La chronique de JPB : Entrevue avec Olivier Aubel sur la FFME et l’escalade

Pour cette nouvelle chronique, le qu?becois Jean-Pierre Banville est all? poser quelques questions ? l’alsacien Olivier Aubel, sociologue du sport , professeur d’’universit? ? Strasbourg et Lausanne, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l’’escalade, observateur attentif de notre monde vertical , grimpeur de tr?s bon niveau. Il travaille actuellement, entre autres, ? des mandats pour des organismes olympiques. Il a sign? : ‘L’’escalade Libre en France’’’ chez Harmattan, ‘L’’?preuve du Dopage’’’ aux PUF ou ‘M?thode et pratique des ?tudes dans les organisations sportives’ ‘’aux
PUF. Apr?s Claude Chemelle et Pierre You , voici l’?tat des lieux et ce ? quoi peut ressembler la r?alit? de notre activit? vu de quelques paliers plus haut.



Photo : coll. Escalade Alsace


– JPB : Quel est l??tat des lieux du monde de l?escalade et de la montagne en France aujourd?hui ? La falaise, la salle, la comp?tition, la montagne pour tous, le conventionnement, les fusions, l?Olympisme ? quel est l?avenir de la Montagne en France?


– Olivier Aubel : Il me semble que ces deux questions ne font qu’une?Sinon, je vais appliquer la tactique de George Marchais (homme politique remarquable des ann?es 1970/1980 en France) : Mr Banville, vous venez avec vos questions?Moi je suis venu avec mes r?ponses.


Depuis les bords du Lac, je suis plus au fait de ce qui se passe dans le cyclisme pro ou dans le saint des saints du mouvement sportif que r?vent de fr?quenter les ?diles f?d?raux?
Sur le monde de l’escalade, je d?plore ? titre personnel la course ? l’?chalote sportive de la f?d?ration dont la recherche de la reconnaissance olympique est la trace la plus flagrante. Sur un plan professionnel, sur la base d’?tudes r?alis?es pour quelques autres f?d?rations fran?aises, je vois une f?d?ration qui sert de courroie de transmission de la politique d’?tat puisque l’on rep?re en filigrane du discours de Pierre You les ‘?l?ments de langage’ du ‘programme sport’ base ? la n?gociation des conventions d’objectifs entre l’?tat et les f?d?rations. Rien que de tr?s banal en somme.


On pourrait se demander alors si le monde de l’escalade doit accepter un formatage au mod?le sportif dominant :
? la course aux effectifs qui ne s’accompagne pas d’une r?flexion sur la capacit? d’accueil des sites naturels. Tu me diras, cette augmentation des effectifs est plus le fait des grimpeurs sur plastique donc ils n’encombrent pas les falaises. Entendons-nous bien. Il est peut-?tre souhaitable qu’un large public d?couvre l’activit?. C’est d’ailleurs une mission qu’assigne l’?tat aux f?d?rations : faire en sorte que le sport, les sports ?largissent quantitativement et qualitativement leur base de recrutement. On peut seulement d?plorer que le quantitatif prime, que le seul indicateur soit la progression du nombre. Il me semble que l’on devrait aussi tenir compte du fait de l’autre c?t? que nos terrains de jeu sont fragiles, menac?s par les int?r?ts de toutes sortes. Nos sites naturels ont une capacit? d’accueil. Il faudrait donc ‘fixer des bornes aux limites’?
? La course ? la reconnaissance olympique pour une discipline qui se targuait encore il y a peu d’?tre autre chose qu’un sport est-elle souhaitable ? Derri?re cette course ? la reconnaissance se profile la croyance si commune parmi les ?diles f?d?raux : celle selon laquelle la reconnaissance olympique est synonyme de visibilit? m?diatique et donc selon le principe du label ‘vu ? la t?l?’ d’une augmentation des effectifs. Le hic est que de visibilit? m?diatique il n’y aura point? Si j’avais l’esprit mal tourn? (ce que ceux qui me connaissent ne peuvent envisager une seconde), je te dirais que plus que la reconnaissance de la discipline ce que visent souvent les ?diles f?d?raux est leur admission dans le c?nacle des dirigeants olympiques?Et si l’escalade faisait le choix de ne pas ?tre olympique parce que ce n’est pas conforme ? son histoire, parce que comme on dit dans les cercles branchouilles, c’est incompatible avec son ADN ?


