La Chronique de JPB : Introspection

J’ai fait la grasse matinée.
Pour moi, une grasse matinée, c’est me lever à 8 :30.
C’est l’action de me lever car je suis éveillé depuis 4 :00.
Je pense. Je n’arrête pas de penser.
Hier j’ai eu la chance de visiter l’appartement que mes parents ont loué durant 23 ans. Je prenais une marche, quelques heures pour me vider l’esprit, quand je suis arrivé devant le building. L’appartement que nous occupions était vide et des personnes coupaient du bois dehors.
Je suis tout sauf gêné : j’ai été voir le gars qui semblait le ‘’boss’ et je me suis présenté. J’ai expliqué que j’avais toujours demeuré dans le pâté de maisons et dans cet appartement, en particulier, très, très longtemps. Je lui ai expliqué comment c’était, il y a cinquante ans, les environs.
Il s’est avéré que c’était le nouveau propriétaire et qu’il rénovait. Il m’a gentiment offert d’entrer et de revisiter.


Quel choc!
J’aurais dû aller chercher ma mère qui demeure à un coin de rue. Elle est déménagée à la mort de mon père.
Tout était comme avant…
Je revoyais l’endroit où mon père était assis à cœur de journée. Les fenêtres d’où il observait la vie de la rue ( et tous les voisins ). La chambre de ma sœur, sombre et mal aérée. La salle de bain toujours aussi laide en jaune et noir. Les tapis usés à la corde, sans doute chargés d’ADN, qui ont supporté quelques aventures torrides. La chambre de ma mère dont les murs perdaient tout leur plâtre à cause des infiltrations d’eau. Ma chambre où les rats couraient entre les murs des nuits de temps. La cuisine où on prenait tous nos repas, toujours assis au même endroit, des repas à base de patates et de lard salé la semaine et de roast-beef le dimanche midi.


Le propriétaire va tout rénover. C’était ma dernière chance et j’estime avoir bien fait de la saisir au vol.


Ce matin, je suis resté couché et j’ai tenté de revivre quelques moments de mon existence à cet endroit. Des moments heureux. Des moments tristes. La première fois que j’ai eu assez d’argent pour acheter un cadeau de Noël à tous les membres de ma famille. Mes départs vers le pensionnat. Mes premiers skis achetés en cachette à 16 ans, posés par défi à mon père directement contre le mur de la cuisine. Les premiers baisers sur le divan miteux. Mon désespoir. Mes rêves. Mes illusions.
Tout ça a défilé, rafraîchi par cette visite inopinée.


Là, dans mon lit, j’ai visualisé certains épisodes de ma vie. Ces moments Y où on prend une décision irréversible qui va influencer tout le reste de l’existence. Face à ces deux branches, un seul choix et pas de retour. Pour la vie. On ne peut revenir en arrière.
Et j’en ai pris de ces décisions fatidiques, dans cet appartement!
J’en paie encore le prix.
Juste d’y penser ce matin et je me suis levé de très mauvaise humeur.
Gère Mène pourrait vous affirmer que je suis toujours de mauvaise humeur le matin. Que je suis souvent de mauvaise humeur de toute façon. Plus je vieillis et plus je m’aperçois que je me suis peinturé dans un coin. Ma vieillesse ne sera pas facile…


Mais au moins, à l’opposé de tous mes voisins, concitoyens, compatriotes, amis et ennemis, je le sais, moi!


Tout cela, ces heures dans mon lit à réfléchir sur ce qui était, ce qui est et ce qui sera, c’est de l’introspection. Un genre d’analyse, une remise en question, un moment de pose pour juger de l’état des lieux.
La mienne est fortuite, causée par une visite dans des lieux de mémoire.


On peut décider de faire le même exercice volontairement. On peut s’exiger un tel travail de temps à autre pour évaluer nos chances de réussite ou bien saisir le milieu qui nous entoure.


