La chronique de JPB : De l’utilité des sentiers

 

Bin Laden, dans une nouvelle vidéo, menace directement la France. Preuve que l’Halloween est à nos portes! Je me demande bien en quoi il va se déguiser, cette année, Bin Laden?

Et la grogne contre le projet de loi sur les retraites s’essouffle. Un manque de carburant sans doute! Dans un magazine, on parlait même d’une ‘’Jacquerie anti Sarkozy ». Dommage car il est clair que la marche est un excellent moyen de rester en forme. Alors, les marches à répétition en scandant des slogans, c’est excellent pour l’aérobie…

 

Je lisais, cette semaine, Giacomo Casanova que je vous cite: ‘’Mais dans le fond les Français sont toujours les mêmes. Cette nation est faite pour être toujours dans un état de violence;  rien n’est vrai chez elle, tout n’est qu’apparent. C’est un vaisseau qui ne demande que d’aller, et qui veut du vent, et le vent qui souffle est toujours bon. »

 

Casanova n’était pas qu’un tombeur. C’était un analyste éclairé, un écrivain de génie et d’une culture inégalée en ce siècle qui a vu les Lumières. Et il a pratiqué le rappel… pour sortir des Plombs. Un philosophe comme je les aime.

 

Vous voyez, c’est à ce genre de choses que je pense en faisant mes promenades. Et le Diable sait qu’elles sont longues, ces promenades! Tout plutôt que penser au chômage, à la maladie, au manque d’argent. Tout plutôt que de penser à tous ces endroits que je ne verrai jamais. A ce rocher que je ne toucherai pas.

 

Mais les promenades ont du bon. On voit toujours du nouveau, on évacue les soucis pour se concentrer sur l’essentiel ou le parfaitement futile.

 

Cette semaine, il m’est venu à l’esprit le grand oublié de nos sorties en falaise et montagne. La partie que jamais personne ne mentionne. Le temps poreux qui n’est jamais vanté dans les topos. L’espace qui n’existe pas dans les articles de magazines ou les vidéos des stars du vertical.

 

La marche d’approche….

 

Oui, la marche d’approche! Vous savez, c’est quand vous portez votre sac et que vous voyez vaguement le sommet d’une falaise ou d’un pic. Sommet qui ne semble jamais se rapprocher mais qui surgit soudainement devant vous au détour du chemin.

 

La marche d’approche, c’est comme le pèlerinage à Compostelle. Là bas, c’est une église, une bénédiction et puis plus rien. Le pèlerinage, il est dans la marche pour s’y rendre! La falaise est la cathédrale mais le pèlerinage, c’est la marche d’approche. On communie avec la falaise en y grimpant les voies, on se sublime en atteignant le sommet de la montagne, mais c’est dans la marche d’approche que l’on expie nos fautes et qu’on se prépare à l’Ascension.

 

Dans ces temps troublés où les grimpeurs débutent, majoritairement, leur carrière sur du bois aggloméré dans une salle qui contient plus de particules en suspension que dans une mine de charbon de l’Empire du Milieu, la marche d’approche est vue comme un empêchement majeur à la jouissance d’un mur naturel. On recherche le moins d’efforts pédestres possible, la falaise le plus près du stationnement, et le Nirvana serait une falaise où l’on assure de son siège d’auto. Je suggère à ces gens d’aller à Trieste, au site napoléonien: en fait de dolce vita, on ne peut rien apprendre aux Italiens!

 

Bien entendu, certains l’ont facile : qu’on pense seulement à La Roche de Rame. Peut-on élever son esprit en stationnant son auto juste à coté du gros bloc? On traîne alors tous nos problèmes, tous les problèmes de l’humanité et ceux de notre blonde en supplément.

 

On m’a déjà reproché d’avoir ouvert un site d’escalade public (en opposition aux sites ‘’privés » que j’ouvre désormais pour ma petite personne) nécessitant une marche d’approche de 45 minutes sur une sentier passant à travers une érablière, croisant des ruisseaux, longeant de gros blocs et se terminant par une montée facile. Personne n’y allait, sur ce site, pour cause de distance extrême. Il faut dire que mes compatriotes… et bien, le corps s’y révèle souvent être un cors empêchant le pied d’avancer. Remarquez, on m’a déjà reproché à plusieurs reprises qu’un de mes sites hébergeait trop d’araignées avec leurs toiles… alors vous savez, les critiques…

 

Je pense donc que 45 minutes de marche, c’est une période idéale qui permet d’oublier le quotidien, qui permet de laisser l’imagination vagabonder, qui permet de jouir de la nature environnante, qui permet de se découvrir à travers la solitude relative. La marche, c’est un exercice zen de répétition qui, s’il est lassant dans ses premières minutes, devient vite un mantra physique nous permettant un ressourcement nécessaire. L’oubli ne vient pas uniquement du fond de la bouteille de vin, fut-il un  Jurançon doux!

 

 

 

 

 

 

Il y a des marches d’approche folles, de véritables expéditions : l’Aiguille du Midi sans le téléphérique. Il y a des marches d’approche glauques à travers les restes de la civilisation : le Muzzerone depuis le golfe. Il y a des marches d’approche révélatrices : les barrios de Rio. Il y a des marches d’approche nautiques : la baie d’Along. Il y a des marches d’approche critiques : Claret et sa célèbre marche. Des marches d’approche romantiques : tout Fontainebleau! Et que dire des quelques minutes nécessaires pour se rendre à la Spille, en Alsace?

 

Jamais je n’ai lu un article vantant une marche d’approche. Alors que certaines sont certainement plus belles que le rocher et les voies qu’elles desservent. Je me souviens d’un petit site à Poitiers pas laid du tout mais dont l’approche se faisait sur les bords d’une très belle rivière au fond d’un vallon ombragé. J’y suis allé lors de deux voyages, plus pour le paysage et le calme qui en découlait que pour les voies. Même chose pour Lignerolles, dans l’Allier.

 

Je n’ai pas la prétention de vous faire aimer le port d’un sac chargé de matériel et de victuailles – et attendez d’avoir des enfants – le long d’un sentier que vous jugez digne de l’attention des sherpas. Mais si je peux attirer l’attention de quelques uns d’entre vous sur la valeur intrinsèque de ces instants qui vous mènent au pied de vos désirs profonds…

 

Je suis loin d’être fervent de Rousseau. Je préfère Montaigne et Voltaire. Mais je ne peux qu’être en accord avec Jean Jacques :

‘’ Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose dire, que dans ceux que j’ai fait seul à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit… Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et descendre, des précipices à mes côtés, qui me fassent bien peur. »

 

Si ce n’était que moi, vieux croûton de chroniqueur! Mais un des gars qui a un appartement à demeure au Panthéon… l’avis est de taille!

 

J’attends donc un article sur les marches d’approches dans les prochains numéros des périodiques de grimpe et de montagne. Je risque, je l’avoue, d’attendre longtemps!

Imaginez : jamais une mention sur le sexe dans ces illustrés! Le sexe qui est, comme vous le savez tous, ce qui fait branler le Monde.

Alors, la marche d’approche… la presse va s’en tenir loin.

 

 

Photo : La marche d’approche ridicule vers un mur d’escalade totalement artificiel. Et, non, ce n’est pas le célèbre Lion qui me précède…

 

 

 

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