Maintenant que les tensions sont un peu retombées, revenons sur le dramatique accident du Mont Maudit qui a coûté la vie de 9 alpinistes et surtout sur les commentaires qu’ils ont suscités.
Un casse-tête
La prévision du risque d’avalanche est un casse-tête même pour les spécialistes et nombreux sont les experts reconnus qui se sont fait peur ou même sont passés de vie à trépas par le truchement de ce phénomène imprévisible. « Vous êtes peut-être un expert en avalanches, mais la montagne ne le sait pas ! » a-t-on coutume de dire.
Les spécialistes tentent d’évaluer l’instabilité du manteau neigeux, mais ce dernier de par son extrême variabilité peu présenter des zones stables et des zones instables. C’est l’étendue et la répartition des zones instables (hotspots) qui influent sur le risque de déclenchement d’une avalanche de plaque (Lire « Avalanches, 3×3 : La gestion du risque dans les sports d’hiver» de Werner Munter, Editions du Club Alpin Suisse).
Tout comme les météorologistes ne peuvent pas dire qu’il va pleuvoir de 14h32min à 15h17 pour un total de 12mm d’eau a un endroit précis, les spécialistes avalanches ne peuvent pas affirmer qu’une pente va déclencher ou pas. Ils peuvent donner une fourchette de probabilité, traduite par une échelle européenne du risque d’avalanche qui s’étale de 1 à 5, mais en aucun cas affirmer a 100% qu’une pente va ou ne va pas déclencher.
« Il est impossible aujourd’hui – et probablement aussi dans le futur – de calculer avec précision les conditions de déclenchement des avalanches ou la résistance exacte du manteau neigeux aux charges supplémentaires occasionnées par des skieurs. » Bruno Salm IFENA
D’une science exacte à une science humaine
Face au constat de l’incapacité à prévoir de manière fiable les avalanches, et sachant que 90% des avalanches de plaque sont déclenchées par la victime elle-même ou un membre de son groupe, les spécialistes tentent désormais de modifier les comportements afin de réduire la probabilité et les conséquences d’une avalanche.
C’est ainsi que Werner Munter à développé sa « Méthode de réduction des risques », outil précieux pour structurer et rationaliser notre comportement face à la probabilité d’une avalanche.
L’un des critères clef, est la taille des groupes et la distance entre les pratiquants. Il est évident que dans le cas de l’accident du Mont Maudit, une application de ce principe aurait modifié fortement les conséquences de l’avalanche (28 personnes emportées !!)
Par ailleurs le risque d’avalanche était identifiable comme l’explique très bien Yan Giezendanner, prévisionniste Météo-France de Chamonix dans cette vidéo
Regard sur l’imprudence
Je cite ici encore une fois Werner Munter et son livre « Avalanches 3×3 » :
« Du fait que personne n’aime être livré au jeu aveugle du hasard, on entend souvent à la suite d’un accident, des déclarations destinées à se protéger de la part de personnes non impliquées (témoins oculaires ou connaisseurs des lieux). On tente alors de se persuader après coup qu’à la place des victimes, on aurait dominé son sujet et que l’on serait resté maître de la situation. Les formules destinées à conjurer le sort que l’on peut entendre ressemblent alors à ceci : on pouvait le voir venir, on les avait prévenus (des réserves deviennent soudain des mises en garde), jamais on aurait entrepris cette course par ces conditions, etc. Cela tient au simple fait que nous ne voulons pas reconnaître qu’il aurait pu nous arriver exactement la même chose. De telles déclarations protectrices entravent souvent le travail de la justice parce que l’on se base sur des normes faussées.
En psychologie, on appelle cet état d’esprit « survivor’s guilt ». Le meilleur moyen de se protéger contre cette duperie dirigée contre soi-même et cette attribution hypothétique de la faute est de penser en termes de probabilités, de conscience du risque et de connaissance du caractère non calculable des forces de la nature. Reconnaissons-le de temps en temps : cela aurait pu m’arriver aussi, j’ai déjà souvent eu de la chance dans des situations analogues.
Le Mont Maudit présente souvent une crevasse difficile à franchir, générant des « embouteillages » pour les candidats aux « Trois Monts »
J’ai moi-même passé parfois de longs moments dans cette attente, exposé au risque d’avalanche ou de chutes de glace pour ne pas perdre mon tour dans la file.
« Qui s’expose consciemment au danger d’avalanche est soit stupide soit suicidaire. »
Colin Fraser
Faut-il interdire l’alpinisme ?
La moyenne annuelle des accidents mortels liés aux avalanches sur les trente dernières années est de 22 (Source ANENA) En ce qui concerne le ski de randonnée, le CAS (Club Alpin Suisse) avait déterminé que le risque létal moyen était de 1 : 50 000 randonnées effectuées. (C’est comparable au risque lié à l’utilisation de la voiture.)
L’activité la plus dangereuse reste l’himalayisme. Le risque létal dans les expéditions dignes de ce nom (premières ou répétitions engagées) se situe autour de 1 : 25.
50% à 80% des himalayistes trouvent la mort en montagne en raison du risque accumulé, les avalanches n’étant pas la seule cause de mortalité (O.OELZ, Uberlebenskalkül versus Risikoabschätzung beim Expeditionsbergsteigen, in : Jahrbuch 98 der österr.)
La moyenne annuelle des décès en avalanche est donc très faible au vu du nombre de pratiquants et représente un risque « socialement acceptable.
Ceux qui sont très promptes à brandir la menace de l’interdiction devrait mettre en perspective la pratique de la montagne les piscines privées, l’usage de la voiture, ou la cigarette…