Voici un dernier extrait du livre ‘La grâce de l’escalade’, un essai philosophique sur la grimpe par Alexis Loireau.
‘Le soleil vient de se coucher, je suis le dernier à descendre de la falaise située au sommet d’une montagne isolée qui ressemble à une île. Tout autour de moi en contrebas, des vagues de collines mauves semblent avancer vers l’horizon où elles se fondent dans le ciel immense qui bientôt englobera tout. Soudain, dernier témoin de l’astre solaire disparu, un large banc de cirrus s’illumine au-dessus de moi. Instinctivement, je me retourne et découvre un spectacle étrange. Les nuages éclairent la falaise d’une lumière chaude qui semble irréelle. Pendant quelques secondes hors du temps, à l’endroit où aucune voie n’a été ouverte car la paroi est
déversante et complètement lisse, un homme au corps musclé et aux longs cheveux blancs s’élève rapidement. Son corps est taillé dans la même matière que la falaise, une roche rendue vivante par cette lumière féerique. Il ne grimpe pas en bougeant ses membres, il avance comme une ondulation du rocher dans un mouvement continu et irrésistible. Je le reconnais : c’est le meilleur grimpeur du monde, éponyme de la nouvelle de Bernard Amy. Après une vie entière consacrée à la recherche de la maîtrise de son corps et de l’osmose avec la nature, il a atteint le degré de perfection dont rêvent tous les grimpeurs. Mais il s’exerce toujours. Il consacrera encore de nombreuses années à peaufiner son art. Un jour, il atteindra le stade ultime de son évolution. Sa canne à la main, assis dans un fauteuil face à une aiguille de roc, il n’aura plus besoin de grimper pour ressentir à jamais la grâce de l’escalade.’