La Chine a-t-elle trop misé sur l’IA ? Des signaux inquiétants émergent

En quelques mois, la Chine a injecté des sommes colossales pour devenir un leader mondial de l’intelligence artificielle, construisant des centaines de centres de données. Pourtant, une partie significative de ces installations reste inoccupée, faute de demande réelle. Ce paradoxe soulève la question : qu’est-ce qui a mal tourné dans cette stratégie audacieuse ? Malgré l’enthousiasme médiatique et l’appui gouvernemental, l’intérêt du marché paraît s’être essoufflé.

Des centres de données IA inutilisées en Chine

Entre 2023 et 2024, Pékin a encouragé les autorités locales à lancer plus de 500 projets de centres de données dédiés à l’IA, avec au moins 150 achevés fin 2024 (Commission nationale du développement et de la réforme). Les investissements publics et privés ont été considérables, visant à anticiper une demande croissante en location de processeurs graphiques (GPU).

Pourtant, au lieu d’une explosion des usages, la demande a culminé puis décliné brusquement. Résultat : de nombreux opérateurs se retrouvent à gérer des installations flambant neuves… sans utilisateurs. Dans plusieurs provinces centrales et occidentales, où l’électricité est moins chère, les centres peinent à attirer des clients à cause des exigences de faible latence. À Zhengzhou, par exemple, un ingénieur distribue des bons de calcul gratuits pour inciter des start-up locales à tester ses serveurs : « On propose des heures de GPU en cadeau, mais peu répondent aujourd’hui ».

Dans certaines régions, faute de contrats long terme, des développeurs mettent en vente leurs cartes graphiques. Sur les groupes WeChat autrefois très animés autour de la revente de puces Nvidia, les discussions ont désormais presque disparu. « Tout le monde semble vendre, mais très peu achètent », confie Xiao Li, gestionnaire de projet dans le Henan. Cette situation reflète un risque de surcapacité : si de nouvelles fermetures ou reventes arrivent en masse, cela pourrait saturer le marché, faire baisser davantage les tarifs et fragiliser un secteur déjà sous pression.

Un virage technologique mal anticipé

L’émergence de DeepSeek, leader dans l’open source, a aussi bouleversé la donne. Lancée en janvier 2025, son architecture R1 offre des performances sur le raisonnement en temps réel (inférence) comparables aux grandes solutions propriétaires, mais à un coût nettement inférieur. Ce bouleversement a fait basculer l’intérêt des entreprises de l’entraînement de modèles à l’inférence instantanée. Or, la majorité des centres construits l’année précédente avaient été conçus pour héberger des infrastructures d’entraînement à grande échelle, privilégiant la puissance brute à la réduction de la latence. Résultat : un décalage entre les besoins nouveaux, basés sur l’usage en direct, et les capacités actuelles des installations.

La Chine maintient ses investissements

Malgré ce constat préoccupant, Pékin ne baisse pas les bras. Un symposium sur l’IA a été organisé début 2025, rassemblant experts, universitaires et représentants des géants technologiques. Alibaba et ByteDance ont annoncé chacun plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaire pour renforcer leurs infrastructures et développer des services cloud adaptés à l’inférence (d’après des déclarations officielles des entreprises).

Pourtant, dans les salons feutrés de Shanghai et Shenzhen, l’ambiance est plus mesurée. Les investisseurs qui avaient parié sur la location de GPU voient désormais leurs perspectives de retour sur investissement fondre comme neige au soleil. Les infrastructures sont en place, mais la demande réelle tarde à se matérialiser, laissant planer un doute sur la viabilité à moyen terme de ces projets.

Au final, la Chine se trouve à un tournant : elle a posé de solides bases pour ses ambitions en IA, mais doit maintenant adapter ses stratégies pour répondre à l’évolution rapide du marché global. Plusieurs acteurs s’accordent à dire qu’il s’agit d’une phase de « remise à niveau », où l’accent sera mis sur la modularité, la consommation d’électricité optimisée et l’amélioration de la connectivité réseau.

Dans ce contexte, la leçon à retenir est que, même avec des investissements colossaux, la réussite d’un projet d’IA repose sur la capacité à aligner infrastructures, technologies et usages concrets. De nombreux ingénieurs expliquent désormais qu’ils ne construisent plus de grands centres « d’un seul bloc », mais montent progressivement des modules capables de passer de l’entraînement massif à l’inférence réactive en un clic. Cette approche pourrait bien redonner de l’élan à un secteur qui, après avoir été galvanisé par des annonces spectaculaires, cherche aujourd’hui un nouvel équilibre.

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