Interview : Emmanuel Ratouis

 

Kairn est allé à la rencontre d’Emmanuel Ratouis pour en savoir un peu plus sur son itinéraire atypique de Guide de haute montagne et de thérapeute en psychogénéalogie.

 

Propos recueillis par Rodolphe Popier pour Kairn.com

 

1 – Comment en es-tu venu au métier de guide, par quelle voie si j’ose dire ?

 

A l’origine j’ai fait une école de commerce option finances à Paris, je suis parti dans l’audit pour devenir directeur financier. Après j’ai bossé dans un grand cabinet de conseil anglo-américain, un cabinet hallucinant où l’on est évalué sur 4 pages tous les 15 jours! J’ai fait ça pendant 3 ans en tant que chef de mission. Puis j’ai passé mon monitorat d’escalade en 1992 : dès le lendemain j’ai demandé ma démission ! En fait je m’entrainais beaucoup, déjà avant d’entrer dans cette boite, je grimpais à Bleau énormément et j’avais le niveau pour le BE escalade…Enfin j’ai passé mon guide, en 1994 je crois.

 

2 – Une belle promo ?

 

Oui, je pense une des meilleures promos de ces 50 dernières années et ça vient d’un fait très particulier, à savoir que c’était la première année où c’était ouvert à tout le monde. Plus besoin d’être Accompagnateur en moyenne montagne, c’était l’année de la réforme. Du coup plein de gens sont arrivés, avec un fort niveau mais qui n’avaient pas l’Accompagnateur ou le monitorat d’escalade. Et comme ils se sont plantés un peu au niveau de la sélection, on a été très peu nombreux : on était la plus petite promo de ces 30-40 dernières années. Et ça a mis la barre très haut ! Dans le groupe il y avait Stéphane Benoist, Fred Gentet, Arnaud Boudet, Benoit Robert, Zébulon, Fred Valet, Christophe Dat…Beaucoup de mecs très forts en grimpe, il y avait un super niveau. Et dans cette promo, j’ai sympathisé avec plein de monde, la moitié de la promo pratiquement était des copains.

 

De là j’ai acheté une vieille ferme que j’ai retapée pour en faire un gîte, pour ne pas dépendre du métier de guide et pouvoir refuser ce qui ne me convient pas et garder l’envie profonde de faire des choses.

 

3 – Comment en es-tu venu à te plonger dans le monde de la psychologie ?

 

Des mon arrivée sur Chamonix, après avoir quitté mon cabinet d’audit, j’ai commencé à avoir des problèmes de dos. Mon rhumatologue  m’avait alors dit « Mr Ratouis, ne levez plus jamais le bras, vous pouvez devenir paralysé » ! Et je craignais de ne plus jamais pouvoir skier ni grimper, tellement j’avais mal au dos. Donc là je me suis dit : il faut que j’essaie tout ! Alors tout y est passé : mésothérapie, médecine classique, rhumatologie, balnéothérapie, Yoga, osthéopathie, étiomédecine…et c’est en étiomédecine qu’il a commencé à se passer des choses. J’étais suivi en même temps par les kinés de l’équipe de France de ski et de parapente de Chamonix,  et là les progrès ont été impressionnants, en gain de souplesse (en une séance parfois je gagnais plusieurs cms!), et d’abord en tensions libérées : des colères enfouies depuis l’enfance, contre mes parents, tout ça s ‘évacuait, sans comprendre.

Alors que j’étais suivi ensuite par 3 thérapeutes en étiomédecine, les trois se sont accordés pour me diagnostiquer la même chose :  «Il y a un problème sur plusieurs générations du côté de votre père », juste en prenant mon pouls ! Moi je ne savais pas ce que c’était mais alors que les relations avec mes parents avaient toujours été difficiles, à partir de ce moment là, je me mis à les accueillir avec plaisir. Mais en même temps, il me manquait toujours des compréhensions. Un copain guide a fait venir un jour Michel Charruyer au gîte et je l’ai rencontré comme ça ; il faisait de la psychogénéalogie…Et comme mon frère que j’avais envoyé faire une séance d’étiomédecine était sorti avec la même information que moi, à savoir ce problème sur plusieurs générations du côté du père, j’ai eu envie d’aller à la rencontre de ce problème. Du coup j’ai fait ma thérapie personnelle avec Michel Charruyer vers 35 ans, et après ça, il est devenu mon professeur et j’ai fait pas mal de stages en plus : sur la mémoire familiale, sur le « projet sens » et bien d’autres pour pouvoir travailler avec plusieurs grilles d’analyse…

 

4 – La psychogénéalogie, pourrais-tu nous en dire quelques mots ?

