Patrick Edlinger, légende vivante de l’escalade des années 80 s’en est allé il y a quelques jours à l’âge de 52 ans.
Devenu une véritable icône après la médiatisation des films « Opera Vertical » ou « La vie aux bout des doigts », Patrick Edlinger a sublimé pas mal de facettes de notre activité et a indéniablement beaucoup contribué à la popularisation de l’activité.
Solos pieds nus dans le Verdon, technicien de la haute-difficulté en falaise à travers des réalisations marquantes (Le Verdon, Buoux ne seraient pas si cultes sans sa trace). Pionnier de l’entraînement en France (tout le monde se souvient de son ouvrage culte « Grimper ! »), compétiteur acharné (Patrick a été un des rares français à ne pas signer le manifeste des 19 en 1985), voyageur infatigable, ouvreur de bloc notamment dans la Mecque de Fontainebleau, parfois montagnard en compagnie de son pote Patrick Berhault avec qui il entretenait une complicité fraternelle, Patrick s’est sublimé partout et a laissé une empreinte indélébile dans chaque univers, déclinant l’expression de son style unique avec perfection, charisme et simplicité.
De par sa philosophie hédoniste, son rapport à la nature ou sa pureté du geste, il était tout simplement LA référence. Bref, il est évident que nous n’en serions sûrement pas là s’il n’y avait pas eu Patrick Edlinger !
Plutôt que de paraphraser mécaniquement une biographie synthétique en maniant des éléments socio-historiques que nous ne maîtrisons pas forcément (pour cela on vous recommande déjà la biographie à venir de Jean-Michel Asselin), nous avons préféré chez Kairn contacter les proches et les autres légendes de l’époque qui ont côtoyé « Le blond » afin de les faire témoigner.
Ils ont été nombreux à se mobiliser et à nous répondre et nous les remercions grandement.
Antoine Le Menestrel
‘Patrick,
Tu n’es plus ici, les larmes tombent, les souvenirs remontent dans ma mémoire.
Dans les années 1980, tu étais comme un grand frère, nous étions tous une famille de grimpeurs qui inventait l’escalade libre, notre esprit était révolutionnaire. Cette énergie m’accompagne encore aujourd’hui.
Tu as gravé l’escalade dans notre culture. Au sein de notre société, tu as élevé l’escalade comme un art du chemin.
Tu vivais ton escalade comme un art de vivre, j’étais encore un étudiant qui se cherchait. J’aimais te voir grimper, ta souplesse se distillait dans mon corps.
Tu étais un grand frère ; une star qui faisait rayonner l’escalade dans le monde entier et j’avais beaucoup de respect pour les valeurs que tu portais.
Plusieurs fois nous nous sommes retrouvés au pied de la même voie.
Ton statut d’idole et tous ceux qui te suivait tout ça m’angoissait, le star système t’est tombé dessus, tu étais sensible et j’admirais ton courage.
Tu étais un des trois grands frères qui m’inspiraient; les trois Patrick : Edlinger, Berhault, Cordier. Chacun de vous était unique, impossible de faire à l’identique, j’étais obligé de trouver ma propre voie.
Tu me disais « tu vois je n’ai pas changé, je grimpe quant j’ai envie ».
Ta vie s’est échappée du bout des doigts, elle a laissé des gouttes de sueur de sang et de magnésie dans le creux des prises. Mes prochaines ascensions à Buoux seront en ton hommage : Pas de pet, Viol de Corbeau.
Tu nous as fait rêver, tu nous fais grandir.
J’ai une forte pensée de courage pour vous ses proches compagnons de vie.
Stefan Glowacz
‘J’avais 16 ans quand j’ai vu le film « Opera Vertical » pour la première fois. Jamais auparavant je n’avais vu des grimpeurs dans des murs raides et compacts. Mais surtout j’ai été fasciné par cette grâce et l’élégance avec laquelle Patrick Edlinger évoluait de façon presque insouciante dans les Gorges du Verdon. Il était mon héros et j’ai essayé de copier son style.
Mais j’ai vite remarqué que ce n’étaient pas seulement des mouvements doux et fluides qui définissaient le style si unique de Patrick. C’était aussi l’expression de son humilité et son profond respect envers l’activité qu’il pratiquait.
