Interview-Portrait : Quentin Chastagnier

Quand on parle de haute-difficulté en falaise dans la cuvette grenobloise, le nom de Quentin Chastagnier revient souvent. Ouvreur infatigable de voies extrêmes, défricheur et développeur de nouveaux secteurs, toujours motivé par une session sur caillou, il est un des hommes clés de la dynamique locale. Pour preuve, la première ascension du 8c+ de ‘L’âme slave’ sur le site de St-Ange en fin d’année dernière. Rencontre avec ce falaisiste très discret et talentueux qui nous explique sa passion et sa vision de l’équipement.   

  Quentin à St-Ange, son nouveau spot de prédilection à Grenoble

– Kairn : Décris ce nouveau 8c+ que tu as réalisé et raconte cette ouverture.

– Quentin : Cette voie s’appelle « l’âme slave », c’est une voie de 30 mètres en léger dévers. Tu fais un départ saignant sur des très petites prises; un repos correct puis une section de rési qui monte en intensité pour finir avec une suite de mouvements aléatoires dans un beau ventre bleu !
Cette voie est assez dure psychologiquement car tu n’es jamais sûr de refaire la première section, et tu peux tomber 1000 fois dans les derniers mouvements ! Finalement, ça a fait assez vite (7/8 séances) mais je me voyais déjà y passer tout l’hiver !
J’ai ouvert cette ligne juste avant l’été, le bas était un point d’interrogation par rapport a la petitesse des prises. Finalement, il y a juste ce qui faut, c’est magique !

– Kairn : Combien de voies au dessus de 8c as tu enchaîné en 2011?

– Quentin : Je dirai une poignée qui déborde un peu avec quelques premières qui me tenaient vraiment à coeur (« VEP » 8c+ St-Pancrasse, « du bonheur pour les mules » 8c à Pont de Barret, « l’âme slave » 8c+) et plein d’autres lignes magnifiques moins dures !

Toujours à St-Ange, dans le 8c+ de L’âme slave

– Kairn : Raconte nous le développement du site de St-Ange ? C’est un nouveau  spot sur Grenoble ?

– Quentin : Ce spot a environ 4 ans, il a été développé en grande partie par Eric Marcadella. La falaise fait entre 25 et 35 mètres de haut, du léger dévers, beaucoup de réglettes mais aussi quelques trous subtilement placés pour apporter de la variété à la grimpe. C’est génial de découvrir un spot tout neuf à côté de la maison ! Aujourd’hui, ce site concentre 30 voies dont 18 qui sont dans le huit et plus, ça fait presque autant qu’à Têtard Park. Ce qui fait vraiment plaisir, c’est que les premiers ouvreurs on eu la sagesse de ne pas tailler aux endroits les plus lisses et de laisser les futures lignes à d’autre équipeurs. Je pense que c’est une très bonne chose car ce site aurait pu finir comme la petite DJ face où on retrouve des 8a+ taillés tous les deux mètres ou pire, un site de dry tooling… Encore merci Eric !

– Kairn : Ca a l’air de bouger dans le haut niveau à grenoble avec des nouveaux spots comme Tetard Park (et sûrement d’autres) ? (Dynamique nouvelle ou alors on la médiatise plus qu’avant ?)

– Quentin : Clairement, il y a plus de voies dures qu’avant, et on est quelques énervés à aller sur le caillou qu’il pleuve ou qu’il neige. Je pense qu’il y a toujours eu une grosse dynamique d’ouverture à Grenoble, la majorité des ouvreurs équipent dans leur niveau pour avoir de nouvelles choses à grimper, ce qui est fort compréhensible ! Jusqu’à il y a trois-quatre ans, il y avait seulement un 8c à la dj face « Dyonisos », un ex 8c redescendu à 8b+ a Comboire « Rage against the hamster » mais des dizaines de voies entre 8a et 8b+.
Cela s’explique :
– D’une part car certains sites se prêtaient à ce niveau (Les Lames, Espace Comboire, les Vouillants…)
– D’autre part parce que certaines falaises où il y aurait pu y avoir des voies plus dures ont été systématiquement larcinées pour faire des 8a/+ /b/+ homogènes !

‘Les joies sauvages’, projet à Entraygues (photo : Guillaume Lebret)

Je déplore un peu cette période car je pense qu’un certain nombre de voies potentiellement plus dures et naturelles auraient pu être ouvertes en cherchant un peu plus l’itinéraire et en acceptant pour les ouvreurs concernés, soit de voir le potentiel de la ligne et d’imaginer que ça serait réalisé un jour par les générations futures, soit d’avoir la sagesse de ne pas équiper au risque de gâcher un bon potentiel de voies dures pour ces nouvelles générations.
De plus, ces ouvreurs n’ont même pas l’excuse de l’erreur de jeunesse ou d’expérience car cette période est très récente et vient bien après les erreurs qui ont été commises dans le passé dans certaines voies à Buoux, Orgon, Volx…

Aujourd’hui, il y a dans la cuvette quelques sites, notamment St-Pancrasse, St-Ange et quelques nouveautés ou il y a des voies en 8a, 8b mais aussi en 8c/+ et pas mal de projets bien ardus ET naturels.
Il y a environ une vingtaine de voies au dessus de 8c et en projet actuellement sur Grenoble !

