Ajaccio…Le musée du coinceur

Quand on parle de protection, deux choses nous viennent à l’esprit.
– La figure bienveillante de Don Corleone offrant son soutien à sa communauté pour des frais minimes. Ou pour quelques menus services…
– Le Musée du Coinceur d’Ajaccio qui offre la plus grande collection de protection active et passive de tout l’univers connu.
Certains auraient ajouté la protection divine mais, pour tout dire, sur une falaise, entre une série d’Hexcentrics et la main de Dieu, je mets mon argent sur les Hex. Bien qu’une perceuse et quelques points en inox, c’est pas mal béton aussi.

Le Musée du Coinceur est l’affaire d’un passionné, Stéphane Pennequin. Depuis des lunes, il collectionne les coinceurs et ce, partout sur la planète. Ce qu’il a assemblé – seul car son Musée est en fait, encore à ce jour, une collection personnelle – démontre jusqu’où on peut se rendre avec un peu de détermination.
Suite à ma précédente chronique qui parlait d’un futur Musée de l’Escalade, plusieurs lecteurs m’ont posé des questions sur la création de Stéphane Pennequin. Je connaissais son existence depuis une entrevue précédente avec un équipeur connu. Voulant répondre aux questions de la semaine dernière, je ne pouvais que téléphoner en Corse et demander une entrevue.
Il appert que l’instigateur du Musée et moi-même partageons beaucoup de choses dont la même date de naissance. Il a donc du vécu! Et, expert dans son domaine, il reste néanmoins poli face aux questions idiotes que j’ai pu poser… car moi, les coinceurs, il y a bien vingt ans que je n’en ai plus!
Plus ou moins vrai… j’ai toujours des crochets que j’utilise quand j’équipe. Avoir eu des coinceurs, il y a quelques années, ça m’aurait évité une cicatrice quand un crochet tendu s’est décidé à venir visiter le milieu de mon front.
Je laisse donc Stéphane Pennequin décrire son univers et je vous encourage à visiter les sites web mentionnés plus bas. Peut-être avez-vous dans vos tiroirs un petit trésor dont vous ignorez la valeur historique…

a) Comment un homme apparemment sain d’esprit en vient à s’intéresser aux humbles coinceurs ?

Le regretté humoriste Coluche disait : « L’homme se sent toujours assez pourvu d’intelligence, vu que c’est avec ça qu’il juge… ». Aussi je ne me venterai pas d’être sain d’esprit, d’autan plus qu’une de mes maximes préférées, et qui me rassure grandement, est « Qui vit sans folie n’est pas aussi sage qu’il croit ». Qu’est-ce qui nous fait porter de l’intérêt aux personnes, aux objets, à un métier ou une activité…? De quoi est faite l’attirance, la passion… ? Inné vs acquis…?

Je suis né à Falaise (un nom prédestiné ?) dans le Calvados (Normandie) en 1955. Rien dans mon entourage familial n’explique mon attraction pour l’escalade, ou plutôt pour l’Alpinisme comme j’aimais appeler cette passion naissante à cette époque. J’ai lu nombre des grandes œuvres de la littérature alpine mais la vraie révélation fut le livre Glace, Neige et Roc de Gaston Rébuffat, avec ses fascinantes planches photographiques du matériel en usage dans les années 70. J’avais alors15 ans. (Comme pour le cyclotourisme, ma passion jumelle, je n’ai jamais pu dissocié l’activité de l’équipement nécessaire à la pratique, vouant le même intérêt aux deux aspects). Tous ces outils en eux-mêmes évoquaient pour moi la pratique de la montagne. Posséder un mousqueton dans mon adolescence aurait, à mes yeux, suffit à faire de moi un Alpiniste… Je me souviens d’un magasin de sport à Caen où, sur les murs de pierres d’un escalier, étaient plantés des pitons. « Faire l’ascension » pour le premier étage et côtoyer de plus près ces objets envoûtants ont été source de mes premiers émois de « grimpeur »…
Le cliquetis des pitons et mousquetons transportés par les grimpeurs a aussi toujours suscité chez moi un délicieux ravissement.

A dix-neuf ans, pour des raisons professionnelles, je me suis installé en Corse. Avec mon ami Gérard Kegel qui m’a pris sous son aile, j’ai pu enfin mettre en pratique ce que les livres avaient distillé en moi. Les coinceurs me sont très vite devenus les outils les plus attractifs du matériel d’escalade. Derrière ces objets intelligents aux formes multiples et au développement spectaculaire, se cache la philosophie de l’escalade propre à laquelle j’ai immédiatement adhéré. Je ne sais pas pourquoi mais l’idée de collectionner les mousquetons me fait penser au film de Charlie Chaplin, Les Temps Modernes, ou à la chanson de Gainsbourg, Le Poinçonneur des Lilas, ou encore à un univers schizophrénique…

 

b) Quel est le lien entre Ajaccio et les coinceurs ? On parle ici de combien de pièces ? Qui visite ?

Le lien entre Ajaccio et les coinceurs…? Hum… J’ai bien peur de n’avoir d’autre réponse que le hasard de la vie qui m’a amené à vivre en Corse. J’ai souvent pensé qu’il aurait été plus judicieux, plus facile aussi, de travailler sur l’histoire de l’alpinisme en Corse. Tous les ingrédients et de nombreux acteurs sont autour de moi. Mais, à l’opposé d’être un handicap pour établir des relations avec les inventeurs, fabricants et utilisateurs de coinceurs, la Corse a été la clé qui ouvre toutes les portes. Elle éveille une telle fascination, qu’en plus de mon enthousiasme légendaire, « mon » île est mon plus bel atout.