Plus g?n?ralement sur le monde de l’escalade :
? Il est orphelin d?sormais de Patrick Edlinger m?me si notre proph?te est toujours l?, vivant, passionn? (Jean-Claude Droyer qui se reconna?tra, m?me si les chances qu’il lise ce texte sont proches du n?ant), m?me si le ‘manard’ de l’escalade est toujours ? fond (Jean Pierre Bouvier qui disait du champion du monde de l’ascension sur plastique qu’il n’?tait pas champion du monde d’escalade mais champion du monde de ‘ceux qui font ?a’).
? Il existe des jeunes et des moins jeunes qui ne se commettent pas dans le circuit comp?titif pour continuer de tra?ner au pied des falaises. C’est un fait ‘porteur d’avenir’ comme on dit.
? L’escalade se d?mocratise avec ce que cela peut avoir de positif?pour l’accentuation de la sportivisation?et de n?gatif pour ceux qui n’aiment pas le sport.
? Il y a des industriels de la grimpe plus ou moins vertueux : ceux dont le partenariat avec le milieu est structurant (participation ? l’?quipement, fondations finan?ant des recherches sur des sujets importants pour le milieu) ; ceux qui pratiquent une communication par l’?v?nement peu soucieux de ce qui se passe apr?s l’organisation de leur festival de grimpe dans des contr?es lointaines. Que se passe-t-il au quotidien sur des spots ?quip?s ? la faveur de ces ?v?nements destin?s ? faire fonctionner leur marketing viral ? Qui fait la maintenance ? Pas eux?Ils sont partis? Un jour peut-?tre les consommateurs voteront avec leur carte de cr?dit?Moi, c’est bon, j’ai commenc?. Je sais, ils s’en cognent mais putain ?a fait du bien.
? Laurent Belluard ?crit toujours dans Grimper et c’est bien ! Il a d?sormais un recul qui lui permet d’avoir une analyse instruite de la partie de l’histoire de l’activit? ? laquelle il a particip? depuis la fin des ann?es 1980. J’ai trouv? son ‘hommage? ? Edlinger tr?s distanci?, pas flagorneur. C’?tait bien. Surtout la photo mythique de la comp?tition o? Edlinger ne posa pas le genou ! Et Laurent, tu nous refais un vrai magazine d’escalade ?



– JPB : Les plans du Minist?re, les volont?s d?une f?d?ration et les besoins des grimpeurs de base sont-ils irr?conciliables ?


– Olivier Aubel : La politique d’?tat repose en g?n?ral sur deux piliers : le sport de haut niveau et le sport ‘pour tous’. A la fois faire reluire la France sur les sc?nes sportives internationales surtout quand l’effervescence collective se prolonge jusque dans les urnes et faire en sorte, comme c’est dit plus haut, que la participation sportive soit de plus en plus massive, qu’elle concerne ceux que l’on appelle ‘les publics les plus ?loign?s de la pratique sportive’. Jusque-l? l’accent ?tait mis sur le haut niveau (souvent le cas en ann?e pr? olympique). On peut envisager un r??quilibrage en faveur du deuxi?me pilier avec la nouvelle ?quipe gouvernementale en place en France. Donc une f?d?ration qui est d?l?gataire du pouvoir d’organiser un sport est en quelque sorte l’op?rateur de la politique de l’Etat en mati?re sportive. A l’inverse, elle est en th?orie l’?manation de la base des licenci?s. Sa politique devrait donc ?tre dict?e par la base. Bref, responsable f?d?ral cela doit ?tre un peu comme ?tre entre le marteau et l’enclume. Tu appliques ce que demande le minist?re et tu t’ali?nes les licenci?s (ou plut?t ceux qui revendiquent parler en leur nom pour ?tre plus exact, c’est ? dire ceux qui prennent la parole pour les autres et la leur confisquent?comme disait un certain Pierre B). Tu ne joues pas le jeu de la convention d’objectifs avec l’?tat (que tu n?gocies en principe?mais bon) et tes subventions diminuent (en principe) par contre tu peux contenter ceux qui parlent pour la base qui ne veulent pas jouer le jeu de la sportivisation.
Bref, il y a fort ? parier que les id?aux de ceux qui conqui?rent un jour le pouvoir r?sistent difficilement ? son exercice. Je ne me souviens pas et ?a m’int?resse pas mais je suis s?r que Pierre You ? son accession au tr?ne devait passer pour un chantre du retour aux sources, de la n?cessit? de restaurer la transparence, une sorte de personnification de la base? Apr?s les grimpeurs de base?c’est quoi ? Je sais pas trop? Est-ce des consommateurs d’une prestation de service (une SAE, une falaise ?quip?e?) ? Probablement pour l’essentiel. Pour l’essentiel on peut m?me parier que ce que tu nommes le grimpeur de base est plus sur du plastique que sur rocher. Et si tel est le cas, ce que fait pour eux la f?d?ration ne doit pas ?tre trop d?cal? par rapport ? leurs attentes.