Je réalise que je prêche dans le désert… mais je suis toujours fidèle à mes convictions. Voilà…


Comment se fait-il que nous n’ayons pas le portrait global du milieu de l’escalade et de la montagne?
Comment se fait-il qu’il soit impossible de trouver le nombre exact de pratiquants des sports de montagne?
Comment se fait-il qu’il soit difficile de trouver un organigramme conséquent des décideurs dans le monde de la montagne?
Comment se fait-il qu’il n’existe aucune analyse des tenants et aboutissants du monde de la montagne?
Comment se fait-il qu’il soit impossible de trouver un document qui donne les lignes de force qui vont influencer le monde de la montagne dans les cinq prochaines années?
Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’analyse permanente des pratiques et goûts des gens qui fréquentent falaises, montagnes et SAE?


 




Où sont les analyses, plans, projets, autopsies, statistiques et autres bidules du genre?
Où sont les documents?
On me répond… : Sportnature.org
Oups, c’est de la sociologie, Sportnature… en fait un gros tas de n’importe quoi. Et je respecte la sociologie.
Les ‘’Marques » ont-elles des documents plus précis sur leurs clients potentiels?
Bien non!
On vend maintenant un laçage plus bas ou une couleur mode. Un mousqueton similaire à celui de son voisin. Un harnais de deux grammes plus léger. Un t-shirt brun ou vert pour faire ‘’Eco ». Ou blanc. Oh, j’oubliais les casques… il doit y avoir des études sur les consommateurs de casques. Combien de consommateurs déjà ? Quel est le marché ? Quel est l’avenir du casque ? Combien de temps vont-ils grimper, les casqués? Où? Dans quelles conditions? Y a-t-il autant de grimpeurs que de harnais? Voyons donc… autant de grimpeurs que de licenciés? Encore pire…


Non, je doute que les ‘’marques » aient de sérieuses études de marché tout simplement parce que le marché est trop petit. Mais au fait, il a quelle grosseur, le marché?


Et, réellement, combien de personnes lisent le magazine Grimper???


Dans quel sport suis-je tombé, je vous le demande?


Car si je me tourne vers d’autres pratiques, je me rends bien compte que ces questionnements sont essentiels. Et que ces pratiques ont pris les moyens pour avoir des réponses.
Non seulement ça mais ils ont un reposoir pour toutes leurs données.
De même qu’ils prennent note de leur histoire et qu’elle est mise en exergue autant que possible.
Certaines de ces pratiques sont olympiques, d’autres ne le sont pas.


Prenons le golf, juste pour rire…
Bien entendu, vous allez me dire que tous ces gros sur les verts ne sont pas vraiment des sportifs. Peut être mais ils sont singulièrement mieux organisés que nous le sommes et, de ce fait, ils peuvent attirer l’attention des médias et mener une cabale efficace qui fait qu’on critique les grimpeurs, destructeurs éhontés de la nature, mais jamais les golfeurs qui utilisent d’immenses terrains à grand renfort d’eau et de produits chimiques. Ils paient des taxes  et investissent dans les communes. Ils ont des héros et des Musées. Des magazines et des heures de grande écoute.


Vous allez me dire qu’on n’a pas besoin de ça!
Vous reviendrez me le dire quand on fermera une falaise… il me reste encore à voir la fermeture d’un terrain de golf.
Comme il me reste à voir quelqu’un mettre la clé dans la porte d’une marina et rejeter tous ces plaisanciers à la mer. Naturellement la plaisance n’a pas de plan quinquennal et les équipementiers n’ont pas d’analyses de marketing pointues sur leur clientèle. C’est connu…


Je n’en rajouterai pas plus.
Je crois que je me suis fait comprendre.


On appelle ça de l’introspection. De l’analyse. De la recherche. Des sondages. De l’éducation. Du marketing créatif. De l’évaluation.
Ça n’existe pas dans les sports de montagne.


Certains n’aimeront pas ces lignes.
Mais je crois, personnellement, que nous sommes, en temps que pratique, à un Y.
L’heure des choix. Ceux décidés… et ceux imposés parce que non prévus.


C’était ce qui m’a retenu au lit durant la dernière demi-heure, de 8 :00 à 8 :30
On peut apprendre de ses erreurs et on peut passer son expérience pour que d’autres en profitent. J’ai souvent l’impression d’écrire dans le vide, mes mots immédiatement absorbés par un gigantesque trou noir.


Le milieu de la Montagne vaut beaucoup mieux que ce trou noir.


Allez, je retourne me coucher!
Avant que Gère Mène me demande de sortir les vidanges.
 

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