Qu’on le veuille ou non, l’alpinisme est depuis son origine lié à la compétition.
Compétition avec prime au vainqueur pour le Mont Blanc de Balmat et Paccard, compétition entre anglais et italiens sur le Cervin en 1871, Compétition pour la première de l’Everest entre suisses, anglais et français, compétition entre Profit et Escoffier pour les enchaînements de Face Nord des Alpes, compétition pour décrocher le Piolet d’Or…
Et en compétition, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur.
Le grand public n’aime pas les ex-aequo à moins qu’une super finale vienne mettre un peu plus de suspens.
Tout le monde est Piolet d’Or en 2013
Bref, Montagne Magazine, en dénonçant un piolet d’Or où tous les nominés repartent avec le même trophée, a bien compris que cette nouvelle mouture du célèbre évènement n’allait pas faire vendre autant de papier qu’un bon gros vainqueur même (et surtout) polémique.
Oui mais voilà, depuis quelques années, la machine à faire des héros qu’était l’alpinisme a tendance à s’essouffler.
Les mythes de l’alpinisme disparaissent les uns après les autres, et nous n’avons plus les moyens d’en créer des nouveaux. Pourquoi ? Parce que nous avons épuisé les 3 grands critères olympiques (Altius, Citius, Fortius) sans avoir pu nous les approprier.
Altius, le plus haut, a déjà été gravi par toutes les faces, en hiver, en solo, sans oxygène, à 12 ans et même à 78 ans… On a même prolongé le jeu en enchaînant les 7 Summits et les 14×8000. Mais depuis la dernière première (féminine, sans ox…) et quelques essais pour le premier zimbabwéen ou bengali… ou le premier français qu’on attend toujours, mais on ne sait plus trop comment utiliser ce critère.
Citius, le plus rapide, a fait les beaux jours des années 80 avec Profit et Escoffier. Sauf qu’à ce petit jeu, on va vite au casse-pipe. On a bien un record sur l’Everest de temps en temps mais ce n’est plus ce que c’était au temps de Marc Batard. Quand à comparer Ueli Steck en Face Nord de l’Eiger avec Kilian Jornet sur le Cervin… où commence l’alpinisme et où finit le trail technique d’altitude ? Bref, l’alpinisme y perdrait son âme.
Fortius, le plus fort, pâtît de critères stables, de stade ou d’arène aux règles intangibles (relire « La légende d’Aksaï » pour comprendre). Comment comparer du A5 aux confins d’un big wall péruvien, une escalade en 7c sur le granite patagonien et du 3 mixte à 8000m sur la face Ouest du Makalu ? La quadrature du cercle fût tentée lors des derniers Piolets d’Or, elle a généré polémique et désaffection vis-à-vis du prix. Mais les polémiques ont toujours fait vendre du papier…
Alors que faire de ce piolet d’Or ? Comment comparer des performances alors que les critères ne le permettent plus ? Et rechercher un vainqueur, est-il encore en phase avec l’alpinisme d’aujourd’hui ?
Alpinisme et compétition semblaient intimement liés jusqu’à aujourd’hui, mais les choses changent. Aujourd’hui l’alpinisme n’est plus une conquête utilisant la rhétorique guerrière. Gaston Rébuffat a le premier compris que cette époque était révolue et que l’hédonisme prenait le relais. Plus de première, plus de premier, plus de vainqueur, plus de vaincus, juste des alpinistes, partageant le plaisir d’un passage éphémère dans un environnement hostile mais tellement superbe.
Alors que faire d’un Piolet d’Or dans cette nouvelle philosophie de pratique ? Peut-être un moment d’échange, de plaisir des yeux, de partage, un peu comme pouvait l’être les « Connaissances du Monde » a l’époque de leur grandeur (ça existe toujours, si si ! ) mélangé avec « Les journées des expés » et le « Festival de Banff ».
Pas vendeur ? Peut-être pour un magazine mais pas pour le public.
Entre 300 personnes pour la grand-messe du Piolet d’Or dans la salle du Majestic de Chamonix (toujours les mêmes) et une bonne soirée à discuter avec des alpinistes de renom en toute liberté, je sais où j’emmènerais mon fils. Et dans Quelques années, l’alpiniste, ce sera lui, plus moi.
Cedric Larcher