Yannick Vallençant est un alpiniste-journaliste dont le parcours est assez atypique pour être à la fois guide de haute montagne et chef d’entreprise. Un des principaux fondateurs du SIM, un syndicat pluridisciplinaires de professionnels de la montagne, Yannick Vallençant s’exprime en toute liberté….
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– Comment es-tu venu à la montagne ?
Je suis né en 1969 d’un père lyonnais, guide et moniteur de ski et d’une mère bretonne, monitrice de ski et professeur d’allemand; ils travaillaient en stations, en Tarentaise d’abord (Les Arcs, en particulier) puis ils se sont installés avec ma sœur et moi à Chamonix. J’ai naturellement fait un peu de ski de compétition, puis je me suis tourné progressivement vers la montagne à partir de 15 ans environ.
– Quel est ton parcours professionnel ?
Diplômé des grandes écoles d’ingénieur (INSA Lyon), de management (EMLyon) et de journalisme (CFJ Paris), j’ai passé le diplôme de guide (obtenu en 1997) en parallèle de mes études ; jongler entre les deux n’a d’ailleurs pas toujours été simple : avant le stage d’aspi, j’avais eu 5 jours pour m’entraîner et avant le stage de guide, juste un week end!
Diplômes en poche, j’ai d’abord travaillé une petite dizaine d’années comme journaliste, grand reporter, réalisateur et producteur de télévision pour les grandes chaînes comme TF1, M6, France Télévision, Arte, Canal +; j’y ai touché un peu à tout, des journaux télévisés au documentaire en passant par les magazines, avec même une très brève incursion dans le reportage de guerre en Afghanistan, mais j’étais surtout spécialisé dans les programmes scientifiques, éducatifs et de découverte. Puis l’évolution de la télévision vers des programmes de moins en moins ambitieux (la téléréalité, notamment) où la part de business prenait de plus en plus le pas sur la démarche d’information ou de création, les contraintes de la vie parisienne affectant notamment la santé de mes filles et une envie de montagne m’ont fait sauter sur une proposition de poste de Directeur marketing du groupe Lafuma, qui me donnait l’occasion de revenir en Rhône-Alpes.
Puis j’ai créé mon activité de consultant indépendant sous l’enseigne ‘Toulaho’. Je conseille désormais les entreprises innovantes de toute taille (en stratégie de développement, en marketing, en communication) ainsi que les territoires français et étrangers (pour valoriser leurs patrimoines naturels et culturels via l’écotourisme, notamment, en partenariat avec de gros bureaux d’étude environnementaux comme Biotope, par exemple).
À côté de tout cela, j’ai toujours souhaité conserver une activité de guide à dose variable, par goût de l’aventure et des métiers ‘nobles’ autant que par attachement sentimental à une certaine histoire familiale. Et depuis le le 28 janvier 2014, je complète par le titre pompeux de Président du SIM (Syndicat interprofessionnel de la Montagne), une fonction qui me prend finalement beaucoup plus de temps que prévu initialement, compte tenu de toutes les ‘bagarres’ à mener et que je n’avais pas envisagées au départ.
‘Les Ascensions républicaines’ de 2010 réalisé dans le cadre d’une manif antisarkozyste montée avec le réseau Citoyens Résistants, la Ligue des Droits de l’Homme, etc.
– D’où est venue l’idée de créer un nouveau syndicat ?
Fin 2013, j’ai été exclu du SNGM puis empêché d’adhérer à tout autre syndicat européen de guides, à l’issue d’une procédure interne au SNGM, pour le simple fait d’avoir dénoncé, preuves à l’appui, les dérives autocratiques et financières de sa gestion, commises au préjudice de l’intérêt général des guides et même de la collectivité nationale ; j’avais par exemple mis en lumière des surfacturations à la fois des assurances et du recyclage en cours depuis des années mais qui n’avaient jamais été identifiées jusque-là par la communauté des guides.
