Le loup et l’homme

Les attaques du loup contre des humains ne relèvent pas que de l’imaginaire ou du fantasme mais aucun témoignage n’est enregistré avant le Haut Moyen Âge. Dans l’Antiquité gréco-romaine le loup gris n’était pas réputé s’attaquer aux humains. Il constituait uniquement une nuisance concurrentielle pour les éleveurs et les chasseurs. Les attaques sont depuis restées très exceptionnelles, le loup prédateur restant méfiant à l’égard de ce gibier aux réactions imprévisibles. Il lui préfère de loin le mouton que les humains de leur côté élèvent pour son lait, sa laine et sa viande ; d’où une concurrence particulièrement exacerbée [réf. nécessaire]. C’est ce qu’ont établi Gerhardo Ortalli et Robert Delort. [réf. souhaitée] Un dépouillement d’archive non exhaustif dans les registres paroissiaux mené par Jean-Marc Moriceau dénombre à partir des débuts de l’Ancien Régime, jusqu’en 1918, plus de 1100 cas de prédation de l’homme par le loup, nettement distingués des décès suites à des morsures de loups enragés (plus de 400 à partir des mêmes sources), en France (territoire métropolitain actuel), entre les années 1580 et 1842. Les victimes sont en très grande majorité des enfants ou adolescents isolés, voire des femmes se soulageant. Cette prédation de l’homme, jugée inhabituelle par les contemporains eux-mêmes, pourrait être favorisée (selon l’auteur de l’étude) par les guerres et troubles politiques qui, en parsemant les campagnes de cadavres sans sépulture, développeraient chez une minorité de loups un goût pour la chair humaine. Bien que marginaux vis-à-vis de la mortalité sous l’Ancien Régime, ces cas ont eu une répercussion sur l’imaginaire collectif, nourrissant la peur du loup33. Selon l’auteur, l’affaire de la bête du Gévaudan est bien un cas d’anthropophagie lupine qu’il explique scientifiquement. À partir de 1764 un couple de grands loups a pris goût à la chair humaine après la guerre de Sept Ans (1756-1763) épaulés par une dizaine de loups communs prédateurs qui agissaient efficacement dans une contrée en comptant des centaines (et disparaissaient blessés par l’homme dans des ravins), attaquaient le plus souvent des filles, comme à l’habitude au printemps ou pendant des hivers à température clémente (permettant la sortie du bétail). Des journalistes en mal de scoops depuis la fin de la guerre en firent un thème d’écriture à sensation autour de la bête pendant trois ans, le temps de la destruction de tous les loups communs de la région. Toujours d’après Jean-Marc Moriceau les adultes de sexe masculin ne sont attaqués que par les loups enragés dans la mesure où ils s’éloignent souvent de leurs domiciles ruraux, lesquels intéressent seulement les loups anthropophages à la recherche de jeunes bouvières. Toutefois ponctuellement, au début du XIXe siècle, les guerres révolutionnaires et surtout napoléonniennes particulièrement longues, meurtrières et étendues géographiquement, entraînèrent un essor considérable des populations de loups et par voie de conséquence des attaques de soldats par des meutes de prédateurs. L’horreur de quelques attaques réelles ou probables enflamme alors les imaginations: Ainsi on raconte qu’une attaque en pleine nuit de 80 soldats qui se déplaçaient à pied se solda par la mort de tous les militaires qu’on retrouva dévorés au milieu de 200 ou 300 animaux tués dans le combat. Il faut toutefois préciser que le journaliste français Louis Viardot, qui est à l’origine de cette anecdote qu’il situe en Russie en 1812, se contente d’affirmer dans ses Souvenirs De Chasse (1846), qu’on la lui a racontée comme étant authentique, sans autre précision de source ni de lieu. Il la qualifie lui-même ‘d’incroyable’, ce qui ne paraît pas exagéré 34. D’autres attaques de ce genre se terminèrent moins tragiquement : quelques hommes survécurent et devinrent, sous la Restauration, braconniers ou louvetiers35.


Toutefois dans les dix siècles de conflit on peut relever une curieuse exception. Si l’on en croit une étude de Xavier Halard, le loup et l’homme ont bien cohabité en Normandie36. La région dépendait économiquement de la culture fourragère et non du bétail et les épidémies ou famines ne provoquèrent aucun cas d’anthropophagie lupine, à tel point que les louvetiers furent mal accueillis par les populations locales.

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