compresseur pour mettre des pitons à expansion dans la roche compacte et non pas
dans les fissures comme cela se fait normalement.

Pour beaucoup, ce fût une “profanation de la montagne” et le sujet reste
controversé dans le petit monde de l’alpinisme. Il s’agissait effectivement de
la première ascension avec une perceuse et un compresseur de 180Kg, ce qui
permit de planter 360 pitons a expansion dans la roche. Qui plus est la voie ne
suit pas une ligne naturelle.

L’équipe de Maestri ne parvint pasa u sommet, s’arrêtant 60m en dessous,
juste avant la fin du terrain vertical. Maestri estimait peu important le fait
de gravir ou non le champignon de glace final commentant : » Ce n’est qu’un bout de glace, cela ne fait
pas vraiment partie de la montagne, ça tombera un jour ou l’autre.
».
Il
reste un doute sur le fait que Maestri parvint ou non en haut des rochers
verticaux comme il le prétend. Jim Bridwell après la première ascension
intégrale de la voie fît ce commentaire :‘En regardant vers le haut, j’ai vu
sept points brisés puis 20m de granite lisse entre le dernier point et la neige
du sommet.”

L’expédition de Césare Maestri de 1970 avec le tristement célèbre
compresseur.

Comesaña – Founrouge depuis le sommet du Fitz Roy.

Depuis les premières tentatives d’ascension du Cerro Torre, les
polémiques sur les différentes manières de parvenir au sommet ont fait rage
entre les alpinistes du monde entier. Carlos Comesaña, premier argentinavec
José Luis Fonrouge à gravir le Fitz Roy
en 1965, expliquait vendredi 20 janvier dernier lors d’un fórum de grimpeurs
qu’a la fin des années 70 ils avaient décidé de “… ne jamais utiliser de pitons à expansion
(perforation de la roche). Faire une tentative sur cette montagne contaminée par
Maestri en 59 n’a pas de sens étant donné qu’il reste de nombreux sommets
vierges a réaliser
»

Carlos Comesaña conclut ainsi : “…en mon nom et en celui de ceux qui
se sont résignés à ne pas faire la première ascension de cette montagne
fantastique, nous réclamons le droit d’effacer de ses parois toutes les traces,
compresseur compris, de la profanation réalisée Maestri dans les années ´70,
pensant que personne, pour quelque raison que ce soit, a plus de droit que nous
sur le sujet. »

2005.
Le mythe Maestri – Egger tombe.

En 2005 Ermanno Salvaterra, alpiniste italien, en compagnie des
argentins Rolando Garibotti et Alessandro Beltrami, gravirent la voie
prétendument gravie par Maestri en 59. Lors de leur ascension, ils constatent
que la description de la voie faîte par Maestri ne correspond pas au terrain,
démontrant ainsi le mensonge de l’italien.
Ils baptisent alors la voie El
Arca de los Vientos. Cette preuve changeât l’histoire de la montagne et les
italiens Daniele Chiappa, Mario Conti, Casimiro Ferrari et Pino Negri, devinrent
les premiers a parvenir au sommet du Torre en 1974.

2007.
Une tentative de nettoyage de la voie

La cordée américaine composée par Josh Wharton et Zach Martin, se rendit
en 2007 sur la montagne avec pour objectif de gravir la voie du Compresseur sans
utiliser les points de Maestri, avant de déséquiper la voie lors de leur
descente.

Pour cela, une assemblée des grimpeurs présents à El Chalten fût réunie.
40 andinistes dont quelques étrangers vota pour que les pitons soient laissés en
place. Vicente Labate, grimpeur local, écrivît alors un articule dans la revue
argentine “Al Borde” ayant pour titre “Démocratie Patagonique” et ses
conclusions furent les suivantes.

“Le débat collectif a eu lieu, ce qui signifie que la question est
réglée, nous ne ferons rien »

“Pour moi, cet été m’a permis a la fois de dire : non aux échelles de
points sur quelque montagne que ce soit, et oui a la recherche de solution en
commun (pas forcément simples), non aux actions personnelles de la part des
grimpeurs. Accepter l’histoire comme composante de notre
culture.”

La revue Desnivel nº 251 de 2007, publia les deux sons de cloche sur le
sujet. Contre le nettoyage des points
s’exprimait le grimpeur Gabriel Otero, et en faveur l’andiniste Rolando
Garibotti qui cite dans sa prise de position l’alpiniste slovène Silvo Karo
“…cette voie a été volée au futur. Sans tous ces points, l’histoire de cette
fantastique montagne aurait été très différente”.
Dans le même paragraphe,
il fait référence a Maestri lui-même qui avait émis le souhait de retirer les
points , ‘…je retirerais les points et je laisserais la paroi propre comme
nous l’avons trouvée”
, et a Mario Conti, “…juste en retirant les points,
l’on pourrait voir imaginer comment était la montagne, comment elle devrait
être.”