– JPB : Quelles sont les marges de man?uvre que pourrait avoir une nouvelle administration avec ce plan en 100 propositions ?


– Olivier Aubel : Alors les 100 propositions (qui ne sont pas 100 mais plut?t une trentaine, car il y a beaucoup d’espaces vides dans la liste?), ce sont en l’?tat des v?ux pieux qui semblent ob?ir ? l’obligation de se diff?rencier en pr?nant un retour au source, ? la puret? des origines (moins de place accord?e aux comp?titions) , la transparence? Autant de slogans emprunt?s par tous les r?volutionnaires-conservateurs qui r?vent un jour d’exercer le pouvoir. On voit cependant que certains des protagonistes de cette ‘alternative’ sont des bons apparatchiks qui plus que leurs propositions vendent leur CV ? coup de sigles que personne ne comprend ou alors suffisamment pour comprendre que certains se plaisent ? aller si?ger dans tous les ‘machins’ comme disait un homme illustre dont la suppression n’aurait?aucune cons?quence sur notre pratique.


Si, j’en ai rep?r? un, un sigle : WADA pour World Anti Doping Agency ou agence mondiale anti dopage (AMA)?quel dommage que l’escalade en soit rendue l?L?, c’est les hormones de croissance, les cortico?des et quelques autres saloperies dont les m?faits sont encore inconnus et les effets plus fantasm?s que r?els. De plus avec tout ?a les grimpeurs ne pourront m?me plus fumer leur p?tard tranquille au pied des falaises si ?a continue. Bon je dis ?a, moi, cela fait tr?s longtemps que j’ai arr?t?. Ce coup-ci l’escalade serait devenu un sport comme les autres. Enfin, ce qui est rassurant avec un processus comme la sportivisation, c’est qu’il ne s’agit pas d’un mouvement par lequel une forme plus sportive de pratique supprimerait la pr?c?dente. C’est un mouvement cumulatif par lequel la diversit? des modalit?s de pratique augmente. Nous pouvons donc toujours grimper sur nos spots secrets? Et certains d’entre nous continueront ? fumer.
Il y a fort ? parier que les protagonistes de cette alternative une fois arriv?s au pouvoir seront rappel?s aux r?alit?s du fonctionnement d’une f?d?ration : la n?cessit? d’?tre les op?rateurs d’une politique d’?tat, la difficult? ? structurer son action, ? la rendre lisible depuis les clubs et donc la difficult? ? emporter l’adh?sion, la coupure avec une base qui la plupart du temps ignore tout du fonctionnement de sa f?d?ration parce qu’elle s’en cogne, elle est l? pour grimper?et encore pas longtemps car l’ann?e prochaine elle fera poney ou piscine?Ce qui fait que ceux qui s’?rigent en porte-parole de la base ont beau jeu?vu que la base ne sait pas qu’ils existent. Ils peuvent donc tranquillement dire qu?ils la repr?sentent, ce n’est pas elle qui viendra leur contester la chose, vu qu?elle ne sait m?me pas qu’elle existe en tant que base et moins encore que des gens parlent en son nom.


– JPB : Quel est le bilan de l?administration FFME en poste actuellement ?


– Olivier Aubel : Bin l?, c’est la colle !!! Il m’a sembl? voir que le pr?sident revendiquait l’augmentation du nombre de membres?le fait d’avoir fait progress? la cause ‘des publics en difficult?’?En fait, je vais te dire?je m’en fous un peu car pour l’escalade que je pratique qu’il y ait ou non une f?d?ration n’a strictement aucune incidence?Le jour o? la f?d?ration dira ce que je dois faire sur mon pan n’est pas encore arriv?. Le jour o? la f?d?ration dira ce que je dois faire sur mon spot de bloc?que personne ne connait?voire dans la salle priv?e que je fr?quente?en Suisse?c’est pas demain. Apr?s, j’imagine que la FFME vend un bilan comme toutes les autres f?d?rations qui reprend les indicateurs issus de la convention d’objectifs avec l’Etat.

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