Critique : The Scene

Le film d’escalade de ce début d’automne est sans nul doute le petit dernier du cinéaste et grimpeur américain Chuck Fryberger. Contrairement à « Core », son précédemment long métrage sorti en 2009 qui compilait portraits de grimpeurs, scènes d’action et délires déjantés sans véritable fil directeur, on a affaire ici à un essai de documentaire. Chose résolument surprenante, puisque je n’avais pas vu un film d’escalade produit aux US réellement aussi construit et abouti depuis la sortie de « King Lines » en 2007.

En effet, « The Scene » est un peu une photographie de ce qui se passe en 2011 dans divers coins de la planète escalade. Chuck Fryberger épluche un à un les différents milieux du petit Monde de l’escalade dans lesquels il a baigné. Une immersion dans les pratiques des grimpeurs qui dure pas moins d’une heure et quart au total ! Ce qui marque le plus dans ce nouveau film, c’est que le réalisateur s’attarde davantage sur les personnalités des grimpeurs et leurs motivations de pratique (ce qui était déjà le cas dans « Pure ou « Core » mais la tendance est encore ici accentuée). Les images de grimpe, même si elles sont nombreuses et magnifiques sont presque mises en arrière plan. Les performances et réalisations ne viennent qu’étayer et embellir le propos. « The Scene » présente beaucoup de portraits, d’interviews, de commentaires en voie off. Les interlocuteurs se bousculent et tous viennent apporter leur petit mot. Une richesse des témoignages et des propos rarement observée dans un film d’escalade, ce qui donne au film un intérêt culturel certain.

De plus, le film est rendu particulièrement dynamique dans l’articulation des différentes séquences. On rebondit d’acteur en acteur de manière naturelle, sans se poser de questions. Pourtant, on peut passer de Boulder à Innsbrück en 30 secondes.  De toute évidence, une alchimie a été trouvée pour rendre compte de pratiques endroits, atmosphères, philosophies, communautés différentes et variées sans qu’il n’y ait de réelles ruptures entre les différentes parties du film.

Ainsi successivement les épisodes s’enchaînent : Steph Davis faisant du base jump à Indu Tower dans l’Utah, Nalle Hukkataival à Joe’s Valley, la scène de Boulder (Colorado) en compagnie de Jamie Emerson et de Dave Graham qui nous explique comment il conçoit sa vision de l’escalade au quotidien qu’il appelle « The Island », faite de défrichages de bloc et d’escalade entre potes sans se prendre la tête. S’en suit un impressionnant morceau sur l’approche du trad par Matt Wilder et Pat Goodman à New River Gorge. « J’y vais et après je vois ce qui se passe » conclut Pat après son ascension de « Scavenger ». Le rythme cardiaque bat aussi très fort dans l’engagé mais somptueux « Golden Bullet » (8b) gravi par Matt.

Après une séquence plus carte postale à Bishop en compagnie de Nalle Hukkataival, Alex Johnson ou encore Anna  Stöhr dans des classiques durs du spot, direction le repère des autrichiens, Innsbrück où la culture de l’entraînement et de la compétition est omniprésente. Un focus est effectué sur Kilian Fischhuber, un des stars locales les plus reconnues. De passage sur un évènement, la légende Jerry Moffatt nous y confie que la compétition le transcende mais qu’il préférait à l’époque ouvrir des nouvelles voies. A peine le temps de prendre l’air avec le discret Much Mayr et l’exubérant Cody Roth dans le Tyrol, que les propos de la légende anglaise sont repris par notre champion du Monde de difficulté Ramon Julian : « la compétition c’est pour mes sponsors mais ma motivation principale c’est gravir des voies dures ».

La dernière partie du film est donc logiquement consacrée à la grimpe sauce catalane, avec la falaise d’Oliana en fond. Les locaux  Daila Ojeda, Dani Andrada ou du visiteur Ethan Pringle, de passage dans la région dissèquent la philosophie du « A muerte ». Andrada en profite pour nous glisser une petite pique en disant que si la Catalogne est plus attractive que le Sud de la France, c’est pour lui parce que les ouvreurs sont meilleurs ! Bien évidemment, les confidences du King  viennent aussi étayer le débat. Chris aborde le développement de la grimpe là-bas, le fanatisme. Bien sûr, pour lui il y a la quête d’aventure, découvrir de nouveaux projets sur des nouveaux terrains de jeux. Mais le King évoque surtout la pression due à son statut, le combat mental et le temps qu’il faut pour arriver à ses fins. Toutes les galères, souffrances et labeurs qui font qu’on apprécie particulièrement les réussites. Des images dans sa dernière voie sordide « Fight of flight » (9b) viennent illustrer ses dires.

Tout de même les images de « The Scene », principalement capturées en plongée rendent bien. Chuck nous expose une nouvelle fois ici tout son Art. La maîtrise des ralentis est parfaite et donne au mouvement du grimpeur un côté pur et vraiment spontané. Les nombreux cuts et l’alternance des nombreux plans dynamisent l’ensemble. On navigue immédiatement et facilement au cœur de l’action, tout le talent de Chuck Fryberger.

Plus abouti que les précédents films du réalisateur,  « The Scene » est à coup sûr une des productions les plus réussies de l’année. Vous pouvez l’acquérir en version française sur IClimb pour 20 euros. 

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