Le corps humain n’est pas fait pour vivre au pays de l’oxygène rare. Si l’on pose directement un alpiniste à 8000 m, il risque de mal s’en sortir assez rapidement.
Mais en prenant son temps, en montant progressivement, l’alpiniste en question met plus de chance de son côté. C’est le principe de l’acclimatation. Un principe désespérant de simplicité :
Vous vous sentez bien à cette altitude ? Allez donc vous rendre un peu mal 400 m plus haut. Le lendemain matin, vous vous sentez un peu mieux ? Allez donc vous rendre un peu plus mal 400 m plus haut… et ainsi de suite !
L’alpiniste flirt avec le mal aigu des montagnes (MAM). Il tangente avec les maux de têtes, l’anorexie d’altitude et les vomissements… Le tout en se régalant pendant une semaine de purées sans sel, de soupes lyophilisées et de mueslis à l’eau. Ça vous fait rêver ?
Quand personne de l’équipe n’est malade, que le ciel affiche un bleu fixe pendant 7 jours, que la vue sur les géants himalayens (Manaslu, Annapurna, Dhaulagiri) est chaque jour plus majestueuse ; et que l’acclimatation se solde par l’ouverture d’une jolie voie facile sur un sommet vierge de 6325 m… La réponse est oui, définitivement oui.
Par des alpages et des collines nous gagnons de l’altitude. 4600m, 4700m, 4810m… A 4850m nous décidons de poser notre bivouac sur la rive droite de la rivière « Chhungma Khola ». C’est bien suffisant pour la première journée. Les premiers signes de maux de têtes ne sont pas très loin. La nuit est bonne pour l’ensemble de l’équipe et nous repartons le lendemain à 10h. Nous suivons la rive droite de la Chhungma Khola à travers une moraine délicate et gagnons progressivement du terrain. Vers 12h30 nous trouvons un emplacement de bivouac bien confortable, cette fois en rive gauche de la rivière. 5300m. Nous avons progressé de 400m, contrat rempli. Les attentes sont parfois longues durant ces phases d’acclimatation. L’activité physique est à déconseiller pour permettre au corps de s’adapter à ces altitudes chaque jour un peu plus élevées. Lecture, jeux de cartes, mots croisés ou simplement discussions, nous occupent jusqu’au prochain rendez-vous : le repas du soir. Le menu est le même pour la semaine : une soupe lyophilisée, une purée accompagnée de protéines végétales, une tisane, un carré de chocolat noir… et bonsoir ! La nuit tombe aux environs de 19h et nous restons dans les tentes jusqu’au lendemain 7h.
Mercredi 2 septembre. Ces nouvelles altitudes commencent à faire un peu mal au crâne de Cyril. Associé à une mauvaise nuit, le test de l’oxymètre est formel. Il doit rester à cette altitude pour une journée et une nuit de plus. Pas question de gagner 400m, sous peine de tomber vraiment malade et de devoir redescendre jusqu’à Lo Manthang.
Sur l’arête du Chhungma Himal
Cyril nous raconte ses premières expériences avec la haute altitude et les expés :
« Tout ceci se passe dans des endroits inconnus pour moi, dans des régions étranges où nous nous promenons en basket jusqu’à des altitudes supérieur au plus haut sommet des alpes. Je pars ainsi avec mes compagnons, gros sac sur le dos, marcher jusqu’à 4900m à travers les pâturages du Haut Mustang pour un premier bivouac. Les nuit sont et vont être longues, 19 h le soleil est déjà parti, nous nous réfugions donc sous les tentes, bien étroites.
Carte acclimatation
Le lendemain matin c’est reparti pour gagner 400 m de plus et arriver à 5300 m pour notre deuxième nuit, nous utilisons la méthode dite de l’escargot. Les sacs sont lourds et la progression n’est pas très agréable dans un dédale de rochers. Les premiers maux de tête apparaissent, la respiration est plus difficile et le cœur accélère mais l’homme ne va pas plus vite.
La deuxième nuit comme les quatre prochaines ne s’annoncent pas bien reposante pour l’organisme, on tourne et on se retourne dans son duvet, la tête dans un étau. Celle-ci fut tellement mauvaise que nous restons à cette altitude pour y passer une deuxième nuit. Les parties de carte et une petite balade à 5600 m occupe la journée avant cette troisième nuit. »
Pour les 2 Sébastien, Antoine et Max, la progression de l’escargot continue. Nous grimpons de raides moraines aux blocs plus ou moins instables pour gagner un plateau à l’altitude 5900m. C’est un peu haut, mais il s’agit du seul emplacement « confortable » de bivouac que nous avons trouvé pour passer une nuit correcte. Au lendemain matin, les esprits sont un peu hypoxiques. Une grande pente d’éboulis puis une belle arête de granite nous porte jusqu’à un replat neigeux à 6150m. Nous apercevons le sommet. Un coup d’œil sur la carte nous montre qu’il culmine à 6325m et qu’il n’a pas de nom… Ce sera pour demain, si la nuit n’est pas trop mauvaise. Nous joignons la deuxième équipe (Pierre, Didier et Cyril) par téléphone satellite. Ils ont rejoint notre bivouac de la veille (5900m) et nous sommes heureux d’apprendre qu’ils vont tous bien.
Vendredi 4 septembre. La vue est toujours superbe au réveil. Les maux de têtes et la nuit pénible semblent secondaires. Nous nous préparons lentement et difficilement pour un « push » vers le sommet. Une surprise nous attend : Pierre nous rejoint. Il a 31 ans aujourd’hui et semble bien motivé pour s’offrir son premier 6000m. L’arête alterne entre superbe granite et éboulis verticaux. Une courte pente de neige/glace à 40°, un dernier ressaut rocheux et nous voilà tous les 5 au sommet avec le sourire. 6325m. La vue est encore plus belle avec d’un côté les plateaux tibétains et de l’autre les géants himalayens. Nous décidons de repasser une nuit à 6150m pour optimiser l’acclimatation. Le lendemain matin, Pierre Didier et Cyril rejoignent le sommet. Leurs sourires nous font du bien.
Nous décidons de nommer le sommet « Chhungma Himal » et proposons pour cette nouvelle voie : « L’arête de la Duchesse » (400m – PD).
La région du Mustang s’est révélée être un excellent choix pour l’acclimatation : Un superbe créneau météo avec 7 jours de grand beau, une vue majestueuse, 6 nuits au-dessus de 4850m et un sommet vierge de 6325m.
Texte : Caporal Antoine Bletton
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