Cet automne, une nouvelle voie a été ouverte à Ailefroide par deux policiers de la CRS Alpes à Briançon, Pierre Sauget et Stefano Morino et un hydro- géologue, Alex Michel. Jolie réalisation d’alpinisme dont Pierre Sauget nous fait le récit.
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Alex dans la partie basse
L’automne en Oisans a quelque chose de magique pour les alpinistes, c’est un moment où la montagne se fait à nouveau désirable, la neige qui recouvre les sombres faces marquées par un été trop chaud nous donne envie d’y retourner. Cette année encore les conditions de glace sont bonnes, les classiques sont formés et pour ceux qui ouvrent grands leurs yeux des lignes de glace apparaissent comme des évidences. L’attaque de « Winter is coming » m’avait accroché l’œil l’an passé quand nous étions venu faire ‘Mon beauf’ à côté, le haut était moins évident mais laissait augurer une belle escalade.
Stefano avec qui j’étais l’an passé n’a pas été difficile à convaincre pour ce projet. Comme la montagne c’est plus drôle à trois, Alex, mon beauf (décidément…), était lui aussi motivé sauf qu’il venait de se geler les pieds trois jours auparavant, il a avancé le concept que c’était une bonne méthode pour faire tomber les peaux mortes…
Alex , Stef et Pierrot
Nous attaquons aux premières lueurs du jour, après avoir erré par ma faute dans les tourments du glacier. L’an passé nous avions galéré à droite et ma reconnaissance quelques jours auparavant m’avait conforté dans l’idée d’attaquer le glacier à gauche, très mauvaises idée… A droite une trace montait au pied de la Pschitt par un agréable louvoiement tandis que nous prenons le glacier à l’endroit le plus tourmenté, ça nous le verrons plus tard quand nous aurons pris de la hauteur….
La première longueur est un peu raide mais la glace est parfaite, la journée démarre sous de bonnes hospices. Les 150 mètres suivants sont homogènes, une grande longueur dans une belle pente avec des ressauts à maximum à 70° nous amène dans le couloir au milieu de la face. Ce n’est pas raide, skiant pour d’autres que moi (50-55°) et la pente vient buter sur un mur de rocher abrupt.
Stefano dans la rampe (L4)
Nous le contournons par une magnifique goulotte et 120 mètres plus haut nous arrivons au pied d’une longueur raide. Du bas ça parait classique mais finalement la glace que l’on voyait est inconsistante, le rocher compacte, bref une longueur dure en goulotte dans les Ecrins… Je regrette de ne pas avoir quitté mon sac, ça renfougne, je regrette de ne pas avoir pris de tamponnoir, c’est trop tard, par contre la bonne glace en sortie me régale. Au bout de 30 mètres j’essaie de faire un relais, il faudra que j’en grimpe encore 40 de plus pour trouver une fissure convenable, vive les tiblocs pour assurer les seconds… Les suivants ont intérêt à faire une courte longueur et de relayer juste après le dur.
Pierrot dans le crux (L5)
Au-dessus la goulotte se perd dans une face très raide, c’est le point d’interrogation de la journée. Les repérages que j’avais faits ne me permettaient pas de voir cette partie, il y avait une centaine de mètres invisibles du bas. La nature ayant bien fait les choses pour les grimpeurs, une longueur mixte pas très dure, en oblique à droite, nous amène au pied d’un pilier en rocher pur. Je reconnais l’endroit, nous dominons la dernière longueur technique de « Casse-toi ça pue » et « Mon beauf ». La grimpe sur le rocher est plaisante, sans être difficile (5a), un petit rappel de 15 mètres nous donne pied dans les pentes finales, nous laissons un anneau de sangle, seule trace de notre passage dans la voie. Un bon brassage syndical dans de la neige inconsistante posée sur du rocher nous amène à l’arête faîtière et à son soleil bienfaiteur. La descente interminable nous attend, contre toute attente les pieds d’Alex ont l’air d’avoir tenu le coup…
Alex dans la sortie de L4
Au final cette voie est soutenue, sans être extrême, si la longueur clé avait été en bonne condition (en fait il manquait une dizaine de mètres) cela faisait une goulotte incroyablement homogène, où tous les terrains existent (neige, glace, mixte, rocher). Les 550 premiers mètres sont originaux, les pentes de neige finales étant les sorties des 3 autres goulottes (« Casse toi…. », « Mon beauf » et la « Hardy-Parks »).
Cette goulotte a déjà été reprise et les répétiteurs ont confirmé le fait qu’elle a tous les attraits pour devenir une classique.
Matos : un jeu de C 3 (jusqu’au 1), un jeu de C4 jusqu’au n°2 en doublant 0,3 et 0,4, des petits coinceurs (on a regretté de ne pas les prendre…), 6 pitons (3 lames, un universel, une petite et une moyenne cornières), 8 broches (4 courtes et 4 moyennes), sangles.
Pierre Sauget
Détails techniques
L1 : 60 M : un court passage à 75-80°
L2 : 180 M : ressaut à 70° max au départ puis pente à 50-55°
L3 : 120 M : 50-55°
L4 : 100 M : 20 mètres à 75° puis 65-70°
L5 : 20 M : 5 m verticaux (M5+ le jour de l’ouverture, pas dur en bonnes conditions) Faire une courte longueur et au sortir du dur aller en rive gauche pour le relais, ne pas tenter de continuer, les 50 mètres suivants en goulotte (avec des ressauts à 70°) ne présentent pas de pose de relais facile.
L6 : 30 M : couloir à 50° on vient buter contre un ressaut raide en rocher pourri
L7 : 45 M : M4+ en traversée à droite jusqu’au fil du pilier
L8 : 30 M : 5a, rappel de 10-15 mètres.
Sortie : 150 M de pentes à 50-55°