Les Alpes du Sud, où l’élevage ovin est très dominant, relèvent des montagnes méditerranéennes et à ce titre contrastent très fortement avec le nord du massif.
La très grande ancienneté des pratiques pastorales façonnant les paysages et les sociétés humaines y est attestée depuis plusieurs millénaires, ce qui interroge l’émergence du concept de naturalité concernant cet espace. La perception de la permanence d’une activité vue comme traditionnelle ne doit cependant pas occulter l’ampleur des mutations qui l’ont affecté dans le passé. À ce titre, la comparaison entre le bouleversement de grande ampleur qui a touché l’élevage pastoral à la fin du XIXesiècle, et le processus actuel de mutation dont on ignore encore l’aboutissement, est riche d’enseignements. Dans les deux cas, l’évolution des politiques publiques et des marchés, mais aussi l’émergence de nouveaux enjeux environnementaux, ont conditionné, ou sont en train de conditionner, l’avenir de l’activité pastorale. Face à des attentes sociétales de plus en plus affirmées, mais parfois contradictoires, les formes d’élevage largement déployées sur l’espace pastoral apparaissent ainsi comme les mieux adaptées pour proposer des produits « naturels » et locaux, mais les plus vulnérables face à l’implantation d’une importante population de loups. Cette contradiction révèle le heurt des valeurs et des représentations entre deux projets de société pour les espaces en déprise, le premier héritier d‘une ruralité entretenant une montagne humanisé, le deuxième porteur d’une « naturalité » axée sur la reconstitution des pyramides écologiques.
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L’élevage extensif et pastoral est pris en tenaille entre ces deux grandes aspirations sociétales fortement vécues comme contradictoires à terme par l’ensemble des acteurs de l’élevage.
La priorité de l’élevage pastoral est d’abord d’assurer son équilibre économique, entre maîtrise des coûts de production, valorisation des produits et négociation des aides publiques reconnaissant son rôle environnemental. Mais son activité de production ne peut se maintenir que dans un environnement favorable en termes d’infrastructures, de disponibilité de parcours à grande échelle, et d’environnement social. À l’heure où il doit relever ses propres défis, l’élevage pastoral ne peut qu’être fragilisé par l’émergence de cette tension entre deux visions de l’espace montagnard ; d’un côté une ruralité qui entretient des paysages humanisés, mais qui est dépendante de financements publics pour maintenir une production qui ne trouve plus seule sa place sur un marché mondialisé ; et de l’autre une nouvelle « naturalité » reposant sur la promotion d’espèces emblématiques dont l’avenir prévaut juridiquement sur celui des éleveurs, et qui représentent à terme des produits d’appel pour un basculement des montagnes vers une économie touristique du sauvage2. Les Alpes du Sud sont pastorales depuis plusieurs millénaires. C’est sans doute le premier massif en France où la « pastoralité » est confrontée au maintien même de son existence dans les décennies à venir, face à de nouveaux groupes de pression.
Source : Revue de géographie alpine
Auteurs : Laurent Garde, Marc Dimanche et Jacques Lasseur
Photos : Estive de Ceuze (Philippe Lemoine, Berger)