Retour avec la championne Muriel Sarkany après la réalisation de ‘Punt-X’ 9a à Déversé (Alpes maritimes) jeudi dernier.
Photo : Roman Bayon
– Kairn : Depuis quand essayais tu la voie ? Décris comment s’est passé le processus de travail de la voie depuis la première visite ?
– Muriel : J’ai fait une première montée l’été dernier pendant que je tapais des essais dans ‘Ultimate Sacrifice’ (8c+). Je me suis vite rendue compte que malgré la fait que je n’enchaînais pas du tout les sections, j’arrivais à faire la plupart des mouv’ et surtout ça n’avait pas l’air morpho 😉 Après avoir enchainé ‘Ultimate’ fin août, je n’avais pas envie de me remettre tout de suite dans un projet. Et je l’ai vraiment essayé dans le courant du mois d’octobre, avec déjà un super essai fin octobre. Après la pluie a très vite mouillé la falaise et j’ai donc dû abandonner la mort dans l’âme ;-).
Cette année à cause des pluies je n’ai pu retourner dedans qu’au mois d’aoùt mais il faisait beaucoup trop chaud.. Je suis ensuite revenue courant du mois de septembre et en octobre mais malheureusement les bonnes condis n’étaient pas au rendez-vous.
Photo : Roman Bayon
C’est vraiment mi-octobre que j’ai pû commencer à taper de vrais essais et après un break de 3 semaines à Bruxelles, je suis revenue samedi hyper motivée. J’avais un peu peur des condis actuelles dans les gorges (pluies, humidité, froid;-), que la falaise ne résurge et que je sois à nouveau obligée d’abandonner si près du but !
Mais cette après-midi, alors que la journée commençait très froidement, qu’on commençait à voir de la neige sur le sommet des falaises en face de Déversé et qu’il y avait des nuages, tout d’un coup, après mon échauffement, le soleil est apparu et j’ai eu les condis que j’attendais pour concrétiser mon
projet.
Photo : Olivier Appourchaux
– Kairn : Décris ce jour spécial de la réussite, c’est pas trop tard mi-novembre pour faire des coches à Déversé ?
– Muriel : Dès le matin, en ouvrant le rideau et en regardant par la fenêtre embuée du lit de mon camion, un bonnet sur la tête à cause du froid de la nuit et voyant les sommets blancs de givre autour de Vence, ce n’était pas gagné 😉
Malgré tout, étant donné que dans ma tête à la même époque l’année dernière j’ai du faire marche arrière, à cause des prises mouillées dans la voie, je me suis dit que peu importe tant que c’est encore sec, je continue à fond !!!!!
En arrivant à la falaise il y avait ce petit brouillard froid et glacé et j’ai du me botter les fesses pour m’échauffer doigts et pieds gelés en espérant que les degrés augmenteraient légèrement d’heure en heure.
A 14h09 le soleil éclairait ‘Punt-X’ et apportait avec lui cette douce chaleur qui m’a redonné espoir. A ma première montée je fais mon meilleur essai et je tombe à l’avant dernière prise de la partie dure.
Je vois le soleil qui disparait petit à petit et je me demande si je retape un essai tant qu’il est encore là, sous peine de ne pas avoir complètement récupéré ou de prendre le risque de grimper sans soleil mais mieux physiquement. Je choisi la 2ème solution.
Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans la voie. Je passe les premières difficultés sans soucis et avec fluidité. Arrivée à la dernière réglette main gauche et un petit mono main droite j’envoie de toutes mes forces sur la dernière prise.
Une fois passé ce dernier mouvement dur, il ne me reste plus qu’une dalle en 6b/6b+, je sens la nervosité m’envahir mais après quelques respirations amples, histoire de me calmer, je termine la voie et clippe enfin le relais de ‘Punt-X’ en hurlant de joie!!!
Avant de redescendre, je récupère ‘la cagnotte’ que Seb Bouin m’a laissé au relais après l’avoir enchainé lui-même 😉
Photo : Olivier Appourchaux
– Kairn : Au final, comment analyses tu les difficulté de cette voie, ce qui t’a posé le plus de problèmes ?
– Muriel : Dès le début, ce qui m’a posé le plus de problèmes c’est le milieu de la voie. Initialement, ce n’est pas là le plus dur mais pour mon 1m53 ça a été un casse-tête. Il s’agit d’aller chercher une inversée main gauche et de la remonter avec une grosse lolotte pour prendre une pince pas trop bonne mais pour moi il était impossible de garder les pieds si bas. J’ai dû donc trouver une alternative : ‘très joli à regarder mais mort dur’ d’après les locaux ;-). J’avais trouvé un semblant de méthode mais ça passait
une fois sur 10. Tout d’un coup, j’ai enfin trouvé la solution en sentant un équilibre de pieds parfait pour réaliser le mouv’ à chaque fois, à partir de ce moment-là j’ai fait la voie au 11ème essai (le temps de gagner en rési dans la voie ;-).
Il est vrai aussi qu’au début du travail, je ne pouvais pas faire plus d’une montée et demi par jour et 1 jour sur 2. Et sur la fin, 2 montées par jour, 1 jour sur 2.