J’ai alors eu l’idée, pour pouvoir travailler comme guide malgré tout, de créer un collectif de professionnels de la montagne partageant un socle de valeurs professionnelles et syndicales qu’ils ne retrouvaient plus dans leurs syndicats historiques et qui souhaitaient reprendre leur liberté par rapport à ces structures; je suis allé négocier des assurances nécessaires à l’exercice de nos métiers. Et puis j’avoue que ça ne me déplaisait pas de donner une leçon aux dirigeants du SNGM de l’époque, en prouvant que l’on pouvait refuser toute soumission à leur autorité et en démontrant qu’on pouvait rapidement créer une structure syndicale et la développer efficacement avec un budget dérisoire et un effectif de direction réduit à sa plus simple expression. Une sorte de syndicalisme ‘en style alpin et sans oxygène’, par opposition aux expéditions lourdes des structures historiques….
Le 28 janvier 2014, le SIM était né du regroupement d’abord de quelques guides ‘frondeurs’, avec Françoise Gendarme, ex-présidente du SNGM et moi pour assurer la direction et l’administratif. Puis au fil des semaines et des mois, la bande de copains s’est élargie puis ouverte à des dizaines d’inconnus, séduits par le sens de notre démarche, par un positionnement interprofessionnel novateur ou plus prosaïquement par des tarifs très attractifs.
– Pourquoi il n’existait pas de syndicat pluridisciplinaires avant la naissance du SIM ?
Certains vous diront que c’est parce que tous les pros de la montagne n’ont pas les mêmes enjeux. Je réfute cet argument : nous avons tous intérêt à avancer ensemble, en discutant à la même table. Je n’établis pour ma part aucune hiérarchie entre un guide et un moniteur d’escalade ou de kayak, par exemple, je considère que nous sommes complémentaires. À mon sens, les frontières établies entre les différentes corporations sont purement artificielles et servent plus des intérêts particuliers que l’intérêt général : cloisonner le ‘marché’ des professionnels de la montagne entre différents syndicats, c’est multiplier les postes d’élus et les obligations de cotisations de leurs adhérents. Le SIM a pris le contrepied de tout cela : nos élus actuels ne prennent aucune indemnité pour leur travail syndical et nous proposons une cotisation unique et des assurances multisport ‘à prix coûtant’, dans l’intérêt exclusif de nos membres.
– N’était-il pas plus facile de faire évoluer les choses de l’intérieur au sein des syndicats historiques ?
Sur le papier, à l’intérieur de syndicats au fonctionnement démocratique et avec des dirigeants attachés à le respecter, peut-être. Mais le droit à l’information, la transparence de gestion, les règles légales, démocratiques et éthiques n’étaient pas suffisamment respectés à mon goût au sein du SNGM – comme d’ailleurs dans d’autres syndicats historiques, où toute voix critique était là aussi susceptible de diverses formes de représailles. Alors après avoir tenté en vain pendant des années de faire bouger les choses en interne, nous avons décidé, Françoise, quelques copains et moi, de renverser la table et de reprendre une liberté particulièrement précieuse pour les guides et les passionnés de montagne que nous sommes. Désormais totalement libres de parole, de ton et d’action, nous avons déjà fait considérablement bouger les choses en montagne. Pour l’anecdote, par le simple fait d’exister et par le jeu de la concurrence, nous avons fait baisser pour la première fois de 15% le prix des assurances de nos concurrents du SNGM qui ne cessaient d’augmenter jusque-là. C’est bien la preuve que le SIM est d’intérêt général ! (sourire)
– Le SIM a engagé plusieurs actions judiciaires contre les différents syndicats historiques. Que leurs reprochez-vous ?
Objection votre Honneur! La plupart des procédures qui touchent les syndicats historiques n’ont rien à voir avec le SIM!