L’escalade avait aussi une dimension philosophique pour Patrick. Elle vivait en lui, de par sa sensibilité, son côté vulnérable et tendre, tandis que le public semblait souvent très méprisant à son égard. Patrick me fascinait beaucoup beaucoup à travers sa grimpe. Je l’ai rencontré en privé comme un mec sympathique, mais aussi en tant que concurrent ambitieux sur les compétitions d’escalade.
Il avait l’aura d’une étoile. Il était aimé et admiré par beaucoup de gens, mais comme souvent avec génie, me semblait-il, Patrick était un loup solitaire, toujours en recherche et en questionnement. Malheureusement j’ai eu au final assez peu de contacts avec lui, mais il m’a beaucoup apporté.’
Ben Moon
‘Je ne connaissais pas bien Patrick mais je l’ai rencontré plusieurs fois à la fin des années 80 lors de compétitions et sur les sites du Sud de la France. L’escalade le passionnait, il était brillant techniquement, élégant à regarder et il a inspiré beaucoup qui ont repris son style. Ses réalisations sont sans égal mais plus que cela, elles prouvent qu’il connaissait la valeur de la vie et la chance qu’il avait d’avoir trouvé une telle passion. Même si la plupart d’entre nous aurions voulu repousser les limites de l’escalade comme Patrick l’a fait, ce qui compte c’est l’énergie que tu mets à essayer et non la difficulté que tu peux grimper. Je suis sûr que Patrick c’est donné à fond comme l’ont fait d’autres de cette génération qui sont déjà partis comme Wolfgang Gullich, Kurt Albert et John Bachar pour ne citer qu’eux. Ils étaient tous une inspiration et ils vont nous manquer.’
Lynn Hill
‘Patrick aura toujours une place dans mon cœur et ma mémoire. J’ai passé pas mal de précieux moments, à diner chez lui, plein de rires, travaillant ensemble pour Rock N’ wall, et grimpant ensemble sur les falaises magnifiques du Sud de la France. Etant de la même génération, j’étais inspirée par les ascensions visionnaires de Patrick lorsqu’il était venu aux USA et avait fait à vue la plupart des voies les plus dures du pays. Je n’oublierai jamais les moments magiques comme lorsque le soleil transperça les nuages au moment même où il arrivait en haut de la finale de la première compétition internationale à Snowbird dans l’Utah. Ce qui lui a permis de si bien grimper c’est sa nature et son sens de l’intégrité envers les gens et les valeurs qui définissaient sa vie. L’amour de Patrick pour l’escalade, la nature, le sens de la liberté, l’aventure et l’esprit adorable presque enfantin sont quelques unes des qualités qui lui ont valu le surnom, ‘Dieu’. Adieu mon ami ! Ton esprit continue à exister à travers tous les gens qui ont été inspirés par ta vie !’
Jacky Godoffe
‘Ce qui m’a toujours fasciné dans nos moments partagés de grimpe c’est sa sensibilité animale qui ne se manifestait pas seulement dans sa grimpe féline, intuitive et unique mais aussi dans ses rapports avec les gens sans concession.
Aimé ou détesté jalousé ou érigé en modèle ; il n’a jamais au cours de son parcours hors norme laissé quiconque indifférent. Il est au nombre ce ceux que j’ai croisés- et il n’y en a pas tant que ça – qui ont laissé une empreinte indélébile et ont contribué sans aucun doute à alimenter ma passion dévorante pour la grimpe. J’ai du mal à penser que nos chemins ne se croiseront plus; mais une partie de sa flamme continuera à m’accompagner demain sur le grès.’
Jibé Tribout
‘Triste jour pour la grimpe. Patrick a été celui qui a émancipé la grimpe de la montagne et en a fait un mode de vie a part entière. En dehors de nos rivalités, j’ai toujours apprécié sa passion et son chemin unique. C’est un Grand qui est parti.’
Jerry Moffatt
‘Patrick était le meilleur français quand j’ai commencé. Je me souviens clairement avoir vu une photo de lui, superbe, bronzé, grimpant pieds nus dans le Verdon. C’était une image superbe qui faisait rêver. C’était une superstar. Tellement élégant à regarder grimper, si jamais j’avais possédé la moitié de sa grâce sur le rocher.