– Kairn : T’es-tu entraîné spécifiquement pour faire ‘Punt-X’ ? quelle qualités nécessitent cette voie pour toi ?
– Muriel : Je ne me suis pas vraiment entraînée spécifiquement pour ‘Punt-X’ mais depuis l’année
dernière, chaque fois que j’ai eu besoin de motivation pour m’entraîner, je le faisais entre autre pour être en forme pour retourner dans ‘Punt-X’.
J’ai beaucoup grimpé en falaise, un peu en salle en Belgique : rien de neuf ! Je me sens super bien physiquement, pas de blessures et super bien mentalement aussi. Je cours 2 à 3 fois par semaine, ce qui me donne une bonne récup générale.
Et je ne mangeais plus que 2 carrés de chocolat le soir au lieu de 4 😉 (on a quand même besoin de Magnesium hein ;-).
Le mental dans cette voie était tout aussi important que le physique. Plus que dans n’importe qu’elle voie ! Les condis étaient primordiales également et elles ont été très rares cette année. Trop chaud, trop humide, trop froid,…
Il est également important d’être bien entouré car on a besoin d’encouragements dans les moments difficiles. C’est la voie la plus dure que j’ai travaillé et il y a eu des hauts et des bas…Des méformes les jours de bonnes condis car on sait qu’elles sont rares et on se met la pression. L’angoisse lorsqu’il pleut averse pendant 2 jours, de peur que la falaise ne soit trempée.
Faire quelque chose de différent les jours de repos était aussi hyper important pour moi et les gorges du loup s’y prêtent à merveille : shopping à Nice, balade à la mer, apéro en terrasse à Saint Paul de Vence, vendanges à Tourettes-sur-loup, aquarium et musée océanographique de Monaco,… 😉
Photo : Olivier Appourchaux
– Kairn : Tu avais réalisé là-bas il y a un an et demi ton premier 8c+ avec ‘Ultimate Sacrifice’, Déversé semble te convenir ou te plaire particulièrement.
– Muriel : C’est vrai que c’est un endroit qui me plait beaucoup! Je suis venue grimper pour la première fois en 2011 car je cherchais une nouvelle falaise pour grimper l’été. Alex Chabot m’avait beaucoup parlé de Déversé, alors je suis venue voir.
Il y a beaucoup de voies dures et dans un style qui me plait (déversant et résistant). Les locaux sont aussi une très bonne raison de revenir. Il y a une super ambiance et on se sent comme à la maison. En plus les jours de repos, il y a la mer et la montagne, c’est top pour faire autre chose. Aussi, chaque fois que je finissais un projet, j’avaisencore du temps sur mon séjour, j’en essayais alors un nouveau et j’étais donc ‘obligée’ de revenir le terminer et ainsi de suite jusqu’à ‘Punt-X’. Maintenant stop je vais grimper ailleurs 😉
– Kairn : Réaliser un 9a était-il un de tes objectifs en falaise ou tu as seulement commencé à le projeter après être allé dans la voie ?
– Muriel : Non, je voulais faire un 9a, après l’arrêt des compètes fin 2010 j’avais très envie de faire plus de falaise, j’avais déjà fait quelques 8b+ et un 8c et je sentais que je pouvais faire plus dur 😉 et évidemment faire un 9a était le but ultime !
L’année dernière après avoir réalisé quelques 8c et un 8c+, j’avais encore plus envie de repousser mes limites, c’est comme ça que, un peu par hasard, j’ai aussi essayé Punt-X. Lors de ma première montée, je n’ai pas pu aller jusqu’au relais mais même si je ne faisais pas encore tous les mouv’s, j’avais un très bon feeling dans la voie et ça m’a donné encore plus envie de la réessayer 😉
Photo : Roman Bayon
– Kairn : Penses-tu avoir atteint tes limites avec cette réalisation ou penses-tu être capable de réaliser des voies plus dures dans le futur ?
– Muriel : Au début que je travaillais Punt-X, je n’aurais jamais dit ça mais maintenant que je l’ai enchainée et que je me suis sentie terriblement progresser en la travaillant et que je me sens super bien physiquement. Je sens que mon corps n’a pas encore atteint ses limites 😉
J’aurais donc envie de dire oui, je pourrais essayer plus dur mais encore faut-il trouver une voie qui me convient, surtout en taille ;-).
Mais je me rends compte que pour pouvoir réaliser quelque chose de plus dur, il faut soit avoir son projet à côté de chez soi soit être grimpeur professionnel, vivre de l’escalade et pouvoir passer tout son temps en falaise. Car déjà pour Punt-X ce n’était pas facile de ne pas rester sur place jusqu’à l’enchainement en devant rentrer régulièrement en Belgique et de ce fait rater régulièrement des bonnes condis !!
Mais ça ne m’empêchera pas d’essayer 😉
– Kairn : Quelles voies ou destinations te font rêver ?
– Muriel : En ayant déjà pas mal voyagé dans ma vie, je me suis rendue compte qu’au niveau des falaises, nous avons beaucoup de chance en Europe ;-).
