Explorations dans les Andes de Patagonie

Explorations dans les Andes de Patagonie

25 octobre au 14 novembre 2015

Par Henry Bizot

La Patagonie m’attire depuis de nombreuses années, j’ai appris à la connaître sur les cartes, au travers de récits d’explorateurs et de romans, et aussi de rencontres/contacts que j’ai pu avoir, notamment avec des Français et Argentins. C’est dans la région d’El Chalten que j’ai finalement décidé de me rendre. J’y ai réalisé du 25 octobre au 14 novembre, une expédition durant le printemps austral; octobre/novembre, est normalement (s’il y a encore une normale …), la meilleure période pour réaliser des ascensions glaciaires dans cette région.

J’avais préparé durant plus d’un an cette expédition, avec Gabriel Fava (Argentine). Gabriel, nous nous connaissons bien puisque nous avons déjà réalisé ensemble trois expéditions en Argentine dans les massifs peu fréquentés de la Ramada et d’Ansilta, et une en Bolivie au sein d’une vallée peu explorée de la cordillère Quimsa Cruz, au cours desquelles nous avions eu la chance de faire les ascensions de 4sommets par des itinéraires nouveaux (pas d’ascensions préalables connues).

Nous avions repéré cinq montagnes, peu gravies, et sur chacune, un itinéraire qui n’avait pas été foulé auparavant, et notamment le Dumbo, avec l’espoir que les conditions météo, réputées sévères dans la région, nous permettront de gravir au moins un de ces sommets.

Par chance, la météo aura été relativement clémente durant mon séjour, ce qui nous aura permis de réaliser deux sorties de 4 et 5 jours, avec notamment l’ascension du Cerro DUMBO, par une nouvelle voie, esthétique, dans sa face Sud.

29 novembre au 2 octobre. Chaîne Marconi.

Ascensions d’un col et d’un sommet, pas d’ascensions préalables connues.

Le 29 novembre, avec Gabriel, et Carlitos qui nous aide au portage, nous quittons El Chalten, un créneau de beau temps est annoncé par la météo le 1er novembre.

Nous rejoignons en 4 heures de marche l’extrémité ouest du lac Electrico, où nous implantons un camp. Puis le lendemain, nous rejoignons le glacier Marconi, au milieu duquel nous implantons notre camp de base. Le glacier Marconi n’est pas très fréquenté, hormis son extrémité Nord, où se trouve la Marconi Pass, qui permet de rejoindre l’Hélio Patagonico Continental au Chili. Le 1er novembre, la météo nous contraint de rester au camp. Le lendemain, à 3h00 du matin, nous partons en direction d’un col, d’où nous espérons pouvoir faire l’ascension d’un sommet jamais gravi, par sa face qui doit être orientée ouest, voire nord-ouest, que nous avons découverte sur une photo (site PataClimb) et qui parait être en neige/glace. Nous évoluons sur un glacier bien crevassé, des pentes de 30° à 45°, et nous parvenons au col, pas d’ascension préalable connue. Nous découvrons la montagne que nous envisagions, sa paroi verticale couverte d’une neige bien caractéristique de cette région, que nous imaginons sans consistance. Trop de risques, on n´y va pas. Légère déception, mais ce sont les joies et l´attrait d’aller à la découverte de l’inconnu !

Nous nous trouvons un autre objectif. A notre nord, juste au-dessus de nous, une centaine de mètres plus haut, ce qui semble être une crête sommitale, qui protège son accès par une face délicate en mixte, rocher et neige. Nous décidons d’aller voir. Une première pente en glace à 65°, puis un passage en mixte (M3), suivi de deux ressauts en mixte (M4/M4+), et nous débouchons sur la crête sommitale, pas d´ascension préalable connue. En quelques pas, j´accède à l´une des pointes de cette crête, qui nous apparaît comme son sommet central. Il est 9h30 environ, le ciel s’est dégagé, nous ne devons pas tarder à redescendre, car les conditions de neige vont rapidement se détériorer dans les pentes en-dessous du col.

Nous redescendons au camp, puis rejoignons El Chalten.


Depuis le col, les 100 derniers mètres pour accéder à l’arête sommitale.

Sur le sommet central de l’arête sommitale.

Du 6 au 10 novembre. Chaîne Marconi.

Ascension, depuis l’Hélio Continental, d’un nouvel itinéraire dans la face Sud du Cerro Dumbo (2484m)

Le 6 novembre, nous retraversons la forêt de lengas, rejoignons le refuge Piedra Del Fraile, puis après 2 heures dans les pierriers le long de la rivière El Electrico puis du lac du même nom, nous implantons notre camp à l’extrémité ouest du lac, au même emplacement que notre dernier passage. Le lendemain, par un temps pluvieux et des vents forts, nous traversons le glacier Marconi, remontons une zone rocheuse et implantons notre camp dans les rochers peu avant la Marconi Pass. Le 8 novembre, nous rejoignons l’Hélio Continental au Chili, longeons la chaîne Marconi en direction du Sud durant deux heures environ, et implantons notre camp sur le champ glaciaire, à l’ouest du Cerro Dumbo. Ce dernier, dissimulé dans les nuages, ne se dévoile pas.