J’ai passé un peu de temps dans sa maison sur la côte à la fin des années 90. Ron Kauk était là ainsi que Lynn Hill. C’était des moments magiques à grimper tous les jours. Un souvenir particulièrement poignant c’était quand il m’a emmené faire un tour dans sa nouvelle Lancia delta hf integral. C’est un super pilote et après avoir chauffé le moteur on s’en est allé a fond ! Pourtant à aucun moment je n’ai eu peur. Il avait un tel charisme, il inspirait la confiance et le contrôle de soi-même.
Quand il parlait, les gens l’écoutaient. Il me faisait des compliments sur ma grimpe. Cela voulait dire tellement pour moi car c’était Patrick Edlinger.
Je suis très triste de cette perte. Comme nous le savons tous, c’était une légende et pour moi un des meilleurs grimpeurs de tous les temps.
Repose en paix Patrick, je ne t’oublierai jamais.’
Ron Kauk
‘Cela fait longtemps que je n’ai pas vu Patrick mais les moments que nous avions passé ensemble dans sa maison du Sud de la France sont inoubliables. C’était son endroit pour s’échapper, il l’appelait ‘la réserve indienne’. Avec sa famille nous avions cueilli des olives et partagé Noël ensemble à rire et se raconter des histoires vécues. C’est une personne qui refléchissait profondément et qui s’exprimait avec passion. Je l’appelais ‘Capitaine Maximum’, cela lui plaisait. Quand je lui mentionnais cela le faisait sourire. C’est bien plus que l’escalade qui nous rapprochait. Je lui envoie ainsi qu’à sa famille tout mon amour et respect et je les remercie d’être si gentil.’
Benoit Faure (deuxième français à réaliser 7b à vue, juste après Patrick Edlinger en 1982, discret falaisiste et bleausard) :
‘Le décès de Patrick est un choc ! Je ne le connaissais pas particulièrement, mais je l’ai bien sûr croisé plusieurs fois. En falaise à la grande époque du Verdon, quand tout le monde des grimpeurs se retrouvait là-bas l’été, et un peu à Bleau (je me rappelle d’essais mémorables avec lui dans ‘Antithèse’ au Cuvier). La première fois que j’ai entendu parler de lui, c’était à Nice. Je débutais en escalade et j’accompagnais Jean Pierre Bouvier qui était invité par Patrick Berhault. Patrick Berhault nous avait parlé de son copain toulonnais avec un grand respect. Il était alors inconnu et on connaît tous la suite… Il a été le phare de toute une génération. On peut tous lui dire un IMMENSE MERCI d’avoir su incarner la passion de l’escalade avec autant de talent.’
Didier Raboutou
Voici 3 témoignages d’amis qui représentent pour moi nos émotions à nous , Grimpeurs des Années 80 et 90 :
‘Il restera pour moi comme pour beaucoup d’amis grimpeurs qui de près ou de loin l’ont côtoyé et qui ont pratiqué à ses côtés; celui qui nous a ouvert l’esprit, qui nous a apporté un autre regard sur la vie. Un autre regard sur ce que la société à l’époque nous proposait. Nous sommes nombreux à l’époque à avoir tout plaqué (études, boulot, copine…) pour vivre de cette même passion de la grimpe ! Merci Patrick, on ne t’oubliera jamais !’ (Dominique Page)
‘ Patrick est parti et on est là comme des cons car l’histoire ne s’écrit pas en sens inverse. Il reste le rocher et celui bleuté du Verdon, sur lequel nos doigts peuvent encore retrouver cette vibration qui nous a aider à trouver un sens à nos vies et à l’aimer. Merci à tous ces hommes qui comme lui nous ont ouvert les yeux. ‘ (Jérôme Rochelle)
‘Quiconque avait un intérêt plus que passager pour l’escalade dans les années 80 et 90 devait avoir été inspiré par Patrick Edlinger. Les grimpeurs masculins de ma génération portaient des collants comme les siens, essayaient de grimper comme lui, et surtout voulaient être lui. Ses films, images et philosophie ont façonné le sport et la philosophie de l’escalade pour moi.’ (Will Gadd)
Marc Le Menestrel
‘La dernière fois que j’ai grimpé avec Patrick, c’était à Fontainebleau. Nous avions diné avec Stephan Denys, dont l’amitié commune nous avait aidés à dépasser notre méconnaissance mutuelle. On s’était régalés dans des blocs faciles et des blocs plus durs avec amis et familles, sensibles à cette vérité de l’escalade qui fait que l’on partage tous le même plaisir dans des lieux magiques.
