Ours ou pas ours?

La présence de l’ours dans les Pyrénées constitue un éternel sujet de discorde entre les pro et les anti-ours. A la différence du grand nord américain où il y a peu d’activités d’élevage, dans les Pyrénées la culture pastorale est très marquée. Alors que les grands prédateurs trouvent facilement leur place en Alaska ou au Canada, la cohabitation vie sauvage/vie domestique dans les Pyrénées s’avère beaucoup plus complexe. Pour mieux comprendre ce débat, Il est possible de se documenter en consultant plusieurs rapports publiés par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) ou en lisant des articles scientifiques publiés par différentes équipes de chercheurs.

Photo 1: Un ours Kodiak, la plus grande sous espèce d’ours brun (Ursus arctos) qui vit dans le sud de l’Alaska (photo perso que j’ai prise en Alaska en juin 2014).

Présence des ours dans le massif pyrénéen.

En 1995, il ne restait que 5 ours dans l’ensemble des Pyrénées françaises. Selon le rapport 2014 de l’équipe Ours du Centre National d’Etude et de Recherche Appliquée sur les prédateurs (CNERA), la population d’ours brun dans les Pyrénées serait aujourd’hui constituée de 31 individus (soit 6 fois plus qu’en 1995) répartis dans deux zones, les Pyrénées occidentales et les Pyrénées centrales.

Figure 1: Aire de répartition de l’ours brun dans les Pyrénées occidentales publié dans le rapport 2014 de l’ONCFS.

Depuis les premières réintroductions d’ours slovènes en 1996 et 1997, la population d’ours dans les Pyrénées centrales est en constante augmentation et elle a été estimée à 29 individus en 2014.

Figure2: Evolution de la population d’Ours depuis 1995 (document issu du rapport 2014 de l’ONCFS).

En revanche dans les Pyrénées occidentales, la population a connu un déclin constant. Elle a été symbolisée par la mort de l’ourse Cannelle en 2004. Cette ourse était alors la dernière représentante du sous-groupe pyrénéen de la sous espèce d’ours brun eurasien Ursus arctos arctos. Aujourd’hui tous les ours présents dans les Pyrénées sont issus de croisements entre les ours pyrénéens et les ours slovènes. Finalement en 2014, dans la partie occidentale de la chaîne, la population est estimée à seulement 2 individus.Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ce déclin, dont voici-les 3 principales:

La pression de la présence humaine (chasseurs, bergers, destruction forêt, tourisme, routes…)

La présence d’un ratio inégale mâle/femelle dans une petite population qui aurait pu conduire à un nombre anormalement élevé d’infanticide (faible survie des oursons) et à une ségrégation sexuelle (faible production d’ourson) (Wielgus et al, 2001). Ce type d’hypothèse a également été suggéré pour des études de dynamique des population des Grizzlys en Amérique du nord (Mc lellan en 2005).

la population d’ours occidentale pourrait également souffrir de son isolement et de sa consanguinité(Laikre et al 1996). C’est le développement de ces deux dernières hypothèses qui a conduit à l’introduction d’ours slovènes pour tenter de restaurer les populations d’ours dans les Pyrénées.

Quelle est la fréquence de rencontre des ours avec les hommes ?

Un rapport publié par le CNERA a établit un bilan des rencontres hommes-ours dans les Pyrénées de 1996 à 2010. Ce rapport indique que 495 rencontres ont été recensées pendant cette période. Les moments les plus favorables pour observer les ours sont compris entre 4h et 8h, et entre 16h et 20h. On a plus de chance de rencontrer un ours si on se promène tout seul ou à deux. Ce sont les randonneurs qui rencontrent le plus souvent les ours (28,7% ) suivi par les membres de l’équipe en charge du suivi des ours (25,4%) et enfin les bergers et les éleveurs (17%). La plupart des observations sont réalisées à moins de 40 m et durent moins de 30 secondes (environ 30 % des rencontres). Pendant les rencontres la plupart du temps, l’animal marche ou s’alimente et dans la grande majoritédes cas (79%) il s’enfuit en courant lorsqu’il aperçoit l’homme.

Figure 3: Bilan des réactions de l’ours après détection de l’homme (issu du rapport scientifique 2011 de l’ONCFS).

Seul 4 cas d’agressivité (2% des rencontres) ont été recensés. A chaque fois une femelle était accompagnée de ses oursons de l’année et a été surprise à courte distance. Cette agressivité se manifeste par des charges ou des intimidations. Cependant dans la plupart des cas, même une femelle accompagnée de ses petits prendrait la fuite lorsqu’elle constate la présence de l’homme.

La question épineuse de l’intégration de l’ours face aux bergers dans les Pyrénées?

Le nombre d’attaques ou de comportements agressifs est très faible, ce n’est donc pas lui qui est directement responsable de l’impopularité de l’ours. En effet, c’est principalement les attaques sur les animaux domestiques qui jouent en sa défaveur. Dans son rapport de 2014, l’ONCFS a recensée 1 attaque sur 1 rucher et 127 attaques sur des troupeaux qui ont tué 178 animaux. Bien que le nombre de brebis tuées dans les Pyrénées par les ours représenterait moins de 2 % de la mortalité domestique (maladies, foudres, accidents…), ces chiffres sont à relativiser. Chaque animal mort est indemnisé par l’Etat, mais les bergers sont souvent en colère pour plusieurs raisons. Une attaque d’ours ne se limite pas aux ovins tués. En effet, l’attaque traumatise le troupeau, les bêtes blessées doivent être euthanasiées et d’autres brebis interrompent leurs gestations et avortent. La lactation des bêtes et donc la production de fromage est aussi interrompue pendant plusieurs jours. L’ensemble de ces facteurs conduit à un manque à gagner pour les bergers. Selon les bergers, les politiques d’indemnisation des éleveurs d’ovins ne seraient pas à la hauteur des conséquences pour leurs troupeaux. Enfin pour un éleveur, quand il perd plusieurs bêtes, il lui importe peu de savoir qu’il y a environ 600 000 ovins sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées.

