Interview-portrait : Barbara Zangerl

Kairn s’est entretenu dernièrement avec la grimpeuse autrichienne Barbara Zangerl. Barbara est connue pour avoir été la première féminine dans le 8B bloc à 19 ans avec « Pura vida » à Magic Wood (en 2008). Depuis, une blessure au dos l’a éloigné du monde du bloc et « Babsi » s’épanouit pleinement en falaise et notamment en grande voie. Elle a répété le printemps dernier ‘Hotel Supramonte’ en Sardaigne et vient notamment de répéter récemment ‘Delicatessen’ à Bavella en Corse. Rencontre avec cette mordue de falaise. Les images qui illustrent cet entretien sont signées Nicolas Renard ou issues de sa collection personnelle. 

Photo : Nicolas Renard

– Kairn : Quand est-ce tu as commencé l’escalade ?
– Babsi : Quand j’avais 14 ans. J’ai débuté pendant une année avec du bloc en salle puis après un an j’ai commencé en outdoor. J’ai fait quelques compétitions mais ce n’était pas mon truc, je préfère le caillou !

– Kairn : Qu’as-tu pensé de Delicatessen que tu viens de réaliser ?
– Babsi :
Pour moi, c’est l’un des plus belles grandes voies que j’ai jamais gravi. C’est fascinant de voir un rocher si compact, avec ces couleurs extraodinaires et ce rocher orange. Tu peux trouver des micro-réglettes et aussi des grosses prises aux formes peu communes. Il y aussi le fait que c’est extraordinaire de pouvoir passer dans certains passages avec presque rien dans les mains et les pieds. Je tiens à faire des compliments à Arnaud petit pour avoir trouvé et équipé ce joyau !

– Kairn : Tu es connue pour avoir été la première féminine dans le 8B bloc. Tu as travaillé « Pura vida » naturellement car ça te plaisait ou plus une recherche de la difficulté ?
– Babsi : Avec un très bon ami (ndlr : Bernd Zangerl, qui porte le même nom mais n’a aucun lien de parenté avec Barbara) on a trouvé et brossé le bloc. Ils ont essayé un petit peu, puis j’ai réussi à faire tous les mouvements. Deux ans après, j’ai entrepris le travail du bloc sérieusement et c’est allé très vite. En comptant les journées, j’ai mis 16/17 séances pour réussir.

– Kairn : Tu as été une pionnière du bloc féminin dans un milieu très masculin, est-ce que cela t’as gêné pour t’exprimer pleinement ?
– Babsi : Cela m’a surtout aidé. J’étais la seule fille à faire du bloc dehors avec les gars donc automatiquement j’avais envie de faire pareil, d’essayer les mêmes problèmes. Donc je pense que c’est un peu comme ça que j’ai progressé.

– Kairn : Que penses tu de la récente performance d’Ashima Shiraishi (8B bloc à 10 ans) ?
– Babsi :
Ashima, impressionne tout le mondeEspérons qu’elle se ne pas trop poussée par ses parents parce que c’est encore une fille très jeune et à mon avis il est aussi très important que les enfants ne reçoivent pas trop de pression avec la pratique intensive de l’escalade ou d’autres sports. Ils devraient rester dans un mode ludique ! Mais bien sûr, il est étonnant qu’une fillette de 10 ans puisse réussir des blocs aussi durs. Elle est très petite, je pense que ça doit être dur de trouver desblocs durs adaptés, où elle peut avoir l’allonge dans chaque mouvement. Donc je suis très impressionnée ! Félicitations !

– Kairn : Depuis, tu as des problèmes de dos qui t’empêchent de refaire du bloc à haut niveau. As-tu eu un passage à vide ?
– Babsi : Bien sûr, ça m’a ennuyé. J’ai su que je ne pouvais pas reprendre le bloc comme avant. Du coup, après une bonne pause, je me suis mis à faire des voies, et je me suis réglée là-dedans. C’est comme un autre chapitre qui s’est ouvert. Grâce à ma blessure j’ai découvert tout un autre milieu que j’aurai peut-être jamais découvert autrement !

Photo : Heiko Wilhelm

– Kairn : Qu’est ce qui s’est passé avec ton dos et comment tu adaptes ton escalade à ton handicap ?
– Babsi : Je me suis fait une hernie discale, donc mon disque intervertébral est foutu.  Le cœur de mon disque presse contre le nerf, mais du coup, je dois faire attention à ne pas trop forcer. Ce qui est important, c’est de faire de la bonne physio. Je me force à continuer à faire de la kiné en complément de l’escalade car je dois encore récupérer. J’ai par exemple beaucoup de mal à tenir les inversées. Je travaille énormément mes lombaires et les gainages pour renforcer ma ceinture abdominale pour éviter les pressions et les risques de récidive.