Je n’ai pour ma part actionné ‘que’ 3 leviers jusqu’à présent :
– un signalement à l’autorité de la concurrence concernant le refuge du Goûter (ce qui a permis en 2015 de mettre fin à des abus manifestes, dans l’intérêt de l’immense majorité des guides et usagers du refuge);
– une procédure en référé contre la Compagnie de Saint Gervais (qui avait décidé le 5 juin 2014 de priver tous les guides du SIM de travail sur les pentes du Mont Blanc) ;
– et enfin un recours devant le Conseil d’État, pour remettre en cause une attribution du recyclage faite en violation des règles légales et au préjudice de l’intérêt général et de l’État lui-même.
Mais il y a parallèlement des dizaines d’autres procédures en cours, qui visent des syndicats historiques comme le SNAM ou le SNMSF ou l’administration Jeunesse et Sport elle-même sur la base de qualifications pénales parfois assez lourdes, par exemple, mais toutes ces procédures n’ont rien à voir avec le SIM! C’est d’ailleurs sans doute parce que certaines choses clochent réellement dans les sports de montagne que la Cour des Comptes a rendu un rapport très critique en septembre 2014 ou que le Ministre de tutelle Patrick Kanner a lui-même demandé très récemment une inspection générale de divers organes Jeunesse et Sport en charge de la montagne…
Nos détracteurs nous accusent d’être agressifs, mais on ne fait que défendre le respect de l’État de droit et que se défendre nous-mêmes quand la direction de certains syndicats historiques et leurs alliés tentent d’abattre le SIM ou moi-même par des procédés indignes et déloyaux. Je ne suis pas du genre à me laisser faire et à tendre l’autre joue, voilà tout. S’ils veulent la paix, alors qu’ils nous la laissent et qu’ils respectent la loi. Et on pourra alors facilement se réunir autour d’une table pour discuter vraiment dans l’intérêt collectif – mais je pense que cela passera nécessairement d’abord par un changement culturel profond et par un renouvellement des dirigeants à la tête des syndicats historiques (mais seuls les imbéciles ne changent pas d’avis et j’aimerais me tromper).
– La judiciarisation et la communication des affaires est-elle une stratégie de communication et de développement de votre syndicat ?
Non, mais c’est notre meilleure défense actuellement face à des syndicats qui bénéficient encore de beaucoup plus de moyens financiers et d’appuis politiques et administratifs que nous. Et puis, en tant qu’ancien journaliste, j’aime que l’information circule et que la vérité soit dite : c’est une question de démocratie. Enfin, je pense qu’un montagnard se doit d’avoir un certain courage et notamment celui de la franchise – le courage figure d’ailleurs parmi les ‘valeurs’ sur lesquelles les ‘élites’ gouvernant la montagne française bâtissent leur communication officielle, et dont il faudrait que tout le monde soit digne. Et pour reprendre Jaurès : ‘le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant.’
– Au sein d’une corporation, il est rarement bien vu de mettre des coups de pied dans la fourmilière. N’as-tu pas peur que ces actions nuisent au développement du SIM ?
Le développement du SIM n’est pas une fin en soi et ne doit pas conduire à renier ses propres convictions et valeurs et donc à se déshonorer. Je parlais de ‘partage du marché’ des professionnels de la montagne : eh bien je propose que le SIM n’accueille ‘que’ les professionnels intelligents, intègres et courageux, en laissant toutes les autres ‘clientèles’ à nos concurrents! Plutôt que de faire de la politique politicienne, changeant de vestes et d’idées au gré du vent du moment, le SIM affirme clairement ce qu’il est, ce qu’il croit, ce qu’il propose de changer pour les professionnels de la montagne. Nous initions de vrais débats et soumettons de vrais choix, et chacun peut décider de nous rejoindre ou pas en fonction de ses idées ou intérêts. C’est ça la démocratie, et ce pourrait être aussi de la politique mais au sens noble du terme.
– Penses-tu que la médiatisation de ces affaires puisse nuire à l’image des professionnels de la montagne en général ?