Je venais de réussir Coup de fil, un 8a vraiment exigeant. Comme Stephan voulait prendre des photos, on y est allé le seul jour qui restait disponible : un dimanche matin ! Quelle erreur ! Le temps de s’échauffer, et au moins 30 grimpeurs étaient là autour de nous, au pied du bloc. Patrick, qui détestait cela (il aimait être « tranquille »), essayait de se faire le plus discret possible. En fait, je n’ai même pas réussi à faire le premier mouvement : je n’ai pas pu décoller du sol ! Je me rappelle Thierry Ducrot lancer un « » au moins ce n’est pas trop dur pour la parade « , et nous tous essayant de rire, un peu jaune quand même (surtout moi) d’une situation aussi loufoque que difficile à sublimer. De ces derniers moments d’escalade avec Patrick, je me rappellerai les mots de ma femme Sybille » en voilà un qui aime passionnément grimper « .
Il y a des gens qui pensent que la nature humaine est ainsi faite que nos faiblesses nous isolent. Pour ma relation avec Patrick, ce sont nos faiblesses qui nous ont rapproché. Je me rappelle des discussions sur la gentillesse (la sienne) et les mauvaises manières (les miennes) où je me retrouvais une fois de plus en « sale gosse ». J’ai souvent préférer brusquer les gens qui s’adressaient à mon image plus qu’à moi-même, recherchant une relation vraie quitte à être mal perçu. Je crois que Patrick, qui était bien plus humble, se sentait profondément redevable envers les autres et surtout envers ceux qui le portaient. C’était comme si il était prisonnier de la chance qui lui avait été donnée. Par respect pour ceux qui l’avait aidé à devenir une star, il semblait se sentir obligé de continuer à être à la hauteur. J’aurais aimé que la reconnaissance de ses pairs pour son talent et sa passion de grimpeur suffisent à le persuader de sa valeur d’homme.
Sa mort me fait ressentir toute cette difficulté d’être soi-même lorsque l’on est « connu ». Quelqu’un de connu, c’est quelqu’un qui rencontre tous les jours des gens qui ne le connaissent pas et qui croient le connaître. Alors que notre société du spectacle propose une vision positive de la notoriété, « être connu » peut aussi être d’une difficulté formidable. Je ne l’oublierai pas.’
Alain Robert :
‘J’ai appris la triste nouvelle par un journaliste qui voulait recueillir mon témoignage. Un peu abasourdi. 52 ans c’est jeune. Patrick c’est le mec qui a rendu l’escalade mediatique à travers le film ‘La vie au bout des doigts’. En fait c’est bien plus. Une éthique de vie. Une vie consacrée à l’escalade et puis depuis quelques années déjà des problèmes comme tout un chacun peu en avoir et la descente aux enfers. La dépression, l’alcool. La galère. Resteront de beaux moments passés ensemble. Dans l’insouciance de notre jeunesse. Quand tout est à faire ! La vie de bohême à Buoux ou au Verdon. Alors salut l’artiste, et je m’associe à la peine de ceux qui restent ! Patrick sache qu’on ne t’oubliera jamais !
Ian Dunn (coach britannique qui a côtoyé Patrick dans les 80’s)
«Je l’ai rencontré d’abord au mur de l’université de Leeds Wall en 1983, il était en visite avec un groupe de grimpeurs et d’architectes français qui regardaient les murs d’escalade britanniques, il était même le grimpeur « star ». Au début des années 80, Nick Dixon et moi nous entraînions au mur du Stockton YMCA en même temps que les gymnastes et nous avions des collants des gymnastes, bleu marine, si je me souviens bien. Patrick m’a demandé où je les avais trouvé et je lui ai donné une paire. Si c’était le début de la révolution de lycra je ne sais pas, je ne veux pas être crédité de la mode de lycra des années 1990 mais Patrick a toujours réussi pour bien paraître dans le sien ! et il a certainement aidé à répandre la révélation de lycra.
Patrick était en tournée avec les Britanniques Richard Dunn, Sobell, Altrincham, l’Université de Leeds et d’autres, il avait des conseils très douloureux à la fin du voyage, mais il était encore un grimpeur étonnamment flexible et talentueux. Il a fait de l’escalade au cours de ces quelques jours et a certainement impressionné les locaux où qu’il aille.
