La chronique de JPB : Le poids des ans

Vous savez que ma mère a conservé
mon gâteau de baptême durant 34 ans? Oui, 34 ans passés au congélateur, le
gâteau de baptême! On ne l’a sorti que suite à une panne d’électricité majeure
qui a compromis sa vie éternelle : cette œuvre d’art n’était pas du même
acabit que les produits d’une chaine américaine bien connue qui peuvent demeurer
sur le comptoir de la cuisine durant un an sans changer d’aspect extérieur.
Quelques heures ont suffi à le rendre innommable!

Ce qui explique sans doute ma
propension à tout conserver dans des bacs de plastique rangés dans le sous-sol.
Bon sang ne saurait mentir : je garde des souvenirs de chaque période de
ma vie, de chaque occasion majeure, de chaque rencontre. Et comme je suis le
seul à savoir de quoi il en retourne, il y a de forts risques que le tout se
retrouve dans le bac à déchets au moment où je déciderai qu’il est temps de
m’auto-recycler.

Mes souvenirs ne regardent que
moi et leur importance est toute personnelle. Qu’importe le billet d’avion de
mon premier voyage de ski dans les Rocheuses ou le t-shirt que je portais lors
de ma première visite nocturne à ma flamme de Los Angeles! Il est déchiré
d’ailleurs, ce t-shirt : elle me l’avait arraché de sur le dos!

Mais je ne suis que la lie de la
terre, un inconnu qui ne laissera aucune marque de son passage. Ce n’est pas le
cas pour tout le monde. Une visite à votre musée local pourra vous en
convaincre si vous avez encore des doutes à votre âge.

Il existe un Musée des
Préservatifs à Condom. Un Musée du Slip à Bruxelles. Un Musée des Parasites à
Tokyo. Un Musée du Coinceur à Ajaccio. Un Musée de la Tondeuse à Gazon à
Southport. Et j’ai visité un Musée du Tire-Bouchon à Ménerbes!

On trouve de tout pour tous.

Sauf un Musée de l’Escalade…

Je vais sans doute crier dans le
désert. Ce ne sera pas la première fois et loin d’être la dernière.  Mais imaginez : nous pratiquons un sport
qui existe, en France, dans sa forme ‘’libre », depuis les années 1970. Et je
suis conservateur : je pourrais étendre le libre aux blocs de Bleau des
années 1930…

Or vous chercheriez en vain une
seule trace physique de cette aventure humaine. Il n’existe aucun endroit qui
veille à la préservation de cet héritage. Il n’existe aucune collection. Aucun
répertoire. Aucun dépôt de documents. Aucune base de données pour les entrevues
audio et vidéo. Il n’existe rien de rien!

Je ne blâme pas les fédérations
et les clubs : ce n’est pas leur mandat que de veiller à préserver le
passé surtout qu’ils peinent déjà à organiser le présent et à visualiser le
futur. Et de toute façon, ils le feraient mal : la mémoire collective n’est
bien servie que par des passionnés qui vivent pour le passé, libres de toutes
ingérences partisanes.

Il est urgent – urgent, je le
répète – de lancer le mouvement et de mettre sur pied une structure qui
permettra la récupération de notre héritage communautaire. Nous sommes
chanceux : la majorité des acteurs de cette aventure verticale sont encore
de ce monde et le legs de ceux qui nous ont quittés peut facilement être
rassemblé. Imaginez la mémoire photographique qui dort actuellement dans les
tiroirs de nos prédécesseurs. Pensez aux documents d’époque, aux lettres et
autres communications. Aux cartes. Aux topos dessinés dans de petits cahiers.
Aux notes manuscrites. Au matériel spécifique ( on pourrait rêver à un Musée du
Chausson mais je crains pour la qualité de l’air ).

Ai-je besoin d’en dire plus?

Et bien oui : ce même
endroit pourrait et devrait servir de galerie pour des collections prêtées par
des artistes qui sont aussi des grimpeurs. Des aquarelles des Calanques, des
affiches provenant de compétitions, des dessins variés. De la littérature
aussi.

Nous sommes une pratique sans
histoire et sans culture. Nous sommes à peine mieux que les Cro Magnon qui se
racontaient leurs exploits au coin du feu. Hélas, nous n’avons même pas de
grotte Chauvet pour illustrer notre passage sur Terre!

Nous pestons contre la perte des
valeurs et des traditions qui font l’escalade mais jamais nous n’osons imaginer
un endroit qui serait le dépôt de la mémoire collective et qui servirait à
ancrer ces valeurs pour les générations futures. Vous me direz qu’il y a les
livres d’histoire, les biographies. Je cherche en vain l’épopée du Tarn ou de
l’Alsace, les précurseurs en Normandie et en Bretagne. Je donnerais gros pour
savoir ce qui se cache dans certaines maisons de La Palud ou d’Aix…

Que faut-il de plus pour vous
convaincre d’agir? Un plan? De l’argent? Tout se trouve : si Condom a son
Musée et si les Tire-Bouchons trouvent des amateurs, se peut-il que des âmes
bien nées puissent trouver une solution pour le Musée de la Falaise (ou du
Libre ou de ce que vous voudrez…)?

S’il faut en être, j’en suis!
J’ai déjà pas mal d’expérience dans la conservation…

Je vous laisse donc réfléchir –
en ce Jour de l’An – au passé et à son futur.

Et je vous souhaite une
excellente année 2012.

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