 

– En fait, c’est une approche relativement récente, même si ça fait déjà 30 ans que ça existe. Il y a une femme qui est considérée comme une pionnière en la matière, qui est conférencière internationale, très connue, et qui habite d’ailleurs Chamonix une partie de l’année. Elle s’appelle Anne Ancelin Schützenberger et son livre « Aïe mes aïeux ! » publié en 2002 a été tiré à 24 éditions chez Albin Michel, à mon avis à plusieurs dizaine de milliers d’exemplaires! 

Cette femme, psychanalyste à l’origine, est arrivée à la psychogénéalogie le jour où sa fille lui a dit : « Tiens maman, c’est dingue, je viens de réaliser que dans la famille, ça fait 3 générations qu’il y a deux enfants, et l’aîné meurt à 30 ans », et c’était sa fille aînée qui lui disait ça, elle avait 26 ans. Alors elle s’est dit « Ah mais tu as raison, on a donc 4 ans pour trouver ». C’est de ça qu’elle est partie pour explorer cette dimension du transgénérationnel, et elle s’est rendue compte progressivement à travers la recherche sur d’autres cas de l’existence bien réelle de ce type de maladie. Elle cite ainsi le cas d’une femme suédoise qu’elle va voir à un moment : tout se passe bien dans sa vie, tout va bien, elle est heureuse dans son mariage, très heureuse d’avoir un enfant, mais elle contracte un cancer du sein assez mauvais à 35 ans ; or elle découvre en remontant l’arbre que sa mère est morte du même cancer du sein à 35 ans ! Donc si tu veux, elle commence à comprendre qu’il y a des héritages inconscients, qui se passent d’une génération à une autre, pouvant déboucher sur des maladies, des décès…

 

5 – Et justement, qu’est-ce que cette démarche t’a appris, s’agissant de ta propre prise de risque ?

 

– J’ai compris très concrètement comment ma conception a empêché mes parents de rembourser leur dette inconsciente, qui était quand même très puissante et pesante car inscrite sur plusieurs générations dans l’arbre, à savoir la récupération du titre de noblesse de la famille. En fait notre ancêtre du côté de mon père avait acquis son titre de noblesse suite à la construction du Pont de Tours il y a 200 ans , et ce titre s’était perdu ensuite dans la descendance. La culpabilité de la perte de la particule et la nécessité de le retrouver s’est transmise dès lors inconsciemment jusqu’à moi. Or ma conception a justement empêché la récupération de ce titre de noblesse, alors que la procédure était en train de fonctionner; mes parents étaient sur le point de récupérer la particule ! J’ai en fait été conçu le jour même où les châtelains du château de famille qu’on avait perdu sont venus à la maison, chez mes parents : c’était la fête, mes parents avaient retrouvé l’aristocratie, c’était l’euphorie!  Ça y est, on y était, on allait rembourser la dette et moi là dessus j’arrive exactement à ce moment, et ce n’est pas par hasard, c’est évident (en fait, j’ai compris bien plus tard que je les arrangeais inconsciemment) ! Ils ont donc dû redémarrer la procédure par ma venue et cette fois les choses ont échoué.