Ah… « LA » fameuse question récurrente… Combien de pièces…? Alors, disons qu’une valise serait trop petite… et qu’un camion semi-remorque serait trop grand…

Aujourd’hui Le Nuts Museum se visite de façon virtuelle sur Internet sous la forme de deux articles publiés au début des années 2000.
Mon article le plus abouti, Nuts’ Story : 2001 a Nut Odyssey, a été publié dans le magazine Britannique High Mountain Sports en Juin 2001.

Mon second article sur l’histoire des coinceurs mécaniques, Nuts’ Story : Clockwork Friend, sortit dans le même magazine en Octobre 2003.
Une autre page web, More Nuts’ Stories, me permet de raconter des histoires postérieures à l’écriture de ces deux articles, au gré de l’importance de nouvelles trouvailles.

Il arrive cependant que j’ouvre la Caverne d’Ali Baba à des visiteurs très motivés… Si rassembler des coinceurs en une formidable collection après de longues et souvent difficiles recherches est en soi un travail captivant, rencontrer les inventeurs et les fabricants pour partager avec eux mon enthousiasme pour ces objets est une expérience encore plus passionnante. Qui, mieux que ces utilisateurs, pourrait me raconter l’histoire ? A l’occasion de deux trop courts voyages en Angleterre et au Pays de Galles, des gens comme le légendaire Joe Brown, Tony Howard, Paul Seddon et Alan Waterhouse, fondateurs de Troll, Denny Moorhouse et Shirley Smith, créateurs de la mythique entreprise Clog, Mark Vallance l’inventeur du Rock mais aussi le boss de Wild Country, Hugh Banner, HB Climbing Equipment et autre figure emblématique de l’escalade Britannique, m’ont ouvert leurs portes avec beaucoup de gentillesse et de curiosité. Comment ne pas rendre la pareille…?

c) Le Musée du Coinceur est-il supporté par les instances fédérales ?

Non… et c’est sans doute mieux ainsi. Je ne suis pas en mal de trouver dans la vie quotidienne, des personnes, des administrations, des organismes, des institutions à qui je doive rendre des comptes. Collectionner les coinceurs est mon espace de liberté. N’avoir aucune obligation de résultat est un luxe qui m’est cher…
La plupart des pièces rares de cette collection m’a été donnée par des fabricants, ou des grimpeurs, qui n’imagineraient pas pour ces objets une meilleure demeure que le Nuts Museum. Si j’avais dû acheter tous ces trésors, la plupart d’entre eux serait toujours dans les main de leurs anciens propriétaires. Mes « devises » ont toujours été la passion, la persévérance, la patience et la crédibilité. La récompense est inestimable. Le plaisir de la recherche, l’aptitude à pouvoir identifier de très anciens coinceurs, et de temps en temps, le privilège d’être consulté par certains fabricants au sujet de matériel ancien ou de brevet. J’ai la chance de côtoyer des gens qui sont heureux de me faire plaisir, et parmi ceux-ci, de généreux mécènes qui font l’acquisition de matériel ancien sur le second marché dans le seul but d’enchérir la collection. Qu’il me soit permis de leur exprimer ici toute ma gratitude.

d) Quel est le Graal du collectionneur de coinceurs passifs et actifs ?

Enfin une réponse facile à exprimer… Pour les coinceurs passifs, rien ne me ferait plus plaisir qu’un jeu d’Acorns, soit les tailles small, medium et large. Inventés et fabriqués par John Brailsford en 1961, ils restent encore à ce jour introuvables. Malgré une forme qui n’a pas était reproduite par la suite, ils sont pour moi la fondation de l’histoire du coinceur, si on fait abstraction des écrous (machine nuts). Je suis stupéfait qu’en dépit d’une dépense d’énergie incroyable, je n’ai jamais pu ramené ces trésors au bercail…
Pour les coinceurs actifs, pas de problème non plus pour me prononcer : le Crack Jumar fabriqué par Greg Lowe en 1967 ouvre la porte à la cohorte des coinceurs mécaniques ! Ma persévérance à l’acquérir se nourrit de l’opiniâtreté de Greg à le conserver : une véritable expérience de physique nucléaire.

Mais chacun d’entre nous sait qu’on ne peut jamais atteindre le Graal, aussi cette quête de l’absolu serait pour moi le tout premier coinceur, le Scottie. Inventé par le guide Gallois George Dwyer en 1946, soit quinze ans avant l’utilisation des écrous, cette pièce unique marquerait l’étape ultime de ce voyage dans le temps. Je suis déjà très heureux que son propriétaire ait pu me le photographier « en action » dans la nature.

e) Quel avenir pour le Musée ?

J’ai rassemblé des coinceurs du monde entier, des plus communs aux plus originaux, outils incontournables d’une approche aventureuse de l’escalade. Pour avoir visité ou contacté les pionniers, inventeurs et fabricants, je crois que cette collection est aujourd’hui unique par son ampleur. Pour répondre à la confiance qui quelquefois m’a été donnée, j’ai conscience de devoir en assurer la pérennité. Une chose est sûre, elle ne sera ni éparpillée aux quatre vents, ni débitée par pièce sur eBay. 

Ajaccio, le 7 Janvier 2012

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