Bloc : l’éthique évolue ?

Tout est parti hier d’une jolie vidéo mettant en scène Melissa Le Nevé, Mike Fuselier, Axel Ballay, Jacopo Larcher, Lucas Ménégatti, Guillaume Glairon-Mondet en trip à Bleau. On les voit se frotter à quelques classiques de la forêt, avec des morceaux de choix entre le 7C et le 8C.

A visionner ici

1) La Surprise :

En point d’orgue, nous trouvons l’ascension live de Guillaume dans ‘Gecko assis’, 8B+. Une ascension qui m’a profondément heurté : Guillaume ne part pas assis, preuve en images ! Alors diffuser une vidéo d’escalade oui, mais pour le coup je tiens à tout de même me tenir garant de l’éthique.
Je tiens ici à préciser que le but n’est pas de dénigrer et de jeter du discrédit sur l’ascension de Guillaume. Nous savons tous, pour avoir vu le bougre en action, que ce soit en compétition ou en milieu naturel qu’il tient les prises pour 10 et qu’il représente, avec quelques autres talents comme son pote François Kaiser,  le fleuron du bloc français : ce qu’il se fait de mieux en France dans la matière ! D’autant plus quand on sait que le sieur a réalisé ce bloc extrême en deux courtes séances de travail et en quelques essais, bref avec une facilité déconcertante…

Mais le but ici de prendre cet exemple pour parler de l’éthique en bloc, un phénomène qui semble de moins en moins à la mode de nos jours… On peut en effet être dans le droit de se poser la question éthique de la validité de cette réalisation. Car il existe encore bel et bien des limites, bien qu’on recherche dans la pratique du bloc la perfection du geste et la liberté totale du mouvement. Elles sont fixées par l’ouvreur du passage, qui pose généralement une description du problème. Alors, certes il peut y avoir des différences dans les séquences de prises de mains ou de pieds réalisées pouvant atténuer la difficulté, mais il ne peut y en avoir dans les manières de démarrer un bloc ou de le sortir si précision il y a ! C’est un peu comme démarrer un bloc de compétition avec les membres en dehors des scotchs. Et cette vidéo n’est un exemple parmi d’autres. Considérant l’actualité du bloc mondial, je suis plus ou moins persuadé que chaque semaine des blocs extrêmes ne sont pas répétés dans les règles dans lesquelles elles ont été fixées à l’ouverture, par méconnaissance ou négligence de celles-ci.  Le départ debout du « Mandala » (Bishop) par Alex Johnson a fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière par exemple…Et on ne parle même pas de l’aberration du départ de ‘The Island’ ouvert par Dave Graham…

2) Le pot aux roses :

Mais revenons à nos moutons.
Il se trouve en plus que partir assis dans « Gecko assis » ne change absolument rien à la difficulté du bloc et Guillaume n’est pas le premier à avoir répété le bloc en démarrant accroupi ! Donc la perf devrait tout de même est considérée comme valide par les puristes, les mouvements-clé et la difficulté majeure du problème se situant après la ‘mise en place de départ’. Malgré tout, sans vouloir susciter de polémique, 3 interrogations demeurent :
1) Pourquoi alors ne pas avoir la rigueur de partir les fesses sur le sol comme un vrai départ assis ?
2) Le sol en bas du bloc est-il actuellement plus bas qu’avant compte-tenu du phénomène d’érosion en vigueur dans la plupart des massifs bellifontains ce qui pourrait expliquer la chose ? Après vérification auprès des instances locales, la réponse est non.
3) Les futurs prétendants à la croix ne risquent-ils pas de ne pas partir correctement des vidéos présentant  ce départ légèrement biaisé ?

Car en creusant un peu, j’ai tenu à comparer la vidéo de Guillaume avec les différentes vidéos de ‘Gecko assis’ qu’il m’a été donné de trouver. Et là, ben c’est carrément édifiant ! Partons du moins au plus choquant :

– Sébastien Frigault : vidéo live de l’ascension sans coupure, départ assis conventionnel, rien à signaler. 

Sébastien Frigault au départ de Gecko assis

– Paul Robinson : On le voit partir assis en travaillant le bloc mais dans le montage de l’ascension, le premier plan du montage de l’ascension le montre déjà pendu sur les prises, le corps oscillant. On peut supposer qu’il est parti assis…

Robinson part assis d’un pad lors d’un essai infructueux

– Michele Caminati : très beau montage sur ce bloc, surement le plus réussi, avec un dynamisme dans l’enchaînement des plans et plusieurs angles de prises de vue. Mais présentant un départ bas, rasant le pad et  pas vraiment assis

Michele Caminati au départ, les fesses sont déjà décollées

– Guillaume Glairon-Mondet : départ accroupi mais non-assis, les fesses à plus de 20 cm au dessus du pad !

– Tyler Landman dans le film ‘Between the trees’ de Keith Bradbury : départ accroupi redressé, quasiment plus proche de la position debout que assise !

Tyler Landman, quasiment debout au départ !

Avec l’apparition des crash-pads ces 10 dernières années, il est clair que les règles d’usage concernant les épaisseurs sous les pieds au moment des départs a été bouleversée. Avant, on partait d’un paillasson sur le sol pour un départ debout, maintenant généralement d’un pad. Pour les départ assis, actuellement la majorité des pratiquants d’un site de bloc partent les fesses sur leur pad. Il est actuellement courant, notamment à Fontainebleau où nombre de passages ont été ouverts il y a maintenant bon nombre d’années de voir un grimpeur répéter un bloc dans un esprit très lointain de celui dans lequel il a été ouvert, souvent par méconnaissance de la méthode d’ouverture. Les bleausards les plus pointilleux en matière d’éthique préconisent un additionnal-pad sous les fesses pour un départ assis et un départ du sol sans pad pour les départs debout. Mais force est de constater que peu respectent ces recommandations.