– Kairn : Depuis combien d’années grimpes-tu et où as-tu commencé ?

– Quentin : Ca fait maintenant dix ans tout rond que je grimpe et j’espère bien grimper encore au moins 50 ans ! J’ai commencé au club de Crolles avec mon pote Guigui (Lebret) puis la falaise est venue aussitôt et la passion s’est emparée de moi.

‘Dans un miroir obscur’ 8a+, Ancelle

– Kairn : Tu bouges souvent avec le perfo à la main. Comment t’es venu cette passion de l’équipement ?

– Quentin : C’est venu assez naturellement, à force de grimper, de faire des belles lignes, tu a envie de créer et de laisser ta marque sur les falaises.

L’équipement, c’est un tout, ça commence à la prospection (combien de bartasses mémorables à faire le sanglier ?) pour parfois trouver un bout de caillou péteux et parfois, quelques lignes grandioses. Alors, la tête en arrière, tu es au pied, tu imagines le cheminement des lignes. Puis vient le moment de descendre en rappel, la ligne, la découverte des prises, ça passe ? Parfois c’est magique, tu descends, tu poses les points, tout est parfait, déception aussi quand il n’y a pas les prises (rare cependant).
Tu brosses, tu restes pendu à imaginer les mouvements, tu te balances pour voir si ça ne passe pas en faisant un petit crochet par la gauche, si il n’y a pas une cupule soigneusement dissimulée derrière un bourrelet de caillou. Tu rentres titubant en pensant à la voie pendant les longues heures qui suivent. Vient le moment d’essayer les mouvements, fignoler le brossage et mettre de la magnésie sur des prises vierges… Quelle simplicité mais quel plaisir !
Forcer, trouver les méthodes, prendre des plombs en cassant des prises, mettre des traits de magnes, faire tous les mouvements et se dire que ça passe… Quel bonheur mes amis !
Puis faire essayer la voie par les copains, ils aiment, je jubile, on parle de la méthode, de la difficulté de l’enchaînement, de la beauté de telle ou telle prise, de la pureté d’un mouvement, de la façon gracieuse dont le rocher est parsemé de prises…

Enfin les essais, la voie n’a plus de secret mais on a envie de la gravir pour boucler la boucle, les essais, la progression, l’énervement parfois puis la réussite, voilà c’est fini. Et on passe inlassablement à la suivante…

– Kairn : Quand tu équipes, suis tu des règles morales précises ou freestyle (taille, conventionnement, spot interdit, engagement,…) ?

– Quentin : Au niveau de l’engagement, je dirai que ça dépend vraiment de l’humeur du moment, du nombre de points que j’ai sous la main, mais c’est vrai que les sections obligatoires donnent du caractère à la voie. Sinon, j’équipe sans me poser trop de questions, si c’est une falaise non-conventionnée ou interdite, je reste discret et je me force de ne pas faire trop de pub.
Au niveau de la taille, je crois que j’ai tout dit au-dessus. Je ne suis pas contre le fait de tailler une prise quand il y a un passage vraiment lisse au milieu d’une voie majeure de 35m surtout si l’ouvreur a déjà placé les points. Mais je suis prêt à reboucher des prises taillées si ça passe sans. Je n’ai jamais eu besoin de tailler et de ma petite expérience, c’est très rare qu’il n’y ai pas de prises. Souvent, ça se voit depuis le bas et j’évite de poser la corde. Par contre, ça m’arrive de renforcer des prises au sika, dans une mesure qui me semble raisonnable, et en essayant de ne pas modifier la préhension du rocher.

Quentin serre les dents lors d’un essai dans ‘Muse merci’, 8c à Ancelle (photo : Guillaume Lebret)

– Kairn : Est-ce qu’il te reste encore des choses à faire sur Grenoble ?

– Quentin : Bien sûr, j’ai encore plein de projet, à St-Pan, St-Ange, les Saillants du gué, la Cimaiette… Et vu des nouvelles falaises qui poussent chaque année ça risque de durer encore un moment !

– Kairn : Comment expliques-tu cette soif de caillou que vous avez avec Léa (ndlr : la compagne de Quentin, excellente falaisiste aussi ) ?

– Quentin : Je crois qu’on a les même envies et qu’on aime bien se mettre dans des projets bien durs !

– Kairn : Ton ou tes projet(s) de l’hiver ?

– Quentin : ‘Le braille’ (ndlr : un projet sur arquées immondes à La Carrière, un spot très proche de Grenoble)

Dans ‘Le braille’, son chantier d’hiver à La Carrière (photo : Seb Richard) 

– Kairn : Tes 3 falaises préférées ?

– Quentin : En ce moment, St-Pan, St-Ange, la Cimaiette

– Kairn : Des falaises lointaines où tu aimerais trainer ?

– Quentin : Red River Gorge, Smith Rock, Zillertal, le Palatinat et les falaises du Périgord !

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