Je préfèrerais comme tout le monde qu’il n’y ait que de belles histoires et de valeureux héros en montagne. Mais il arrive un âge où il faut émerger un peu des contes pour enfants et se confronter à la réalité des choses. J’ai envie que le monde de la montagne soit digne de l’image enthousiasmante que mes parents et leur entourage m’en ont laissée, et qui m’a donné envie d’en faire à mon tour; j’ai envie de faire vivre cet espace de liberté et d’aventure, régi par un code et des hommes d’honneur plutôt qu’écrasé sous le jougs de structures bureaucratiques, cupides et autoritaires. Alors s’il faut en passer par une exposition publique des affaires peu reluisantes de la montagne pour que ça change dans le bon sens, j’y suis prêt; et je suis persuadé que les professionnels de la montagne constateront à terme l’utilité de cette démarche pour redorer leur blason autant que leur économie.
– Que penses-tu de l’implication des syndicats historiques au sein des écoles nationales et des CREPS ?
Il y a une interpénétration ou une consanguinité profonde, à tous les étages, qui est assez normale compte tenu de quelque 70 ans de monopoles syndicaux historiques mais qui, à mon sens, contrevient à l’esprit de la république et à l’État de droit. Il faut quand même savoir, par exemple, que le Code du Sport, qui institue que seul un syndicat par profession (donc le plus gros) peut être admis au sein des organes de gouvernance de la montagne, est unique en son genre en France et sans doute en Europe : c’est en effet contraire à la liberté syndicale pourtant inscrite dans la constitution française comme dans la constitution européenne! Cet entre-soi, ce fonctionnement autarcique et autocratique sclérose la réflexion autour des sports de montagne (qui a souvent ainsi des trains entiers de retard sur l’évolution du monde extérieur) et il étouffe leur potentiel de développement économique. Il est temps que cela change, dans l’intérêt de tous ; j’espère donc que l’activisme du SIM (notamment ses recours au Conseil d’État et ses alertes au gouvernement), ainsi que l’inspection générale Jeunesse et Sport qui en découle en partie, vont influer en ce sens. C’est selon moi une question d’équité, de démocratie et même d’honneur pour notre communauté de professionnels autant que pour l’administration Jeunesse et Sport et pour son ministère de tutelle.
– As-tu encore le temps de faire de la montagne ?
Clairement pas assez à mon goût, entre mon ‘vrai’ travail de consultant, ma vie de famille et mon activisme Sim-iesque… Je manque de temps et d’entraînement par rapport à mes ambitions, mais je reste enthousiaste, attaché à ne pas vieillir trop tôt et j’aime pratiquer et voyager en amateur comme en professionnel ; alors je me débrouille tant bien que mal pour y aller dès que possible – sans me soucier de l’appartenance syndicale de mes compagnons de cordée, d’ailleurs. Et puis dans les moments de doute, je me persuade en toute modestie et (presque) sans rire que diriger le SIM actuellement, c’est à la fois ouvrir une voie extrême en solo et en face Nord, conduire une révolution et changer la face de la République, rien de moins! Dans la peau de Bonatti, du ‘Che’, de De Gaulle ou autre Zorro, je n’ai donc pas le temps de m’ennuyer…
Propos recueillis par Cédric Larcher
Bravo Yannick sur que tu fais du bon travail.👍
Je fût le premier à mettre un coup de pied dans la fourmilière en créant en 1975 la Fédération Française des Enseignants du ski qui offrait une structure pour tous les moniteurs diplômés qui souhaitaient travailler différemment que dans le carcan imposé par les ESF .tableau de distribution des leçons prioritaire pour les anciens .En basse saison, même demandés, en bas de liste aucune leçon. Travailleurs indépendants, ils pouvaient retrouver le liberté d’aménager leur emploi du temps comme ils le voulaient. de se regrouper ou pas. La cotisation leur offraient une assistance juridique, une assurance RC professionnelle ……….