Imaginez un instant qu’un océan plus vaste que tous ceux que nous connaissons soit dissimulé, non pas sur une autre planète, mais à des centaines de kilomètres sous nos pieds. Ce n’est plus une fiction : des indices pointent vers un immense réservoir d’eau dans la zone de transition du manteau, située environ entre 410 et 660 km de profondeur.¹ Et c’est une découverte qui bouleverse tout ce que l’on pensait savoir sur notre planète.
Une mer cachée dans les entrailles de la Terre
C’est en étudiant un minéral rare, le ringwoodite, que les chercheurs ont mis le doigt sur une réserve d’eau insoupçonnée. Ce minéral, que l’on ne trouve qu’à grande profondeur, a révélé la présence d’eau piégée sous forme d’hydroxyles dans sa structure. Selon des travaux de référence, la zone de transition pourrait contenir l’équivalent d’un à deux océans de surface — il ne s’agit pas d’un océan liquide, mais d’eau stockée dans les minéraux.²
Le saviez-vous ? La ringwoodite peut renfermer jusqu’à ~2,5 % d’eau en masse dans sa maille cristalline.³
Cette gigantesque réserve souterraine se situe dans ce que les géophysiciens appellent la zone de transition du manteau terrestre, entre ~410 et 660 km de profondeur.⁴ Autrement dit, un endroit inaccessible, mais pourtant fondamental pour comprendre la dynamique de notre planète.
Comment l’eau a été détectée sous la croûte
Ce n’est pas un forage qui a permis cette découverte – on en est encore loin techniquement – mais une méthode aussi ingénieuse que discrète : l’analyse des ondes sismiques. Lorsqu’un tremblement de terre secoue la Terre, les ondes générées traversent les différentes couches de la planète et leur vitesse varie selon les matériaux rencontrés. Des campagnes s’appuyant sur des dizaines de milliers d’enregistrements ont mis en évidence, à proximité des grandes discontinuités, des zones à vitesses plus faibles et des signatures compatibles avec la présence d’eau et/ou de fusion partielle.⁵
Le saviez-vous ? En 2014, l’analyse d’un diamant profond a révélé une inclusion de ringwoodite contenant ~1–1,5 % d’eau (en masse) ; en 2022, un autre diamant (Botswana) a conforté l’hypothèse d’un environnement humide près de 660 km.⁶ Autre indice : des inclusions de glace VII (haute pression) ont été identifiées dans des diamants provenant de la zone de transition.⁷

Ce que cela change pour notre compréhension du cycle de l’eau
Jusqu’ici, le cycle de l’eau se limitait à ce que l’on observe : évaporation, condensation, précipitation… Mais ces résultats suggèrent l’existence d’un cycle profond : de l’eau descend avec les plaques en subduction, réagit et circule dans le manteau sur des échelles de temps géologiques, puis remonte en partie par le volcanisme et les failles.⁸ En d’autres termes, la planète fonctionnerait comme une éponge à l’échelle du manteau, absorbant de l’eau dans ses couches profondes lors des mouvements tectoniques, pour la relâcher lentement via les systèmes volcaniques — un mécanisme probable qui participe à la pérennité des océans de surface.⁹ Cette dynamique souterraine pourrait aussi éclairer, sans trancher, le débat sur l’origine de l’eau terrestre (apports précoces versus recyclage), sujet encore discuté.²
Une découverte qui ne fait que commencer
Ce réservoir ne va pas révolutionner notre quotidien du jour au lendemain, bien sûr. Mais il redéfinit notre rapport à la planète, et nous rappelle que la Terre a encore bien des secrets à dévoiler. Derrière les apparences tranquilles de notre croûte terrestre se cache une vie souterraine d’une complexité inouïe.
Une chose est sûre : ce « super océan » souterrain pourrait bien être l’une des clés majeures pour mieux comprendre notre monde. Et qui sait, dans quelques années, ce sera peut-être le point de départ de nouvelles avancées scientifiques – ou même d’un nouveau regard sur l’équilibre fragile de notre hydrosphère.
Notes de bas de page
- ENS Lyon – Planet-Terre : « Les discontinuités dans le manteau terrestre » — zone de transition entre 410 et 670 km. https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/manteau-discontinu.xml planet-terre.ens-lyon.fr
- National Geographic (édition française) : « Les profondeurs de la Terre cachent un gigantesque “océan solide” » (2025) — entretien & synthèse : équivalent d’1–2 océans et eau stockée dans les minéraux ; pas d’océan liquide. https://www.nationalgeographic.fr/sciences/geologie-les-profondeurs-de-la-terre-cachent-un-gigantesque-ocean-solide National Geographic
- Cité des sciences : « Première planétaire : 40 microns de ringwoodite » (2014) — capacité jusqu’à ~2,5 % H₂O en masse. https://www.cite-sciences.fr/archives/science-actualites/home/webhost.cite-sciences.fr/fr/science-actualites/actualite-as/wl/1248140994828/ringwoodite/index.html cite-sciences.fr
- ENS Lyon – Planet-Terre : « Zone de transition & dynamique du manteau » — rappels sur 410–660 km. https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/zone-transition-dynamique-manteau.xml planet-terre.ens-lyon.fr
- INSU-CNRS : « Une couche de fusion partielle vers 350 km révélée par la sismologie » — rôle des vitesses sismiques et zones à faible vitesse liées à l’eau / fusion partielle près des grandes discontinuités. https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/une-couche-de-fusion-partielle-vers-350-km-de-profondeur-revelee-par-la-sismologie CNRS Terre & Univers
- Nature (2014) via Univ. of Alberta / Scientific American (angl.) — inclusion de ringwoodite à ~1–1,5 % H₂O ; Scientific American (2022) sur le diamant du Botswana (660 km). https://www.scientificamerican.com/article/rare-diamond-confirms-that-earths-mantle-holds-an-oceans-worth-of-water/ ; https://www.scientificamerican.com/article/oceans-worth-of-water-hidden-deep-in-earth-ultra-rare-diamond-suggests/ Scientific American+1
- Wikipédia (FR) : « Glace VII » (synthèse de Science 2018) — inclusions de glace VII dans des diamants provenant de la zone de transition. https://fr.wikipedia.org/wiki/Glace_VII Wikipedia
- ENS Lyon – Planet-Terre : « Quantifier les fluides qui rentrent dans le manteau profond » — subduction et cycle profond de l’eau. https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/eclogites-fluides-manteau.xml planet-terre.ens-lyon.fr
- INSU-CNRS & ENS Lyon (réfs. 5 & 8) — signatures sismiques et transferts de fluides : contribution probable à la pérennité des océans (synthèse vulgarisée appuyée sur résultats sismologiques et géochimiques). https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/une-couche-de-fusion-partielle-vers-350-km-de-profondeur-revelee-par-la-sismologie ; https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/eclogites-fluides-manteau.xml CNRS Terre & Universplanet-terre.ens-lyon.fr