 

Enfant non désiré porteur de cet héritage, c’est cela qui m’a directement propulsé vers la prise de risque. J’ai ainsi commencé le ski de pente raide à 12 ans, seul toute la journée sur les pentes, et à 20 ans le ski extrême, toujours seul! Et pour moi, comme tu es généralement aveuglément collé à ta problématique, je pensais que c’était normal alors qu’en fait ça ne l’était pas du tout! Mes frères et sœurs, enfants désirés, eux, faisaient du squash pendant que j’étais dans les pentes raides ! Et plus tard, je me suis sorti du schéma de famille classique « devenir Ingénieur ou rien » (en l’occurrence des Ponts et chaussées, ce par quoi le titre de noblesse avait été acquis il y a 200 ans par mon ancêtre!) simplement, là aussi, grâce à ma place d’enfant non désiré. Cette place a fait que j’ai pu partir, que j’ai pu quitter ces schémas inconsciemment.

 
A 20 ans, seul au sommet de la Verte.

 

Donc la thérapie m’a amené à « déprogrammer » les tenants inconscients mortifères de la prise de risque qui auraient pu m’être fatals! Cependant ça ne m’empêche pas de prendre à nouveau des risques aujourd’hui : la différence est que je le fais en toute conscience désormais ! Freud déclarait : « La vie est appauvrie, elle perd de son attrait lorsque la vie elle-même, degré suprême du jeu de la vie, ne peut plus être risquée ». Certes cette phrase peut paraître puissante, mais seulement à condition que ce risque-là soit bien le mien, qu’il ne soit pas le fruit de l’inconscient familial au nom duquel il me faille tout sacrifier.

 

6 – C’est d’avoir suivi ta thérapie qui t’a amené à vouloir devenir thérapeute ?

 

Non, je n’aurais jamais pensé devenir thérapeute. C’est venu comme ça sur le fil. En  fait, j’ai mis du temps à le comprendre mais les choses se sont enchaînées dans un ordre logique. Et puis j’ai mon frère aîné qui s’est suicidé par rapport à cette problématique familiale de perte de titre de noblesse, il y a à peu près 7 ans. Et c’est précisément ce qui m’a envoyé vers l’idée d’être thérapeute, c’est très clair. J’ai d’ailleurs rencontré un écrivain d’origine russe assez passionnant, Alexandre Grigoriantz, qui a écrit un bouquin très  intéressant, « Nous sommes tous des guérisseurs ». C’est un type qui a parcouru le monde entier à la rencontre des guérisseurs. Alexandre Grigoriantz m’a appris ainsi que quand quelqu’un meurt dans une fratrie de manière violente, suicide ou mort accidentelle très violente, souvent quelqu’un récupère un don, quelque chose bouge dans la fratrie.  Il y en a un, c’est comme si un fusible avait sauté, qui récupère quelque chose. Eh bien moi, j’ai mis du temps à le comprendre, mais j’ai récupéré ça.

 

7 – En suivant l’évolution de tes livres, on sent bien l’émergence de ce questionnement de ta propre personne à partir du miroir de la prise de risque en montagne.

 

Oui, moi quand je regarde rétrospectivement les bouquins, j’y vois une continuité très claire, on sent très bien la construction. Dans « Noces de Cendres »,je n’apporte pas encore de réponses, juste quelques pistes, mais déjà l’idée est bien là. D’ailleurs l’idée est partie du scénario d’un de mes films préférés qui s’appelle « Voyage au bout de l’enfer », un film sur la guerre au Vietnam, dont la construction m’avait particulièrement intéressée. Un début d’histoire où il ne se passe rien ou presque, où on a le temps de s’attacher aux personnages avant de basculer brusquement dans l’enfer, le non sens…Et l’alpinisme, comme j’ai toujours pensé que c’était un peu « aller à la guerre en temps de paix », tu pars, tu vas prendre des risques alors que rien concrètement ne t’y oblige.



8 – Il y a quand même la mort en toile de fond, désirée ou pas, mais toujours possible ?