Je l’ai aussi rencontré à Leeds en 1989 alors qu’il était un grand favori pour défier Jerry avec Didier Raboutou, il est arrivé 4ème si je me souviens bien. Je l’ai toujours trouvé accessible et prêt à discuter des montées ou des zones d’escalade. Il était un grand compétiteur ne doutant jamais de sa capacité à grimper à son maximum, cela a probablement été montré lors de la première grande compétition aux États-Unis lorsqu’il a remporté Snowbird.
Une perte si triste d’une icône des années 1980 pour l’escalade à la hauteur de ce que McEnroe est au tennis.
Alex Huber
‘Je peux juste dire que j’admirais Patrick… Il a été un de ceux dont nous nous inspirions !’
Timy Fairfield (grimpeur américain des 90’s)
‘Patrick Edlinger ? Le Maître qui comprend le côté obscur de la force !
Patrick Edlinger est la figure de proue la plus profondément percutante dans le sport de l’escalade moderne. Son image est reconnaissable aux grimpeurs et au grand public du monde entier et de plusieurs générations (même parmi ceux qui ne connaissent pas son nom ou qui n’ont jamais vu ses photos).
Patrick Edlinger est largement reconnu comme l’individu qui a popularisé et caractérisé l’idée qu’un grimpeur accompli doit développer son propre style de mouvement distinctif pour accompagner sa capacité sur le roc. À travers ses activités d’escalade, il s’est manifesté à la fois comme artiste, athlète, philosophe, mystique et explorateur. Il a implicitement démontré au monde que le développement d’une profonde relation personnelle avec le rock nous donne l’opportunité de chercher un sens dans nos vies en manifestant notre passion en tant qu’êtres humains à travers le langage du mouvement ascendant.
Il a profondément influencé un noyau puissant de ses contemporains qui deviendront les icônes les plus significatives de l’escalade de la planète au cours d’une période cruciale d’émergence au cours de laquelle le sport moderne de l’escalade se définissait en France. Ces agents de l’ère moderne comprenaient des personnalités telles que Patrick Berhault, Jibe Tribout, Antoine Le Menestrel, Didier Raboutou, Alain Ghersen, Jean-Marc Troussier, Alain Robert, Catherine Destivelle, Jacky Godoffe, Lynn Hill, Ron Kauk, Wolfgang Gullich, Kim Carrigan, Luisa Iovane, Stefan Glowacz, Beat Kammerlander, Jerry Moffat et tous ceux qui ont essayé de les imiter!
L’approche inspirante de Patrick Edlinger et ses images photographiques ont grandement influencé mes décisions personnelles en tant qu’adolescent sur un autre continent (avant de le rencontrer ou même de lire en français!) De poursuivre l’escalade comme mode de vie, poursuite athlétique, carrière et relocalisation en France . J’ai cherché à m’entraîner et à apprendre de ses contemporains. Je suis reconnaissant d’avoir eu l’opportunité de rencontrer cet homme, de le voir grimper et d’apprendre de ses intuitions durant mon séjour en France ainsi que lors de ses visites en Amérique du Nord.
Dans la conscience collective de notre sport, il représentera toujours l’idéal de l’expression de soi par le mouvement ascensionnel. Il a transcendé la notion intemporelle que l’ordre le plus élevé auquel nous pouvons faire appel dans notre quête de la maîtrise de l’escalade est d’embrasser la beauté de notre propre style.
Tous ceux qui aiment ce sport ont été directement ou indirectement influencés par Patrick Edlinger. Il a vécu une vie admirable remplie de passion que je souhaite imiter de bien des façons!
Chris Sharma
«J’ai rencontré Patrick dans Hueco Tanks à l’âge de 15 ou 16 ans. C’était une période très formatrice pour moi, et arriver à grimper avec lui pendant plusieurs semaines était vraiment spécial et impactant. Au cours des années, je l’ai rencontré à plusieurs reprises et même si nous n’étions pas très proches, il y avait toujours un sentiment d’amitié entre nous. Il est difficile de comprendre comment il a influencé notre sport. Il a légitimé et révolutionné le sport de l’escalade et pourtant il était clair que pour lui c’était beaucoup plus qu’un simple sport, mais un mode de vie et d’expression personnelle. Je me sens super chanceux de l’avoir connu.
