FN du Grand Dru – Voie Lesueur – Pour Yann Borgnet & Christophe Dumarest

 

Dernière réalisation en date du jeune alpiniste Yann
Borgnet, en compagnie de Christophe Dumarest : l’ascension de la face Nord du
Grand Dru par la voie Lesueur, la voie originelle de 1952. Une voie rarement
reprise dans son intégralité et qui a mis à l’épreuve la technique et la
condition physique des deux alpinistes, même si les conditions étaient plutôt
favorables.

 

A 20 ans seulement, Yann Borgnet est déjà un alpiniste extrêmement accompli. Il
partage sa vie entre Annecy où il réside, Rennes où il poursuit un magistère «
Sciences du sport et de l’éducation physique » à l’antenne de Bretagne de l’ENS
Cachan et Chamonix où il exprime sa créativité sur les sommets alpins.

 

Dès 15 ans, Yann s’est lancé dans l’alpinisme. Il s’est ainsi construit une
vision de la montagne et une éthique originale, sur les traces de son père
spirituel, Patrick Berhault. Pour lui, la performance n’est pas une fin en soi,
mais un moyen d’établir une relation intime avec son environnement, social et
naturel. L’humain est sans doute le facteur qui l’a poussé le plus vers ce sport
: s’affranchir des lois de la pesanteur avec et non contre les autres, se hisser
vers les sommets de la collaboration humaine. En quête de liberté et d’harmonie
avec la nature, Yann affectionne les longs voyages en montagne, lui faisant
arpenter faces, arêtes et autres bizarreries alpines.

En 2010, la marque
EIDER rencontre Yann Borgnet et décide de signer ce jeune et talentueux
alpiniste. Le point commun entre la marque et le jeune homme: UNE passion, celle
de la montagne.

Entre autres réalisations, l’un de ses exploits fut l’enchaînement des trois
voies historiques de Bonatti au Mont Blanc en compagnie de Christophe Dumarest :
la face Nord des Grandes Jorasses, du Grand Capucin et du Pilier Rouge du
Brouillard
– un formidable voyage entre verticalité et arêtes vertigineuses, une
immersion totale dans les lieux les plus sauvages du massif du Mont-Blanc. Bien
plus qu’un exploit, ce fut un hommage rendu au fameux alpiniste italien, en
arpentant des sommets emblématiques, et en finissant le parcours sur le toit de
l’Europe.
Yann résume cette expérience par ces quelques mots : « Ce qui m’a
marqué durant cet enchainement, c’est l’état sauvage, quasi désertique que le
Massif du Mont-Blanc avait revêtu en ce mois d’octobre ! Une plénitude partagée
simplement…
»

 

Le
récit de l’ascension du Grand Dru par la face Nord

par
Yann Borgnet

 

« Tout commence par un coup de fil de Christophe, alors que je suis dans une
salle de cours Rennaise. Le créneau est là ! Le lendemain, me voilà donc dans le
premier train, retour aux sources ! Après un petit détour par la bibliothèque de
l’ENSA, c’est décidé, ce sera les Drus, par sa face Nord ! Les Drus, je la
connaissais pour sa face Ouest, impressionnant jet vertical de 900m de haut,
probablement la paroi la plus imposante du massif. Lorsque l’on circule entre
Cham’ et Argentière, c’est LA montagne qui titille le regard. Éclairée par les
rayons du soleil couchant, elle semble presque accueillante…
Et pourtant,
elle a subi de monstres éboulements ces dernières années, en témoigne l’immense
tâche grise qui jalonne la face sur toute sa hauteur. Nous ne sommes que peu de
choses à côté de cet empilement de 3 tours Eiffel… La Face Nord, lieu austère,
face cachée.3h45, c’est l’heure fatidique du lever… C’est déjà presque la
grasse matinée pour aller grimper en montagne ! Nous atteignons rapidement nos
affaires déposées la veille au pied de la voie. Personne dans la Lesueur, c’est
plutôt bon signe ! Cette voie n’a été reprise que très rarement dans son
intégralité. 

 

Ueli Steck y est allé trainer ses piolets cet hiver, mais en grimpant de
multiples variantes, qui dénaturent un peu l’ampleur de l’itinéraire. Pour notre
part, nous voulons grimper la voie originelle, celle de 1952. J’attaque donc par
2 longueurs de mixte d’approche, échauffement aux hostilités qui ne tardent pas
à arriver. Troisième longueur, mon piolet file dans le vide ! Tout commence pour
le mieux, alors que nous avons 700 m de face mixte au dessus de la tête.
Descente signifie retour à casa. Elle se fera donc depuis le sommet, ou ne se
fera pas !
C’est donc par une grimpe mi-dry, mi-escalade que je finirai
l’ascension. Encore une longueur devant, et je lâche la bête Dumarest. Aucun
doute, il est en forme !
Après 16 longueurs de mixte pas toujours très
commodes, le jour commence à poindre, et il serait temps de trouver une petite
maisonnée. 10 m sous le relais, ça semble pas mal, ou 30m au dessus, peut-être.
Que faire ? Nous choisissons la raison. Un petit rappel nous mène à ladite plate
forme. On se contentera d’une petite plate forme à peu près plate. C’est moins
plat que ça ne paraissait d’en haut, mais un petit peu de terrassement va
remédier à ce tort. Deux places allongées, quel luxe !
Arrivé 18h30, il nous
faudra 4h pour terrasser, faire fondre 2 litres d’eau et manger…

 

4h, réveil… Difficile de s’arracher de la chaleur du duvet. Pourtant, il le
faut bien. Comme la veille, c’est le bal du réchaud qui initie cette seconde
journée en paroi. Faire fondre de la neige, encore, toujours… Ce matin, c’est
à moi de commencer. La longueur ne m’inspire pas : une fissure large qui vient
rayer un petit mur déversant. Le passage est court, mais impressionnant ! Je
pose le sac, et attaque. Je suis toujours frappé par l’adaptation du corps au
rocher, plus précisément par son adaptation subconsciente, dénuée de conscience.
Par un automatisme bien réglé, les mouvements s’enchainent de manière presque
logique. Il y a toujours la prise là où il faut, quant il faut. Je me retrouve
alors au pied d’un tunnel, surmonté par un enchevêtrement de lames dont le
maintien tient du miracle, et peut-être pour une petite part du gel. Au début,
on ose pas les toucher, puis il vient un moment où, ayant épluché toutes les
autres alternatives, on commence à les effleurer… C’est alors par une
répartition subtile des appuis que l’on parvient à s’extirper du passage.
Répartition subtile se traduisant davantage par un tractage en règle sur
l’enchevêtrement douteux… Cette fois-ci, il a tenu !

 

Bientôt le couloir nord, que nous quittons à une longueur de la brèche pour nous
engager dans de belles longueurs de mixte en traverser, afin de rejoindre le
sommet du Grand Dru.
Le sommet, plénitude d’un instant unique. Instant mêlé
de satisfaction, de relâchement, de décompression, de chaleur, d’une volonté de
se poser, de ne plus penser, de ne penser à rien, juste à l’instant, à l’instant
présent. Alors que notre existence est entachée de regrets, de souvenirs, de
désirs, d’espérances… Ce sont de rares instants où l’on se contente de
l’instant, instant de bonheur, peut-être. »

 

Yann Borgnet

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