À l’heure où les identités amoureuses et sexuelles sont de plus en plus explorées, un mot revient souvent dans les cercles spécialisés : fictosexualité. Une orientation encore peu connue du grand public, mais qui suscite la curiosité des chercheurs, des communautés en ligne… et de plus en plus de personnes qui s’y reconnaissent. Parce qu’après tout, qui n’a jamais eu un faible pour un personnage de roman ou de dessin animé dans sa jeunesse ?
Une attirance centrée sur les personnages de fiction
La fictosexualité désigne une attirance sexuelle ou romantique envers des personnages fictifs, qu’ils viennent de livres, de séries, de mangas, de films ou encore de jeux vidéo. Il ne s’agit pas simplement d’un petit crush passager sur un héros charismatique, mais bien d’un attachement profond, parfois exclusif. Un amour vécu sincèrement, comme une véritable relation, mais dans un monde parallèle.
Tanja Välisalo, chercheuse à l’Université de Jyväskylä en Finlande, a cosigné une étude sur le sujet en 2021. Elle explique que cette orientation n’est pas nouvelle, mais que c’est la façon dont les personnes en parlent aujourd’hui, notamment sur les forums et les réseaux, qui a changé. « Les gens peuvent désormais partager leurs expériences et construire une communauté autour de cette attirance », souligne-t-elle.
Ni fantasme passager, ni isolement
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la fictosexualité ne se résume pas à une fuite du réel ou à un fantasme adolescent. Pour beaucoup, il s’agit d’un véritable lien affectif, parfois plus fort que ceux vécus dans la réalité. Gari, par exemple, témoigne de son amour pour Général Blue, un personnage de Dragon Ball : « Il est plus qu’un personnage, il fait partie de moi. C’est mon meilleur ami, mon pilier, l’amour de ma vie. »
Ce genre de déclaration peut surprendre, bien sûr. Mais elle reflète un besoin profond de connexion émotionnelle qui, pour certains, se construit plus facilement dans la fiction qu’avec des personnes réelles. Et contrairement aux clichés, les fictosexuels ne sont pas forcément isolés ou déconnectés du monde. Ils ont des vies actives, des relations sociales, et cette orientation s’ajoute simplement à la richesse de leur identité.

Une orientation encore mal comprise mais bien réelle
Ce qui trouble souvent, c’est cette frontière floue entre réalité et fiction. Peut-on vraiment aimer quelqu’un qui n’existe pas ? Et est-ce « normal » ? À cette question, les experts répondent sans ambiguïté : tant qu’il n’y a pas de souffrance, il n’y a pas lieu de pathologiser.
Ni l’Organisation mondiale de la santé, ni l’American Psychiatric Association ne considèrent la fictosexualité comme un trouble. Ce n’est pas un diagnostic, mais bien une orientation sexuelle à part entière, au même titre que l’hétérosexualité, la bisexualité, ou l’asexualité. Et comme pour toutes les orientations, ce qui compte avant tout, c’est le respect, l’écoute et la liberté de chacun de se définir comme il le souhaite.
Quand la fiction devient une zone de sécurité
Dans un monde parfois brutal, les personnages fictifs peuvent offrir un espace de sécurité émotionnelle. Pour certains fictosexuels, ces figures imaginaires ont même joué un rôle thérapeutique. « Il y a des périodes où je n’allais pas bien, confie Clara, 26 ans. Me replonger dans l’univers d’un manga que j’aimais, et ressentir ce lien avec un personnage, ça m’aidait à me relever. »
C’est là toute la subtilité de cette orientation : ce n’est pas une simple projection, ni une illusion. C’est une manière de se relier au monde autrement, avec des codes différents, mais une intensité bien réelle.