 

– Il y a la mort des fois, ça dépend comment tu pratiques la montagne. Mais moi dans le ski extrême, c’est évident, des fois je partais avec l’idée de ne pas forcément revenir. Sur le Shivling, quand j’ai la fixation qui déchausse dans le premier virage juste avant que ça devienne raide, après, psychologiquement c’était super dur d’y aller. Et j’ai jamais compris pourquoi ça avait déchaussé, alors que j’avais testé ces fixations, normalement ça ne devait pas déchausser, même si je savais que c’était risqué parce que c’était léger. Mais c’était la seule façon d’amener les skis là haut. Et là je me suis dit : « Hola, faut que je fasse abstraction du truc ! ». Donc, je sais pas comment j’y suis allé mentalement, c’était violent. Idem quand la corde me file entre les jambes : je suis sur des grattons sur une longueur de la voie de Maesmaker dans la face sud de l’aiguille du midi et je me retrouve sans rien, sans m’y attendre, à 200m du sol, si j’avais sursauté…ça s’est joué vraiment à rien!   

  

Après effectivement, dans « Pourquoi j’aurais dû mourir en montagne » j’ai essayé d’exposer clairement les motifs inconscients qui peuvent nous pousser à ce genre de prise de risque mortifère, en insérant régulièrement des exemples personnels. C’est un bouquin dont je suis très content car il me paraît vraiment abouti, c’est un bouquin qui est cash, qui dit vraiment les choses. Je parle des programmations positives et négatives. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui vont  réaliser le rêve du père en montagne, s’inscrivant dans des traditions familiales : eux sont plutôt dans le positif. Et puis tu as des gens qui viennent de la ville pour d’autres raisons : une petite part vient pour se rapprocher du « royaume des morts », par rapport à des deuils non faits par exemple. Une autre par rapport à des problématiques au père. Une petite part enfin vient clairement pour mourir.

 

Le mythique sommet du Shivling dans l’Himalaya du Garhwal, à 6543m.

 

Maintenant j’ai donc compris précisément ce mécanisme. Dans mon dernier bouquin, je reprends une citation de Voltaire qui dit: « Quelle disposition secrète d’esprit, quelle sympathie, quel concours de lois physiques fait périr le père et les deux enfants de leur propre main et du même genre de mort, précisément quand ils ont atteint la même année ? ». Eh bien, maintenant au stade où l’on en est, on peut répondre à Voltaire, on peut lui expliquer pourquoi, à savoir sous l’angle transgénérationnel. Donc pour lui répondre, on peut lui dire : c’est parce que, par exemple,  si il y a quelqu’un au dessus de moi dans l’arbre généalogique qui, à 40 ans très précisément, a subi ou commis quelque chose d’innommable, d’impensable ou d’indicible, alors en mémoire de ça, par rapport à une symbolique précise, il ne me faudra pas dépasser l’âge de 40 ans, je vais donc aller me tuer en montagne pour ne pas dépasser cet âge-là. Voilà, c’est très concret ! Et de ça j’en ai la preuve, j’ai récupéré une quinzaine d’histoires qui montrent comment certains alpinistes, assez connus parfois, ont eu des gros cartons à des âges précis, et comment certains avaient même prévu jusqu’à l’âge de leur mort ! Et sur ces 15 histoires, il y en a à peu près 7-8 qui ont réussi à mourir, les autres, ce sont tous des accidents très graves. Ils auraient pu mourir mais ils ne sont pas morts.


 

Lors de la première du Glacier de la Noire, Mai 2010.

 

9 – Comment la communauté de la montagne a t-elle réagi à ces incursions psychologiques ?

 

Il est très clair qu’il existe une forme de timidité par rapport au sujet. C’est de toute façon une démarche très féminine, car c’est plutôt les femmes qui ont cette capacité d’introspection à la base. J’ai ainsi des guides qui viennent, mais généralement des guides disposant d’une part de féminité importante : par exemple les Frédéric, Dominique, Michel, Claude, dont les prénoms s’emploient tant au masculin qu’au féminin. Et puis tu as les femmes de guide ou d’alpiniste, donc c’est quand même pas la majorité. Mais globalement, bien que contrastées, les réactions sont plutôt positives.