Adam Ondra
« C’est vraiment une triste nouvelle. Je suis déçu de ne jamais avoir pu serrer la main avec cette personnalité phénoménale. Comme il me semblait, sa passion pour l’escalade semblait énorme. Il a grimpé parce qu’il aimait simplement ça. Probablement grâce à cela, il a développé un style d’escalade qui est difficile à voir chez quelqu’un d’autre et que j’ai toujours admiré. Courant et gracieux. Pas d’erreur Ses images et vidéos continueront à inspirer les générations futures, ainsi que ses fiers ascensions.
Daniel Gorgeon (compagnon de cordée de la première heure de Patrick, équipeur et local de la sainte-Victoire)
‘J’aimerai parler de Dieu avant qu’il ne fût Dieu.
Dieu, c’était le nom que l’on donnait affectueusement à Patrick dans le Sud entre grimpeurs. C’était une marque de profond respect et une manière d’illustrer la formidable distance qu’il y avait entre lui et les autres en terme de niveau et de classe.
Quand je l’ai rencontré à Toulon, Patrick était réservé mais déjà d’une détermination farouche, généreux mais d’une combativité redoutable, modeste mais désireux d’être respecté pour ce qu’il faisait. Il l’a toujours été ainsi. Sur le rocher et au sol. Avec lui, les choses étaient simples, mais il décidait de sa vie et il était clair pour lui que personne ne le ferait jamais à sa place. Je ne m’y suis d’ailleurs jamais risqué. Il était attentif aux humbles et peu matérialiste. Longtemps après, refusant les propositions indécentes de la fortune ou du business, encore tout éclaboussé de gloire, il savait toujours se contenter de peu et savourer l’instant présent. Peu enclin aux effusions, il gardait une distance observatrice. Un regard, un sourire, pour dire : « T’inquiète pas Dan, je suis là, comme avant. Toujours le même. Je n’ai pas oublié. Tu le sais. » Un geste pour remettre les cheveux en place, un regard au sol, puis deux yeux clairs et francs qui te fixent un instant, qui jaugent ton inquiétude au regard du temps qui est passé, et ce rire avec l’accent qui éclaire le visage, la tête en arrière, je repartais dans les années 80, avec des odeurs de cade, de lavande et de rocher chaud, à la Sainte, dans le vent salé des Calanques ou sur le plateau de Buoux, dans la borie qui abritait nos conversations nocturnes et qui donnaient naissance aux projets du jour suivant.
Sa liberté, Patrick l’a conquise par chacun de ses gestes. Ceux qui étaient précis, difficiles et engagés. Parce qu’il croyait éperdument à une vie possible de passion. Un projet fou et irréaliste dans lequel ses parents ont généreusement accepté de le voir partir. Un projet dont j’ai partagé les prémices et que j’ai permis, à mon maigre niveau de dynamiser. Il fallait être au moins deux pour qu’il puisse enfin devenir « le grimpeur aux mains nues ». J’ai choisi de vivre l’intensité de l’époque à ses côtés, stimulant et partageant patiemment l’émergence de celui qui allait devenir l’un des mythes fondateurs de la grimpe moderne. J’ai eu la chance de voir éclore la Chrysalide durant un an et demi, juste avant que la caméra de Jean Paul Janssen ne s’attarde sur lui.
Que pouvais-je rêver de mieux moi qui étais amoureux des beaux gestes et du style ? J’ai eu devant les yeux » la vie au bout des doigts » presque chaque jour, et pendant un an et demi !
Les mauvaises langues diront peut-être que j’étais un homme de l’ombre ? Et bien je le fus. Et j’en suis très heureux. Pleinement. Car j’ai connu Dieu avant qu’il ne soit Dieu.
Et c’est un privilège immense que nombre de mortels ne connaîtront jamais.’
Jean-Michel Asselin (journaliste et écrivain, prépare une biographie sur Patrick Edlinger)
‘Patrick,
Curieusement, je ne t’ai jamais appelé par un de tes innombrables surnoms. Nous en avions encore ri quelques semaines en arrière quand tu évoquais ces « Le blond, Dieu, Déglingue, et autres homme-araignée….Je subis, me disais tu, mais en réalité je ne suis que Patrick est c’est suffisant.
Quand nous avons commencé ton livre voilà plus d’un an, je m’étais rendu à La Palud sur Verdon dans ta maison de Bonlau. Nous avions mangé sur la terrasse avec tes parents, c’est toi qui avait préparé du poulet, que tu ne mangeais évidemment pas puisqu’une fois encore tu t’entraînais et toi, qui ne pesait que le poids d’un oiseau, il te semblait toujours ne pas être assez mince.
