On pourrait comparer le petit chalet dans lequel habite Claude Moreillon, au vallon de Villard, au-dessus de Montreux, à un terrier. Et tel le renard, il le quitte, de jour comme de nuit, pour partir en chasse, l’appareil photo toujours dans la main, jamais dans le sac à dos. Pour être prêt à tout instant. Il passe des journées à randonner, des nuits en forêt, dans le froid s’il le faut, parfois simplement emballé dans une couverture de survie, ou pas emballé du tout à la belle saison, pour guetter la chouette, le tétras-lyre, le blaireau. Il reste parfois pendant des heures immobile au même endroit, transformé en arbre ou en pierre, pour laisser vivre la nature autour de lui. Dernièrement, dans ces lieux qu’il connaît par cœur, pas loin de son chalet, il a pu vérifier que le cerf est présent. Il a vu s’agiter des centaines de becs-croisés. Et il en garde, quand il en parle, les yeux humides d’émotion.
Le temps a beau passer, Claude Moreillon, 66 ans, ne se lasse jamais de parcourir et de voir, d’admirer, d’attraper en images la nature d’ici. Est-ce parce qu’il perdit son père très tôt, à 5 ans, dans un accident de voiture, qu’il se rapprocha dès la petite enfance de la famille des animaux sauvages? Peut-être. À Bex d’abord, à Chamby ensuite, puis dans ce vallon doux et âpre à la fois où il habite depuis longtemps, Claude Moreillon s’est toujours senti un peu différent: «Sur le chemin de l’école, quand nous vivions à Chamby, je croisais des renards, des chevreuils, et je passais un temps infini à les observer. Le mercredi après-midi, les autres enfants de mon âge jouaient ensemble dans la cour, moi j’étais seul à construire ma cabane dans la forêt. C’est là qu’est né mon désir d’aventures, de voyages.»
Il se mettra à l’escalade, à la haute montagne, au parapente (il a fait Chamonix-Nice à pied et en volant!), mais il sera rattrapé par son goût de la proximité, du contact direct avec la vie sauvage: «Les sommets, c’était beau, le parapente aussi, mais je n’avais pas assez de temps pour observer.» Sous la pression d’amis qui adorent toutes les histoires qu’il raconte mais regrettent de ne pas voir d’images, il se met à la photographie, jusqu’à en faire son métier il y a une quinzaine d’années. Il aime partager, alors il va dans les EMS parler aux personnes âgées de la nature, sa passion: «Je peux vous dire qu’après les projections de dias, la plupart ont le sourire et oublient leur fauteuil roulant!»
Le moment magique
Et le voilà qui publie, après Une passion en Nord (Slatkine, 2012) cette immersion dans les Alpes vaudoises, son jardin en quelque sorte. Il ne s’agit pas d’un livre de plus sur la vie sauvage, c’est un recueil qui privilégie l’ambiance, qui emmène le lecteur dans le froid de l’hiver et les replis rocheux de l’été où se cache Moreillon pour attendre ce qu’il appelle le moment magique. Cet homme-là, quand il est parti dans le Grand-Nord, obéissant à son besoin de découvrir le peuple inuit, a tutoyé les ours et les bœufs musqués, a lutté en osmose avec les caribous contre le vent glacé, mais il s’arrête encore et encore avec le même bonheur devant l’hermine en chasse ou le chamois en rut dans le massif du Muveran. «Que ce soit ici ou ailleurs, je ne m’ennuie jamais dans la nature. Je me sens beaucoup plus seul dans les files d’attente d’un aéroport qu’au cœur de la nuit dans la montagne. Je n’y suis pas dans un cinq-étoiles, mais toutes les étoiles du ciel sont à moi!»
Son livre est un livre de rencontres. Avec les bêtes, avec les paysages, avec les ciels gris et les brouillards – qu’il préfère aux ciels bleus – et avec un homme étonnant, un Inuit d’ici en quelque sorte. Extrait: «Quand le jour se leva, un léger vent fit frémir la cime des arbres. (…) Soudainement un homme sec, robuste, à la barbe de patriarche, sortit de la bergerie. Nous eûmes le temps d’échanger un regard, puis il se dirigea vers l’étable et y entra aussi rapidement qu’il y était apparu. C’est ainsi que je vis Fernand pour la première fois.»