Herzog et Lachenal sont-ils parvenus au sommet de l’Annapurna?

Quatre raisons pour croire que Maurice Herzog et Louis Lachenal ont bien atteint le sommet de l’Annapurna le 3 juin 1950. Et une raison pour ne pas y croire…


 


 


    A lire sa fille Félicité (« Un héros » éditions Grasset), Maurice


Herzog était capable de mentir. Ayant acquis, à ses dépens, la conviction que son père entretenait des rapports troubles avec la vérité, elle a poussé la logique jusqu’au bout : « Puisqu’il a menti dans sa vie privée, il a pu mentir sur tout. En particulier sur l’Annapurna ».  Pour étayer cette accusation qui n’allait pas manquer de provoquer le séisme médiatique attendu, et faute d’éléments nouveaux – documents ou témoignages personnels – elle a repris à son compte le désormais fameux « pacte inavouable » imaginé quatre ans plus tôt par un romancier : Herzog et Lachenal se seraient mis d’accord pour renoncer au sommet, mais pas à la victoire. Une « victoire française » attendue par leurs compagnons d’expédition  – et plus largement par la France entière. L’hypothèse était d’autant plus vraisemblable qu’entre le chef d’expédition, exalté jusqu’au mysticisme par l’enjeu d’une conquête aux effluves coloniales, et le guide conscient du danger mortel qu’il y avait à poursuivre l’ascension, ce pacte apparaissait comme le seul compromis possible ; ‘Tu veux redescendre?… D’accord, mais on dit qu’on a été au sommet’. Le brûlot de Félicité a ravi les détracteurs de son « héros » de père. Ce renfort inattendu leur offrant une légitimité providentielle, ils ont repris du service, oubliant que le « pacte inavouable » n’était qu’une hypothèse romanesque, impliquant deux menteurs.


Or, il manque au moins un menteur : personne n’a jamais remis en cause l’honnêteté de Louis Lachenal. Lequel a toujours affirmé avoir été au sommet. Si on doute d’Herzog, on n’a aucune raison de ne pas croire Lachenal.


    Les autres membres de l’expédition, en particulier Terray et Rébuffat


qui, le 3 juin 1950 à 17h, ont vu arriver leurs compagnons au camp V, et qui ont recueilli leurs confidences, n’ont pas douté de leur succès. Gaston Rébuffat qui a été très proche de Lachenal après l’Annapurna, et qui ne portait pas Herzog dans son cœur, ne m’a jamais fait part de doutes sur le sommet. Après tout, il était bien placé pour savoir. Non ?


    Entre leur départ pour l’assaut, et leur retour au Camp V (12 heures),


Herzog et Lachenal ont eu largement le temps d’atteindre le sommet, d’autant que les difficultés techniques n’étaient pas considérables. On imagine mal qu’ils s’en soient approchés sans poursuivre jusqu’au bout.


    Dernier élément, qui me parait décisif : ce témoignage extrait du


journal de Rébuffat qui raconte ainsi le retour des deux « vainqueurs » :


« Lachenal se rend mieux compte de la situation que Momo. Momo pas du tout.


Il nous dit : ‘demain, nous descendons seuls et vous allez au sommet’. » Herzog savait évidemment qu’il n’avait pas neigé le 3 juin 1950, et que leurs traces étaient donc intactes. Comment imaginer que dans l’hypothèse où il aurait fait demi-tour avant le sommet, il ait proposé à Terray et Rébuffat de reprendre ces traces pour découvrir qu’elles n’allaient pas jusqu’au sommet ?


    Oui, mais les photos n’ont pas été prises au sommet. De fait, quand on


compare, par exemple avec celle de Jean-Christophe Lafaille, acalifourchonné sur l’arête de neige, avec les massifs alentour bien visibles, on se demande pourquoi Herzog ne s’est pas fait photographier lui aussi sur l’arête sommitale. La réponse me parait évidente. Herzog ne voulait pas d’une photo furtive, fût-elle une preuve irréfutable de sa « victoire », mais il avait en tête une série de photo, dont il avait prévu à l’avance la mise en scène.


La preuve ? Il avait dans son sac non pas un fanion, mais cinq. Il lui fallait donc s’installer pour sortir de son sac appareil photo et fanions, pour attacher ceux-ci au manche de son piolet, un par un, les détacher, un par un, endurer les jurons de Lachenal qui voulait redescendre sans tarder, et ranger le tout après la séance de prises de vue. Pas question, évidemment de faire tout cela en équilibre sur la fine arête faitière. C’est donc un véritable studio photo qu’il a aménagé en-dessous du sommet pour poser devant la France entière à laquelle il dédiait sa victoire.


*


 


    Y a-t-il encore une raison pour douter de la victoire d’Herzog et de


Lachenal ? Je n’en vois plus qu’une : lire « La conjuration du Namche Barwa » et oublier qu’il s’agit d’un roman.



Yves Ballu

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