Ce fut un bon moment, un de plus, depuis toutes ces années pendant lesquels je t’ai servi de scribe. J’aimais cela et cela te convenait. Nous n’avions guère besoin de parler, trois blagues dites à la volée et j’avais 30 pages à écrire. Ce jour-là, tu m’as confié une malle énorme que nous avions du mal à porter. Dedans : des centaines de documents, des coupures de presse, des contrats, des lettres de fans, des revues et même des attendus de procès… « C’est toute ma vie ! tu devrais arriver à te débrouiller, j’ai mis tout cela de côté pour ma fille, pour plus tard… ». Je suis reparti lesté et j’ai travaillé…
Pendant des mois nous nous sommes retrouvés, un coup chez moi, un coup chez toi, nous avancions cahin-caha. Une vie d’homme c’est compliqué. Une vie de Patrick, encore plus.
Un jour, je ne t’ai pas trouvé au rendez-vous, un jour j’ai découvert un Patrick en souffrance, en désespérance. Tu as prononcé le mot de dépression. Mais ce n’était pas un mot, c’était une douleur terrible, si terrible que j’ai eu peur…
Tu as parlé pour le livre, tu as parlé comme peu de gens osent le faire, tu as parlé comme un homme qui ose se regarder en face et accepte de dire sa fêlure… Je crois que cela t’a fait du bien.
Tu allais de mieux en mieux, et nous avons beaucoup ri par la suite, se remémorant des histoires de rochers, de filles, et encore de rochers et toujours de grosses truites comme celles qui attendaient dans ton congélateur…
Quand le livre fut achevé, tu as pris le temps de relire, de corriger, de modérer, d’assouplir et tu étais heureux. « On va faire toutes les télés ! Tu verras »
Puis tu m’as demandé un jour par téléphone de mettre une sorte de dédicace et des remerciements… C’était des mots un peu, comment dire, un peu convenus, un peu faciles, mais moi j’ai aimé. Ça pouvait ressembler à une épitaphe ou un testament. J’avais le sentiment que ce livre te permettait de passer à autre chose. Comme tu disais « maintenant pour les cinquante ans qui me reste à vivre, je vais sérieusement m’activer ! » et c’était parti, dans ta tête tu bâtissais déjà un navire avec Anne-Christine. Un navire pour faire le tour du monde, chercher des falaises inconnues, rencontrer des pirates et pêcher des thons démesurés. Un navire qui contiendrait une salle d’entraînement avec un vrai mur d’escalade.
Et moi, et tous ceux qui t’aimait, on te croyait, on savait ta capacité à rebondir…Tu étais tellement « devant nous ».
Et puis voilà, que s’est-il passé ce vendredi 16 novembre dans ta maison de Bonlau ? Le saurons-nous un jour ? Les médiocres et les très forts auront dix mille idées, autant de scénarios et de certitude. Moi, tu vois, je ne veux pas savoir. Je ne veux pas deviner. Je veux juste te dire que je suis allé courir avec ma douce tout à l’heure sur les berges de l’Isère et que c’était bon et que tu n’étais pas si loin que cela… Je veux juste te dire que mon jeune voisin qui fait de l’escalade m’a dit : « la meilleure façon de te rendre hommage , c’est d’aller grimper ».
Voilà qui est dit, et dans les jours qui viennent nous serons certainement nombreux, pour venir te saluer une dernière fois.
Les gens qui grimpent en solitaire ont leur vie au bout des doigts, et si la prise casse, le prix à payer est très fort. Tu as payé cash.
Je te quitte en te laissant le dernier mot, cette dédicace qui ouvrira ton livre. Je suis fier d’avoir été à tes côtés. Si tu vois Berhault là-haut, donne lui le bonjour.
« Je souhaite à tous les êtres, quelle que soit leur activité, de la vivre pleinement en homme libre. La vie est belle, il faut la prendre avec humour et détachement. Il faut savoir rester humble, à l’écoute des autres et s’efforcer de les aider. Peu importe si l’on juge que le monde est peuplé de crétins et de cupides, il se peut que nous en fassions partie, d’où cette idée de penser aux autres et rendre la vie plus belle pour tous. Avec toute ma sympathie ! » Patrick Edlinger.