 

Parmi les réactions positives, des femmes d’alpinistes qui ont perdu leur mari en montagne, guides ou pas, m’ont dit : « c’est extraordinaire, votre livre m’a permis de comprendre et de me déculpabiliser ». Évidemment, en tant que femme, ton homme prend des risques. Il meurt en montagne. Tu vas toujours culpabiliser et te dire : « j’aurais dû le voir venir, j’aurais dû intervenir ». Quand on est sur des « syndromes d’anniversaire » par exemple, je pense à cette femme qui est venue me voir en me disant : « Mon mari a toujours dit qu’il mourrait à 45 ans, il était guide, et il est effectivement bien mort à 45 ans. Du coup on avait décidé de faire qu’un seul enfant, car quand mon mari mourrait, comme moi j’avais un petit travail, ce serait plus facile pour moi ». Effectivement tout ça pose un tas de questions, dont « Quel est l’intérêt pour moi 20 ans plus tôt de m’associer avec un homme qui va mourir à 45 ans ? ». Ainsi le mari pose bien un problème : ce serait bien qu’il meure, inconsciemment, dans son arbre généalogique à elle. Et donc ça pose aussi la question de savoir ce qu’ont accompli les maris aux générations précédentes, ça pose évidemment des questions très profondes. Eh bien cette femme, qui vivait dans une culpabilité, ça lui a permis de l’aider à s’en libérer.

 

Après, il y a eu aussi des réactions inattendues comme celles de personnes qui étaient à la Compagnie des Guides de Chamonix, que je côtoyais et dont je me disais « jamais ça va les intéresser! ». Or en les croisant en montagne, certains m’ont sorti : « J’ai lu ton bouquin, je l’ai filé à un sociologue, parce que, vraiment, j’ai compris plein de trucs ».

 

Une autre anecdote, lorsque j’écrivais mon bouquin, un jeune aspirant guide qui était intéressé par le sujet m’avait proposé de faire circuler mes questionnaires à l’ENSA. Moi, ça m’intéressait énormément car j’avais alors besoin d’un maximum de réponses, par rapport au questionnaire que j’avais fait, pour essayer justement de voir s’il y avait des corrélations et pour vérifier mes hypothèses. Si effectivement j’allais trouver des gens qui étaient sur des deuils non faits ou sur d’autre type d’histoire. Donc il a fait circuler ces questionnaires dans sa promo de l’ENSA et je n’ai eu aucune réponse pratiquement à part la sienne. Aucune réponse car les jeunes qui sortent de l’ENSA n’ont pas du tout envie à ce moment-là, alors qu’ils viennent juste d’avoir justement cette réponse valorisante, de la remettre en question ! Il ne faut surtout par leur dire « attends t’es pas là par hasard, tu réponds peut-être à quelque chose » ! C’est bien plus tard, quand t’as eu des frayeurs, après 10-15 ans de métier, quand t’as vu des gens mourir autour de toi, que toi-même tu as frôlé la mort plusieurs fois, à ce moment-là, c’est là que tu commences à t’interroger !

 

Autrement certaines critiques dans la presse m’ont un peu déçu, comme celle de Montagnes Magazine. En même temps j’avais conscience que pour eux, ça devait être un peu compliqué à vendre, c’est évident. L’article du coup était assez mitigé, disant « effectivement, là, on a un regard intéressant, mais il y a des choses sur lesquelles l’auteur passe assez vite, donc ça n’est peut-être pas assez fouillé », comme à propos de la différence entre les guides de compagnie et les guides indépendants. Pourquoi un guide indépendant qui est sur un deuil non fait va pouvoir entrer dans une compagnie alors qu’un guide indépendant qui est sur une problématique au père n’entrera surtout pas dans une compagnie? Car il porte au fond de lui un conflit à l’autorité. Comme ce n’était pas le cœur du bouquin pour moi, je n’ai pas tellement insisté là-dessus. Pour moi ce bouquin avait vocation à donner plein de pistes et j’ai effectivement assez mal vécu cette réserve, et une réflexion à la fin, du genre : « ce bouquin risque de choquer des personnes qui ont perdu un proche en montagne, et risque d’être vraiment difficile à lire … ». Si ce n’est pas à exclure, je me disais aussi qu’en même temps, ça pourrait certainement en aider beaucoup d’autres, donc pour moi il paraissait difficile de ne présenter cela que sur la réserve.