Le 9 novembre, réveil 3h00. A 4h00, avec Gabriel, nous partons. La nuit est noire, sans lune, mais le ciel ne parait pas aussi dégagé qu’à 2h00. Nous remontons, plein est, sur une pente en neige peu inclinée sur un glacier, une neige dans laquelle nous enfonçons bien malgré l’heure matinale, à voir la suite… Puis, 400 mètres plus haut que la tente, une cinquante de mètres sous un col, altitude du col 1842 m sur ma carte au 1:50 000, nous sommes au pied du Dumbo.

Nous remontons plein nord, une pente à 45° environ, avec des passages à 50°. Puis nous franchissons la rimaye, peu ouverte par chance, et nous engageons dans un couloir en neige/glace, qui serpente dans la face sud de la montagne, et inclinée de 45° à 55°. La neige est dure, parfois en glace, ce qui nous rassure. En revanche, le temps est bien couvert, avec quelques éclaircies, le vent est assez fort, nous sommes perplexes, à chaque longueur de corde, nous repoussons pour un peu plus haut notre décision. Pourtant les prévisions annonçaient du beau.


Dans les pentes au début de la face Sud.

Arrivée dans le couloir.

Dans le couloir.

Une dernière pente d’une centaine de mètres inclinée à 65° puis nous débouchons sur un petit col. Nous poursuivons notre ascension, sur une centaine de mètres, par une arête bien effilée, et inclinée de 50° à 65°. Vues plongeantes, à notre gauche sur le champ de glace, et à notre droite sur le glacier Marconi.


Débouché sur le col.

Sur l´arête après le col.

Sur l´arête.

Puis nous remontons, en la longeant en contre-bas à son ouest, une portion de l’arête sommitale, en neige/glace et en mixte, qui surplombe les 1000 mètres de la face ouest jusqu’au plateau. Un passage délicat qui a exigé de l’attention.


Dans la traversée en face Ouest, en contre-bas de l’arête sommitale.

Puis un passage de quelques mètres à 75° environ nous permet de rejoindre l’arête sommitale, où apparait le sommet, quelques 100 mètres plus loin devant nous, plein nord. Nous hésitons une peu à nous y rendre en raison de la corniche, puis finalement nous décidons d’aller voir. Après ces 1000 mètres d’ascension, vers 10h00, nous atteignons le sommet du CERRO DUMBO (2484 m). Très heureux ! Après toutes ces incertitudes de ces derniers jours, et lors de cette ascension. Depuis le sommet les vues sont extraordinaires. Juste à proximité devant nous, au nord, une fine aiguille de roc, couverte de neige, suivie d’autres toutes aussi belles. A notre ouest, sur le glacier Helio Patagonico, et à notre Est sur le glacier Marconi. Nous désescaladons l’arête, la traversée, puis l’arête que nous avions remontée depuis le col. Quatre rappels pour redescendre le couloir, laissant sur place deux corps-morts et deux piquets. Nous rejoignons le camp vers 15h30. Mais il nous faut redescendre rapidement, car nous craignons la météo.


Sur l’arête qui conduit au sommet.

Sommet Cerro Dumbo.

Sommet. Juste à côté de nous, au Nord, une aiguille magnifique, puis d’autres.

Dans la descente dans le couloir.

A 17h00 nous repartons avec l’intention de redescendre au camp au bord du lac. Au début de notre progression, le beau temps domine, nous offrant des vues splendides sur le Dumbo, et les aiguilles à son Nord.


Notre petite équipe, souvenir de cette expédition réussie dans la chaîne Marconi en Patagonie.

Mais rapidement le temps va se gâter, la visibilité va devenir quasi-nulle, les chutes de neige vont s’intensifier, et surtout un vent violent en rafales va se lever lorsque nous arrivons en dessous de la Passe Marconi. Notre progression va devenir difficile dans cette tempête, et nous devons rester vigilants car le glacier est crevassé, et les ponts de neige sont fragiles en ce printemps austral. Il est 21h00, nous sommes partis depuis 4 heures du camp, nous nous arrêtons dans la zone de rochers où nous avions établi le camp 2 à la montée. La montée de la tente est épique avec ces vents, qui doivent être de l’ordre de 100 km/h. Les arceaux se cassent. Finalement nous passerons la nuit dans une tente sans arceaux, le toit de la tente au-dessus de nos visages, une tente qui va être agressée toute la nuit par le vent, sous un bruit assourdissant. Bref, une nuit qui fut plutôt humide, bruyante, mais j’ai pu un peu dormir.

10 novembre. Redescente El Chalten.

Vers 8h00, nous quittons la zone, redescendons la zone rocheuse à l’aide de rappels. Marche sous des vents violents. 6h30 après notre départ, nous rejoignons la route, contactons un véhicule qui vient nous récupérer et nous conduit à El Chalten.

Cette voie d’accès au sommet du Cerro Dumbo est logique, diversifiée, et très esthétique. Nous l’avons cotée D/IV/65°/M3, 1000 m depuis le camp sur l’Hélio Continental, dont 650 m pour la face Sud Cerro Dumbo.

En l’absence d’ascension connue, la voie est dédiée à mes amis lyonnais André et Sophie, et baptisée voie ‘André et Sophie’. En hommage à André et Sophie, à leur courage et leur force exceptionnelles face à la très grave maladie d’André.

Texte de Henry Bizot : Photos Henry Bizot et Gabriel Fava.

Laisser un commentaire

cinq × un =