3) Réflexion :

A-t-on le droit de partir avec un crash, voire deux sous les pieds en départ debout sachant que je suis plus petit et que je n’arrive pas à atteindre les prises que tout le monde attrape ? Peut on s’autoriser un pad sous les fesses pour son confort lors d’un départ assis plutôt que de se tasser dans la terre ?

Je n’ai pas la réponse et que je ne prétends pas la donner. Il est évident que ces dernières varient sensiblement selon les individus et les blocs concernés. Moi-même en tant que grimpeur il a du m’arriver de répéter plus ou moins consciemment des blocs avec un crash-pad épais sous les fesses au départ, ou en ne partant pas avec les bonnes prises de départ, avec une touchette maladroite du pareur sur un mouvement dynamique, ou en trouvant des arrangements pour y arriver. Pas plus tard que dimanche, excédé de prendre des boîtes et de me bousiller les chevilles, je plantais la corde sous l’hilarité générale dans un morceau de taille du Cuvier Rempart pour travailler plus facilement un mouvement un poil expo qui me posait des problèmes. Il y a dix ans, il est possible que je me sois fait fusiller sur place ! Mais qu’importe ? Cela ne regarde que moi. Que celui qui se dit irréprochable me lance la première pierre…

Tout cela pour dire que pour moi personne est exemplaire en la matière et qu’on s’est tous retrouvé dans cette situation de dilemme ou de prise de recul après avoir réalisé un passage à l’arrache ou après s’être rendu compte qu’un bloc réalisé était très loin de la difficulté annoncée…Après à chacun de bâtir sa propre éthique en fonction de sa conception de la pratique. Mais il est des fois où dans l’euphorie d’un très bel essai qui inaugure une future réussite, le pratiquant en perd toute sa lucidité et se permet certains aménagements incroyables, comme une double épaisseur de pad pour être plus en place sur les prises de départ par exemple.

Bref, il en reste pas moins qu’un départ assis reste un départ assis nom d’un chien ! Donc le cul par terre sur un pad pas trop épais s’il vous plaît !

4) Le point de vue de l’ouvreur :

C’est donc naturellement que je me suis aussi tourné vers l’ouvreur de « Gecko assis », Olivier Lebreton pour savoir son avis là-dessus. Car connaissant un petit peu le personnage il était clair dans mon esprit qu’il ne se soit pas permis pareille fantaisie.

crédit : coll. Lebreton

Voici ce qu’il m’a répondu sur le ton de l’ironie :

« Ayant vu la vidéo de Gecko assis, les images parlent d’elles-même et libre à chacun de se faire une opinion. Je peux juste essayer de faire un raisonnement par l’absurde et imaginer une scène : Bercy 2012, Guigui est le king en finale, il fait 4 blocs en 5 essais. Le russe Vitaly Bourinov va grimper le dernier bloc mais ce n’est absolument pas son style, il n’a aucune chance. Mais il prend son élan, biscuite le premier mouv’ et empoche le bloc terminant ainsi son circuit en 4 blocs, 4 essais. Tout le monde l’a vu sauf le juge qui rétorque à Guillaume : « ce n’est pas grave, de toute façon le premier mouv’ c’est du 6a ». Ce n’est pas très grave en effet, mais il n’a pas respecté la règle du jeu. Comme Guillaume sur Gecko assis et comme tous les grimpeurs qui ne respectent pas la règle du jeu de base : on part du sol que ce soit les pieds ou les fesses (je sais, la terre c’est sale mais c’est pour cela qu’il a des mini crashs très fins ou plus rudimentaire, un paillasson). Ensuite seul l’ouvreur peut imposer une contrainte (départ bas, d’un caillou etc….), aux autres ensuite de mieux faire. Et pour finir, le départ assis de Gecko est ce qu’il y a de plus logique : un gros bac et un petit croisé pour arriver là  où est parti Guillaume ; et vu son niveau actuel, ce n’est pas ça qui lui aurait posé problème… »

Olivier à l’ouverture dans ‘Gecko assis’ (coll. Lebreton)


5) Epilogue :

Guillaume Glairon-Mondet, mis au courant de l’article depuis les Etats-Unis, reconnait son manque de rigueur. Il promet même une belle chose : plier une nouvelle fois le bloc avec le vrai départ assis, à son retour de Bishop en mars. Car il marche tellement dans les autres mouvements sensés être infaisables que ce ne sera qu’une formalité pour lui, chose dont je suis persuadé au visionnage de la vidéo. 

Guillaume la machine, en plein run dans The Big Island, 8C après 9 jours consécutifs de grimpe

Alors sûrement que certains trouveront que je joue au vieil aigri moralisateur-donneur de leçons-fouille merde-de quoi je me mêle et que je devrai me regarder plus souvent dans la glace. Mais il me semble que le temps passe et l’éthique semble évoluer sans que personne ne semble choqué. Alors il est peut-être temps d’appuyer un coup sur le signal d’alarme ? Je serai content si ma petite enquête peut permettre chez certains pratiquants un début de prise (ou une reprise) de conscience sur ce que les extrémistes nommeront une dérive du bloc, d’autres plus modérés une tendance actuelle de cette activité. Car en ce moment, il ne faut pas trop laisser de bâtons pour se faire battre, un certain Thomas Leleu veille aux grains !

 

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