 

Enfin pour la sortie de mon dernier bouquin, j’ai eu un accueil super. J’ai déjà eu un guide, avec qui j’avais déjà échangé sur ces questions, qui m’a envoyé une lettre de 4 pages manuscrites très émouvante. Comme c’est quelqu’un qui est déjà sensibilisé à la question des maladies, il est bien sûr familiarisé à ce type d’approche. Puis j’ai eu aussi les félicitations d’une conférencière internationale que je connais et qui est un peu la référence dans son pays dans le transgénérationnel, tant sur le contenu que l’engagement du propos.

 

Je comprends donc aussi ma réaction vis-à-vis de ces retours : « Pourquoi j’aurais dû mourir en montagne » est un bouquin très important, comme mon dernier, parce que j’ai conscience que c’est un bouquin qui peut sauver des vies, ou tout au moins qui peut amener quelqu’un qui est parti dans une spirale de prises de risque d’initier ce questionnement et de l’amener vers une pratique très différente, en permettant concrètement de changer son regard et sa vie! Bien sur, je sais que je le fais aussi par une forme de « syndrome du survivant » : comme j’ai eu la chance survivre, je me sens aussi dans l’obligation de partager ce que j’ai compris !

 

10- Donc maintenant, tu es clairement orienté à la fois sur cette activé de thérapeute et celle de guide de haute montagne ?

 

– Oui, c’est mêlé. D’ailleurs j’aimerais bien organiser des stages autour de la compréhension de la prise de risque, c’est à dire mêler vraiment les deux. Je pense que je vais le faire très prochainement. On remonte l’arbre généalogique, on comprend ce qui pèse, parce que c’est les histoires qui t’envoient vers la prise de risque et on va ensuite se faire plaisir en montagne de manière apaisée. 

 

Aujourd’hui je sais que suis à ma place en tant que thérapeute parce que j’ai eu suffisamment d’expériences vraiment fortes et des retours positifs avec des consultants. J’ai pu aider des gamins à guérir de troubles divers, ce que je trouve fabuleux. Je récupère en fait des histoires qui sont comme des cadeaux, car celles-ci me font comprendre des choses et donc progresser. De plus, j’ai toujours veillé à multiplier les grilles de lecture pour ne pas m’enfermer dans un regard trop cloisonné, car il faut toujours être très prudent et précis quand il s’agit de traiter des histoires complexes, avec des évènements très variés.

 

Maintenant, après 2 ou 3 séances, je suis souvent au cœur du sujet, pour répondre à la question de la personne. Il y a bien sûr les questions classiques du style : « Pourquoi j’arrive pas à construire ma vie avec un homme? », mais il y a aussi les questions du genre « Pourquoi je gagne pas d’argent? », « Pourquoi je suis sourd? », « Pourquoi j’arrive pas à faire d’enfants? ». Parfois une heure après, tu peux répondre à sa question; tu peux lui dire pourquoi il n’arrive pas à faire d’enfants, pourquoi il est sourd. Après, est-ce que ça va l’aider à guérir, c’est une deuxième chose, mais c’est déjà un premier pas, la prise de conscience. Les personnes qui guérissent portent en fait déjà la clé de la guérison en elles-mêmes. Je ne suis qu’un vecteur, un accélérateur de leur mieux-être. Sinon je reçois aussi pas mal de thérapeutes ces derniers temps, et c’est ce qui me conforte aussi dans l’idée que je suis à ma place : bien que ces gens aient déjà vu  beaucoup d’autres thérapeutes, on arrive quand même parfois à avancer!

 




 

Pour aller plus loin, ci-dessous les livres incontournables d’Emmanuel Ratouis :

– « Le Mont Artamare », 2006, Éditions Tupilak. Grand prix du livre de montagne au Salon du Livre de Passy.

– « Pourquoi j’aurais dû mourir en montagne ? », 2007, Éditions Tupilak.

– « Cent histoires pour mieux comprendre l’inconscient familial qui nous gouverne », 2010, Éditions Tupilak-Les Méandres.

Pour une consultation, veuillez contacter directement l’auteur.

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