L’opinion de Garibotti se voit résumé dans cette ultime citation,
“…Je pense qu’il est temps d’en terminer avec le travail commencé par Maestri et
qu’il faut mettre ses points dans un lieu sûr, dans un
musée.”

Les points de Césare Maestri au commissariat d’El
Chalten

2011. Plusieurs intéressés au nettoyage de la voie.

L’année passée, Ermanno Salvaterra exprimait son point de vue, favorable
au nettoyage des points posés par Maestri. “Selon moi, celui qui montera sans
les points, comme Jason Kruk va le tenter, ou Zack Smith (qui tenta avec Josh
Wharton en 2007), aura le droit de nettoyer la voie et de laisser seulement le
compresseur comme symbole de cette ascension »

“Peut être que tout le monde ne sait pas que Maestri souhaitait rompre
tous les pitons à expansión et pas seulement ceux de la dernière longueur (son
compagnon) Ezio Alimonta lui avait dit alors que s’il continuait, ainsi, il
descendait et l’attendait au pied de la montagne. »

L’andiniste expérimenté donnait déjà les noms des grimpeurs capables de
réaliser une telle ascensión.

Jason Kruk et Hayden Kennedy, les deux jeunes nord-américains, sont à El
Chalten depuis quelques semaines. Ils ont fait quelques très belles ascensions
sur des aiguilles de la région comme la torre Herron et la Egger, ainsi que la
Standhardt dans le massif du Torre, la Saint Exupery et l’ouverture de la voie
« The Gentlemens Club » (900m, 400m
new, 7a) sur l’aiguille de l’S, dans le massif du Fitz
Roy.

En terme de mérite sportif, la voie qu’ils ont gravit les 15 et 16
janvier dernier est la plus remarquable de leur séjour en Patagonie. La voie du
compresseur leur a permis de parvenir au sommet du Cerro Torre, une des
montagnes les plus polémiques de l’histoire de l’alpinisme.

18 janvier 2012. Descente du
Cerro Torre.

Interview de Jason Kruk et Hayden Kennedy, Colin Haley et Rolando
Garibotti
.

Pensiez-vous retirer les points de Maestri avant de gravir le Cerro
Torre?

Hyden Kennedy: Cette année, nous sommes venus en Patagonie simplement pour
grimper. Nous n’avions pas prévu de retirer les points, ni même de gravir
l’éperon Sud Est du Torre. Nous avons gravit la Standhardt, Egger, ainsi que le
Torre mais nous n’avions pas envisagé cette voie en particulier. Le climat très
chaud et les bonnes conditions climatiques nous ont amené à penser que c’était
une bonne occasion pour une tentative. Qui plus est, Jason connaissait bien la
voie puisqu’il l’avait tentée l’année passée en compagnie de Chris Geisler. Ils
avaient dû abandonner à 60m du sommet.

Jason Kruk: A aucun moment lors de l’ascension nous n’avons pensé à retirer les
points de la paroi. Même lors de l’ascension, nous ne savions pas si nous
allions pouvoir atteindre le sommet. Pour nous, quand tu penses seulement à
l’objectif, tu en oublis de vivre pleinement la réalisation. C’est ce qui est
important pour nous. C’est au sommet que nous avons décidé de retirer les points
de Maestri.

A El Chalten, le 19 janvier dernier, un Groupe de grimpeurs locaux s’est
réuni au poste sanitaire local, après avoir pris connaissance du “nettoyage »
du Cerro Torre. Les grimpeurs et locaux
intéressés par le sujet ce sont déclarés contre l’action réalisée, alléguant
d’“…une ample violation du patrimoine culturel et historique d’une des
montagnes les plus emblématiques du monde pour avoir retiré les pitons de la
voie du “Compresseur” sur le Cerro
Torre, action réalisée par les grimpeurs Jason Kruk et Hayden Kennedy malgré le
consensus décidé en 2007 sur la conservation de ce
patrimoine.”

Le mythique Cerro Torre poursuit avec les
polémiques

La Maison où les jeunes séjournent à El Chalten a été
placardée

Comme le racontent les jeunes du groupe eux-mêmes, “… à ce moment-là,
nous avons appris que l’un des justicier de la montagne (EEUU et Canada) se trouvait à proximité. Nous
sommes allés le chercher pour lui demander des explications. C’est alors que la
police est intervenue et qu’il fût conduit à son domicile où se trouvait son
compagnon afin de confisquer les pitons retirés (plus de 100 a première vue).
Ils ont ensuite étés conduits au commissariat pour enregistrement des faits. Un
placardage symbolique a été réalisé sur leur maison.”

Vous pensiez que cela pouvait générer des
problèmes?

Hyden Kennedy: Nous en avons discuté et nous savions qu’il y aurait beaucoup de gens
mécontents et que sur internet les débats allaient être vifs, mais nous ne
pensions pas a une réaction dans le village.