– Kairn : Malgré ta blessure, t’entraines-tu encore en indoor et comment ?
– Babsi : Oui c’est très important que je continue à m’entrainer en salle car si j’essaie un projet dur en falaise sans garder la forme j’ai des risques de me refaire mal. Je fais pas mal de pan Güllich et des voies. J’évite par contre le bloc en salle, trop traumatisant.

– Kairn : Tes projets en escalade ?
– Babsi : Ce printemps je prends du bon temps, je grimpe un peu partout en escalade sportive. Cet été, j’ai deux projets en grande voie. Le premier c’est une fissure en 8a en trad « Superkiril » en Suisse dans le Tessin et mon deuxième projet est « End of silence » (ndlr : la grande voie des frères Huber dans les Alpes bavaroises, 11 longueurs, 8b+).

– Kairn : Tu es sponsorisée par Adidas. Tu es grimpeuse pro où tu travailles à côté ?
– Babsi : Je suis à moitié pro. Je reçois des sous de mes sponsors d’un côté mais je travaille à côté dans un hôpital, je suis radiologiste. C’est important pour moi de faire autre chose, de sortir de ne pas dépendre que de l’escalade. Ca m’aide du coup aussi à prendre du recul par rapport à ma blessure. Je ne suis pas stressée à l’idée de perfer à tout prix !

Barbara dans Hotel Supramonte l’an dernier (photo : coll. Zangerl)

– Kairn : L’Autriche est une nation très forte en compétition depuis quelques années. Comment analyses-tu cet essor ?
– Babsi :
Je pense qu’un des moteurs est le fait qu’ils s’entendent tous très bien. Du coup, tu t’entraines avec tes meilleurs amis, c’est super motivant. Et comme ils sont tous très forts, le niveau de motivation est très élevé. Le succès du team c’est la cohésion, un groupe d’amis.

– Kairn : En ce moment, la haute difficulté féminine est en plein boom. Comment tu l’analyses ?
– Babsi : Oui, le niveau féminin se rapproche de plus en plus du niveau des mecs. L’entrainement en salle est primordial. Il faut une bonne préparation pour aller sur le rocher en forme. Je pense que la plupart des filles qui perfent actuellement s’entraine vraiment très dur avant. Et que c’est la clé de la réussite.

– Kairn : Ta falaise préférée ou un endroit où tu aimes te rendre régulièrement pour te ressourcer ?
– Babsi : En hiver, j’adore le Tessin car j’adore grimper sur le granite. Mais à part cet endroit, j’éprouve la nécessité de changer tout le temps de lieu de pratique.

– Kairn : Un grimpeur qui t’inspire ou qui te motive ?
– Babsi :
Il y a beaucoup de grimpeurs qui m’inspirent énormément mais pas un en particulier. Ce qui m’inspire c’est quand des grimpeurs proposent des trucs nouveaux, comme des premières ascensions par exemple.

Photo : Nicolas Renard

– Kairn : As-tu des hobbies à côté de l’escalade ?
– Babsi : Hiver comme été j’adore faire de la rando, et j’adore aussi revêtir la robe autrichienne pour les fêtes traditionnelles dans mon pays ! (rires)

– Kairn : Quel conseil pourrais-tu apporter aux autres grimpeurs ?
– Babsi : La grimpe c’est tellement bien. Le conseil que je peux donner, c’est d’essayer de voyager le plus possible, rencontrer des nouvelles personnes, de nouvelles falaises. Peut-être ne pas être bloqué sur toujours enchaîner des voies dures. Bien-sûr c’est intéressant. Mais il faut aussi prendre le temps de respirer sans se prendre la tête, de concevoir la grimpe dans son ensemble. Sentir ce que la grimpe peut nous donner, pas que forcément se prendre la tête avec des trucs à la limite de notre niveau. Il faut tout mélanger.

– Kairn : Points forts et points faibles en escalade et dans la vie ?
– Babsi :
Justement, en escalade, ce qui peut-être un point faible comme un point fort est que quand un projet me motive, je suis trop à fond dessus. Je peux développer des forces surnaturelles pour y arriver ! Dans la vie en général, ce trait de caractère revient aussi je suis souvent très (trop ?) persévérante dans ce que j’entreprends. Un autre point fort plus technique,  c’est que j’ai toujours été très à l’aise sur petites réglettes, notamment en bloc.

– Kairn : Un petit mot de la fin par rapport à l’escalade en France et aux français ?
– Babsi :
En France, j’ai déjà grimpé à Bleau et à St-Léger. Bleau c’est le potentiel de grimpe le plus beau au Monde pour moi. Par rapport au français, c’est une langue difficile et malheureusement je ne comprends rien du tout à votre langue ! (rires) 

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