L’ours, régulateur de son écosystème !

Un article publié en mars 2015 dans la revue Nature Scientific reports illustre comment la pression humaine peut conduire à un basculement écologique impliquant les ours bruns. Depuis la dernière grande glaciation, ce sont les activités humaines qui ont l’impact le plus important sur les écosystèmes. Ces activités affectent notamment les relations interspécifiques comme la chaine alimentaire. Une équipe de chercheur japonais (Matsubayashi et al 2015) vient ainsi de mettre en évidence que durant les 100 à 200 dernières années, la consommation de saumons par les ours bruns de l’Est de l’île d’Hokkaido (dans le nord du japon) est passée de 19% à 8 % et que la consommation d’animaux terrestres est passée de 56% à 5%. L’évolution du régime alimentaire coïncide avec le début de la modernisation de cette région. Ces résultats suggèrent donc que les activités humaines coïncident avec l’altération de la structure de la chaine alimentaire des ours de l’île d’Hokkaïdo. Les chercheurs soulignent par exemple que cette altération a conduit à une modification des liens entre les écosystèmes marins et terrestres. Il y aurait également une perte indirecte des interactions entre les ours et les loups, en raison d’une augmentation de la prédation des cerfs par les ours. Par son rôle de top-prédateur, l’ours exerce bien un rôle important de régulateur des espèces de son écosystème.

L’ours des Pyrénées, symbole d’une biodiversité sur le déclin.

Selon les scientifiques, l’impact des activités humaines est aujourd’hui responsable de la disparition massive des espèces. Les espèces disparaissent aujourd’hui 100 à 1000 fois plus vite qu’avant la période de domination de la terre par Homo sapiens (Lawton et al, 1995, Vitousek et al 1997). L’ours brun des Pyrénées est sur la liste noire, et dans un sens avec la disparition de Cannelle en 2004, le sous-groupe d’ours brun pyrénéen a déjà disparu. La question qui se pose aujourd’hui n’est donc plus de savoir si on peut sauver l’ours des Pyrénées, mais plutôt de savoir si nous avons la volonté de cohabiter avec un grand prédateur dans les Pyrénées. Comme pour les requins bouledogues ou les requins tigres à la Réunion, la présence de l’ours dans les Pyrénées nous confronte à un choix société avec la question de ‘s’adapter à son environnement’ ou ‘d’adapter son environnement’. L’ours semble donc poser pour notre environnement inter-espèces, le même challenge que pour notre société multiculturelle, la question du : ‘Vivre ensemble’.

photo 2: L’ours Cannelle empaillée dans un musée de Toulouse (source wikipedia)

Bibliographie:

Guillaume Chapron, Robert Wielgus, Pierre-Yves Quenette, Jean-Jacques Camarra (2009), Diagnosing Mechanisms of Decline and Planning for Recovery of an Endangered Brown Bear (Ursus arctos) Population, Plos one.

Laikre L, Andre ?n R, Larsson HO, Ryman N. (1996) Inbreeding depression in brown bear Ursus arctos. Biological Conservation 76: 69–72.

J. H. Lawton and R. M. May, Eds., Extinction Rates (Oxford Univ. Press, Oxford, 1995); S. L. Pimrn, G.J.Russell, J. L. Gittleman, T. Brooks, Science 269,347.

Jodie Martin, Eloy Revilla, Pierre-Yves Quenette, Javier Naves, Dominique Allaine and Jon E. (2012) Swenson Brown bear habitat suitability in the Pyrenees: transferability across sites and linking scales to make the most of scarce data, Journal of applied ecology.

McLellan BN. (2005) Sexually selected infanticid ingrizzly bears: the effects of hunting on cub survival. Ursus 16:141–156.

Peter M. Vitousek, Harold A. Mooney, Jane Lubchenco, Jerry M. Melillo (2013) Human Domination of Earth’s Eco-systems, Science.

Wielgus RB, Sarrazin F, Ferriere R, Clobert J (2001) Estimating effects of adult male mortality on grizzly bear population growth and persistence using matrix models. Biological Conservation 98: 293–303.

Rapport scientifique 2011 de l’ONCFS sur l’ours.

Rapport 2014 de l’ONCFS.

Jun Matsubayashi, Junko O. Morimoto, Ichiro Tayas, Tsutomu Mano, Miyuki Nakajima, Osamu Takahashi, Kyoko Kobayashi & Futoshi Nakamura (2015) Major decline in marine and terrestrial animal consumption by brown bears (Ursus arctos) Nature Scientific reports.

Un grand merci à Julien Laurent, auteur de ce texte et ces recherches. Scientifique spécialiste des animaux marins il n’en demeure pas moins passionné par tous nos ecosystèmes.

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