Que sont les Alpes ?
Il n’y a certainement pas d’autre espace en Europe qui soit autant imprégné d’images emblématiques, de représentations et de sentiments perçus que l’arc alpin. Le seul nom ou une simple photographie des Alpes éveille déjà chez l’individu une association avec des paysages naturels beaux et grandioses en même temps qu’une compensation à la vie de tous les jours à la ville. En règle générale, ces images ne montrent pas des lieux que nous connaissons personnellement et le fait qu’elles nous apparaissent indissociables de la montagne leur confère un caractère d’objectivité.
Cela étant, le fait de consacrer ce livre aux Alpes ne se limite nullement à la contemplation de ces belles images, car elles ne représentent qu’une vision bien déterminée des Alpes qui commença à être popularisée voici bien deux siècles, en liaison avec les débuts de la révolution industrielle. C’est pour cette raison qu’il importe de se demander quel est le contenu de cette vision de la montagne et quelles valeurs normatives elle inclut, afin de considérer le rapport avec la réalité, les problèmes contemporains et les perspectives d’avenir. Du fait que les Alpes ont donné lieu à des images aussi profondément ancrées, les questions que l’on se pose se ramènent avec acuité à la problématique fondamentale des rapports hommes – nature, nature – civilisation, villes – campagnes, travail – loisirs, nation – périphérie. A cet égard, s’occuper de l’arc alpin induit de posséder une bonne connaissance de ce qui se passe en Europe.
Traditionnellement, les Alpes sont apparues comme des montagnes terrifiantes et rébarbatives, les « monts horribles » dans lesquels il ne pouvait être question de vivre, sauf éventuellement pour des « barbares ». Cette image date de deux millénaires et a été colportée par les auteurs de l’époque romaine. Elle est demeurée vivace dans l’histoire de la civilisation européenne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cette vision, propagée loin des Alpes par les populations citadines, s’appuie sur les dangers rencontrés par les premiers voyageurs ayant traversé la montagne et sur l’observation de la vie des occupants primitifs, fondée sur des potentialités précaires de développement d’une économie agraire.
On a souligné également l’absence de grands centres culturels. Tout ce qui précède sous-tend e questionnement suivant : la vie dans les Alpes et la traversée de la chaîne ne sont pas de partout et toujours empreintes de dangers. Précisément, les nouvelles voies romaines permettaient jadis un transit transalpin