Aux États-Unis, certains mots interdits dans les études sur le climat

Dans un climat de tension politique, des chercheurs américains se voient contraints de retirer certains mots de leurs travaux pour conserver une subvention. Des termes comme climat, justice environnementale ou femme sont soudain devenus tabous, plongeant beaucoup dans l’incrédulité. Cette décision, imposée sous couvert d’« abrogation Woke », fragilise des projets de recherche et suscite un vent de panique au sein de la communauté scientifique.

« Femme », un mot interdit

Lorsque Alessandro Rigolon, professeur d’urbanisme à l’université de l’Utah, a ouvert le courriel lui intimant de retirer « climat » du titre de ses recherches, il a cru à une erreur de destinataire. « Je n’arrive pas à croire que j’écris ceci depuis les États-Unis », confiait-il sur Bluesky le 10 février. En réalité, le 29 janvier, le secrétaire aux Transports de l’administration Trump a signé un mémorandum baptisé « abrogation Woke ». Son objectif : éliminer toute référence aux questions sociales ou environnementales des programmes financés par l’État.

Dans la foulée, les agences fédérales ont reçu pour mission d’identifier et de supprimer des mots interdits au sein des demandes de financement. Ainsi, « changement climatique », « émissions de gaz à effet de serre » et « justice environnementale » figurent désormais sur la liste noire. Partout, les chercheurs partagent leur stupéfaction : impossible, selon eux, de rédiger une étude en sciences sociales ou biomédicales sans user d’au moins un de ces termes. Darby Saxbe, professeure en psychologie à l’université de Californie du Sud, a publié une liste d’environ 120 mots à proscrire, de « préjugé » à… « femme ». Alertée par un responsable de la National Science Foundation, elle déplore un véritable « gel de la recherche » dans de nombreux domaines.

Erreur 404

L’offensive ne se limite pas aux mots. Les pages dédiées à la crise climatique sur tous les sites gouvernementaux ont été purement effacées : de la Maison-Blanche au ministère de la Défense, le mot « climat » renvoie désormais à une erreur 404 Not Found. Tyler Norris, doctorant à l’université Duke, s’est retrouvé confronté à la disparition de ses travaux sur l’interconnexion des réseaux électriques du site du ministère de l’Énergie. Même constat pour David Ho, climatologue, dont les études sur le cycle du carbone océanique ont été rayées des archives en ligne.

Dans les couloirs de Washington, plusieurs collègues ont raconté avoir dû se débrouiller par leurs propres moyens pour continuer à vivre. L’une d’elles, sous couvert d’anonymat, a même emprunté à ses parents pour payer son loyer après l’annulation de son financement. Pourtant, un juge de la cour de district de Washington a émis, le 3 février, une ordonnance de restriction temporaire, suspendant ces mesures. Mais l’inquiétude demeure : jusqu’à quand les recherches pourront-elles résister à cette censure numérique ?

« Un vol aux proportions astronomiques »

Meade Krosby, chercheuse en biologie à l’université de Washington, parle d’« un vol aux proportions astronomiques ». Sur Bluesky, elle s’indignait de l’impact financier : « Combien ces données ont-elles coûté aux contribuables, et que devrons-nous débourser pour les reconstituer un jour ? » Plusieurs experts estiment que la suppression de ces ressources nuit non seulement aux équipes locales, mais compromet aussi la compétitivité des États-Unis sur la scène internationale.

Gretchen Gehrke, de l’Environmental Data & Governance Initiative, rappelle que cette bataille est loin d’être terminée : « Attendez-vous à une nouvelle campagne massive de suppression d’informations ». En quelques jours, des travaux concoctés pendant des mois ont disparu, laissant chercheurs et étudiants dans l’expectative. Un collègue climatologue, rencontré à Baltimore, confiait : « J’avais prévu de lancer une étude sur l’adaptation des villes côtières, mais sans droit d’évoquer le changement climatique, impossible d’avancer. »

Désormais, la communauté scientifique se mobilise. Plaidoyers, recours juridiques et pétitions se multiplient : l’American Geophysical Union et l’Environmental Defense Fund ont publié des rapports dénonçant la mesure. Dans la presse, plusieurs organismes indépendants comme l’Union of Concerned Scientists appellent à faire pression sur le Congrès. Leur message est clair : interdire des mots ne règlera pas la crise climatique, au contraire, cela retarde la recherche et freine l’innovation. Si la censure persiste, c’est tout un pan de la connaissance qui est menacé.

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