Néanmoins, les images et les récits que j’en ai eus me donnent fort envie d’aller à Red River Gorge. La Norvège avec Flatanger semble aussi être une super belle destination.
Au niveau des voies, ‘just do it’ à Smith rock m’a toujours fait rêver et évidement les voies dont on parle dans les médias me font également envie : « Era Vella », « pure imagination », et sûrement encore d’autres que j’oublie 😉 Mais en général, j’ai remarqué que lorsque je vais à une falaise dans l’idée d’essayer un projet dont on m’a parlé, j’en trouve finalement un autre plus à mon goût.
Photo : Roman Bayon
– Kairn : Devenir championne du Monde comme en 2003 ou réaliser un 9a, quel est le plus bel aboutissement pour toi ?
– Muriel : Je n’ai aucune envie de faire un choix entre les deux car ce sont 2 évènements qui comptent autant pour moi l’un que l’autre, à différents moments de ma vie. Gagner le championnat du monde était pour moi un immense moment de joie et de fierté dans ma carrière de compétitrice et réaliser ce 9a aujourd’hui est pour moi également une grande fierté et une immense joie dans ma vie actuelle de grimpeuse. Mais contrairement aux compétitions, je sens ici que je peux faire plus, il n’y a pas de limites 😉
– Kairn : En compétition, tu étais une des plus petites du circuit (1 m 53), comment t’y prends tu pour optimiser ta grimpe dans des voies si dures avec ta taille ? Le travailles-tu spécifiquement et comment ?
-Muriel :Je ne sais pas si je m’entraîne différemment qu’un grand car j’ai toujours été petite 😉 En gros, je dois très souvent trouver mes propres méthodes, souvent très dures, d’autres pieds, des petites intermédiaires qui n’intéressent personnes d’autre 😉 et parfois se résigner à abandonner lorsque je ne trouve aucune solution ou que la voie devient beaucoup trop dure.
A côté de ça, je dois pallier mon manque de centimètres par plus de force dans les doigts, un méga gainage et un très bon mental ;-). Il arrive aussi que je ne puisse pas utiliser un genou salvateur pour cause de petites gambettes ;-).
Photo : Roman Bayon
– Kairn : Ces 3 dernières années, on assiste à de multiples réalisations de haut niveau de la part de féminines jeunes ou moins jeunes. Le haut-niveau féminin est-il en train d’exploser pour toi ?
– Muriel : Oui, le niveau féminin à fort augmenté au fil de ces années tout comme le niveau masculin. Je pense que c’est une évolution normale des choses, tout comme le niveau en compétition.
– Kairn : Quel regard portes-tu sur le monde des compétitions depuis que tu t’es retirée il y a 3 ans ?
– Muriel : Je n’ai pas vraiment d’avis sur le milieu de la compétition actuel car pour être honnête, je ne suis plus du tout ce qui se passe. De temps en temps, j’entends un résultat par hasard en falaise par un autre grimpeur mais c’est tout. Je suis juste heureuse de voir que la relève Belge est assurée par Anak Verhoeven et Loïc Timmermans 😉 Ça me fait très plaisir.
Photo : Roman Bayon
– Kairn : Le fait de ne pas devenir olympique dans l’immédiat est-il pour toi décevant ? Comment améliorer les choses pour toi qui as été porte-parole des athlètes ?
– Muriel : C’est vrai que c’est un peu dommage après tous les changements faits pour adapter l’escalade de compétition pour devenir olympique. Beaucoup de nouvelles règles ont été ajoutées comme la suppression des « super finales » pour départager les ex-aequo. Je trouve, pour en avoir fait beaucoup dans ma carrière, que c’était un super moment : ‘le choc des titans’. Et est plus juste que de simplement prendre le temps de grimpe.
Mais même si nous n’avons finalement pas été sélectionnés pour devenir olympique, l’avantage malgré tout est que ça a un peu attiré l’attention sur l’escalade et de ce fait attiré un peu de nouveaux sponsors, ce qui ne fait pas de mal aux grimpeurs. Ca a également permis de booster la mise en place d’un « live streaming » des compétitions que je trouve vraiment génial autant pour la visibilité et la médiatisation des athlètes que pour le public où qu’il soit.
– Kairn : Comment envisages-tu la suite de ta carrière à moyen/long terme ?
– Muriel : Je pense tout simplement continuer ce que je fais aussi longtemps que possible. Essayer de nouveaux projets, grimper un max de nouvelles voies quel que soit le niveau et continuer à me dépasser toujours plus car j’adore ça ! En parallèle, je suis en train de terminer mon brevet d’entraineur car j’ai découvert qu’entrainer me plaisait énormément. Que ce soit pour le haut niveau ou pour des passionnés qui veulent progresser à leur propre niveau.
Concrètement au niveau grimpe, je retournerais bien en Espagne cet hiver, vers Margalef ou Santa Linya où il me reste encore 2 chantiers 😉 que j’ai démarré au début de cette année après ‘Fabelita’ et ‘Fish eye’ mais malheureusement pas avant fin janvier car je dois bosser un peu en Belgique avant ça.
Photo : Roman Bayon