Claude Dufourmantelle fût l’un des acteurs majeurs du drame Vincendon et Henry, et il en est également l’un des derniers survivants.
Cet homme discret n’a jamais fait étal de prises de position polémiques sur le sujet.
S’il a préfacé la réédition de « Naufrage au Mont Blanc », le livre qu’Yves Ballu a dédié à cette affaire, il l’a sans doute fait par amitié, ainsi que pour honorer un devoir de mémoire. Peut-être aussi par courtoisie également. Car Claude Dufourmantelle est un homme courtois et… discret. En soixante ans, il n’avait jamais pris l’initiative de s’exprimer sur ce sujet. Il a commencé à le faire récemment.
Son point de vue sur le drame Vincendon et Henry
« Il est des faits-divers qui deviennent des affaires. La renommée aux cent bouches fait passer en pleine lumière certains drames ordinaires, ceux de tous les jours, quand ils ont plus de charme. La société qui consomme la sensation comme une drogue s’en empare et s’y observe. Les médias entrent en résonnance sur ces objets d’actualité.
Il arrive que ces faits divers attirants prennent une véritable dimension culturelle comme des témoins d’une époque ou des signes annonciateurs de changement et même les causes immédiates de ces changements.
Telle est l’affaire Vincendon et Henry.
Elle est bien connue : deux jeunes alpinistes pendant les vacances de Noël sont échoués au pied de la face nord du Mont Blanc après quelques jours passés sur la montagne. Ils sont miraculeusement en vie. Les secours mis en place tardivement se terminent en catastrophe dans une cacophonie aéronautique, par l’abandon des jeunes gens et une retraite piteuse des sauveteurs courageux mais impuissants.
Le Destin, les Dieux et les Démons se sont emparés de ces deux garçons –encore des enfants- pour construire sur leur martyr une incroyable tragédie.
Le retentissement de ce drame fut immense et difficile à imaginer dans les temps présents qui sont saturés par la violence permanente des guerres de religions qui s’installent. De nos jours, comme il est normal dans la guerre que nous vivons sans le savoir, le drame est du consommable et il s’use vite.
Difficile à imaginer aujourd’hui, ce qu’était la France d’il y a soixante ans : c’est si loin déjà ! La télévision était encore une jeune fille et l’hélicoptère, comme l’histoire l’a démontré, balbutiait et faisait ses premiers pas militaires dans une Algérie maintenue en ordre.
Paris match triomphait et les journalistes italiens préféraient souvent le dessin à la photographie : point n’était besoin d’y être, imaginer suffisait.
Tout a été dit, tout a été écrit, des dizaines d’articles, de très belles évocations cinématographiques, un excellent livre, des émissions de télévisions, des piqures de rappel dans la presse à intervalles régulier ; une pièce de théâtre ou peut-être deux…
Mais moi, je n’ai rien dit. Ou presque. »
Quelques mois plus tard, Claude Dufourmantelle s’est décidé, sinon à tout dire (il n’avait pas de révélations particulières à livrer en pâture aux amateurs de controverses), du moins à jeter sur le papier quelques réflexions sur l’affaire Vincendon et Henry. Il l’a fait dans la langue de Shakespeare qu’il maîtrise avec une aisance qui confine à l’élégance.
Outre des précisions nouvelles, ce texte qui n’est (évidemment) pas sans rapport avec un article publié au même moment et dans la même langue, s’interroge sur la mémoire et ses défauts (à bon entendeur…). Il n’était pas destiné à être publié. Il l’a communiqué à Yves Ballu et l’a autorisé à le mettre en ligne. Il a validé la traduction qui lui en a été faîte.