Jason Kruk: Nous ne pensions pas qu’une bande d’excités allait nous attaquer, ce
fût une vraiment triste, qu’ils ne puissent pas nous parler directement. Nous
avons perdu des amis à cause de cela.

Hyden Kennedy: Nous ne nous attendions pas à tout cela et nous n’imaginions pas non
plus que nous allions terminer au commissariat. Quoi qu’il en soit, en
prenant la décision de retirer les points, Jason et moi devions nous attendre a
en assumer les conséquences.

Jason Kruk: On se fout de ce que pensent les autres de nous, nous avons pris une
décision et nous sommes prêts à vivre avec. Il n’y aura jamais un consensus sur
le fait de savoir qui avait raison. Nous l’avons simplement fait.

C’est quelque chose de normal? Quand un grimpeur réalise une ascension
sans les points, a-t ‘il le droit de retirer les points.

Colin Haley: En escalade, les pitons à expansion ou a pression (forés) ont
commencé à être utilisés en 1950. Ils n’existaient pas avant. Dès le début de
leur utilisation, ils ont entraîné de nombreuses controverses de par le fait
qu’ils permettent de gravir n’importe quelle montagne. Si tu fores des trous et
que tu y plantes des pitons, tu peux gravir ce que tu veux sans difficulté. Il y
a eu de nombreux cas de voies suréquipées et qui furent nettoyées. Je ne dirais
pas que c’est habituel, parce que la plupart du temps les points sont posés à
des endroits où il est logique qu’ils soient plantés, là où il n’y a pas de
possibilité naturelle. Normalement on retire les points qui sont placés à des
endroits où ils ne sont pas nécessaires, comme près des fissures. La voie du
Compresseur est l’une des voies comprenant le plus de pitons au monde. Durant 4
décennies, les grimpeurs ont évoqué le fait de les retirer.

Pourquoi l’on-t-il fait?

Colin Haley: Les raisons pour lesquelles on fait cela sont très claires dans le
petit monde de l’escalade. Il est très difficile de les expliquer, mais
l’important est le respect de la nature. Je pense qu’en retirant les points, on
nettoie la montagne, et maintenant on ne peut gravir que proprement, ce que tu
plantes, tu le retires. D’un côté “je fais ce qu’il faut pour parvenir au sommet
de la montagne, quelques soient les moyens employés”, d’un autre il y a “le
respect pour la montagne.

Hyden Kennedy: Pour faire simple, c’est rendre à la montagne son aspect naturel.

Jason Kruk: Les personnes qui sont venues nous voir énervées m’ont dit que si eux
allaient chez moi et faisaient la même chose, ça e passerait pas. Mais je veux
les inviter chez moi et quoi qu’ils
fassent ils seront comme chez eux. Je ferais tout mon possible pour qu’ils
soient les bienvenus.

Colin Haley: Pour moi, ce débat tient en
partie de l’escalade mais aussi du nationalisme et je crois que beaucoup de gens
qui sont énervés, ne l’auraient pas été si Hayden et Jason avaient été argentins. Pour
moi cela n’a pas de sens, les montagnes font partie de la nature et el Cerro
Torre appartient à tous les grimpeurs du monde quelle que soit leur nationalité.
Une telle attitude frise la discrimination.

Hyden Kennedy: Autre chose qui a été évoquée est l’histoire. On nous a dit que d’une
certaine manière on leur effacait une partie de leur histoire. Mais l’histoire
est écrite, elle est telle qu’elle est et elle change. Cette montagne est très
polémique, et il ne s’agît que d’un chapitre. On ne peut pas voler l’histoire.

Rolando Garibotti: Je suis complètement d’accord avec ce qui vient d’être dit et je
voudrais rebondir sur ce qu’a dit Colin sur le fait d’être local. On est local
par le cœur. Quand tu y passes ton temps et ton énergie. Pour moi ce sont des
locaux parce qu’ils viennent chaque année et qu’ils y mettent beaucoup
d’énergie.
J’ai passé plus de 15 ans en dehors du pays et personne ne m’a
jamais reproché ou dit que je n’étais pas local. J’ai retiré des points, j’en ai
posé, et personne ne m’a dit que je ne pouvais pas parce que je ne parlais pas la même langue ou
parce que j’ai un accent.

Colin Haley: La vérité c’est qu’il n’y a pas de locaux à El Chaltén, tout le monde
vient d’ailleurs (El Chalten est né en 1986 de la volonté du gouvernement
argentin de marquer sa présence sur cette région face aux visées expansionnistes
du Chili.
NDLR)

Rolando Garibotti: La discussion sur ces points est une discussion philosophique, c’est
une discussion sur le sens de la montagne et qu’est-ce que l’on y cherche. Les
points sont un raccourci pour parvenir au sommet quand tu n’as pas les capacités
propres pour y parvenir

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