Interview exclusive : Doug Scott

A l’occasion des Piolets d’Or, Kairn a eu le privilège de rencontrer Sir Doug Scott, légende vivante de l’alpinisme honoré cette année du 3ème Piolet d’Or Carrière, après Walter Bonatti et Reinhold Messner. Rencontre d’un être authentique, pince-sans-rire, à la pensée aussi complexe qu’elle est en perpétuelle élaboration !

Propos recueillis par Rodolphe Popier. Remerciements à Renée Dumas (Traduction)

Kairn.com : Pourquoi avez-vous accepté de recevoir une telle récompense, après Walter Bonatti et Reinhold Messner ?

Doug Scott : Je l’ai accepté car c’est une surprise et j’ai pensé que c’était très gentil de la part des gens qui ont pensé à moi pour le recevoir. J’ai pensé aussi que ce serait l’occasion de soutenir l’escalade traditionnelle, d’avoir l’occasion de demander aux italiens : « Pourquoi est-ce que vous spittez chaque paroi, pourquoi ne classez-vous pas certaines parois au titre du patrimoine, pour les réserver à l’escalade traditionnelle ? ».

Pensez-vous que cela soit possible à réaliser ?

Eh bien je pose la question. Avant tout, les gens doivent maîtriser leur utilisation de la perceuse à tout va, et le faire passer dans l’éducation. Et justement, la cérémonie des Piolets d’Or est un excellent moyen d’affirmer : « Nous pensons que les meilleurs sont ceux qui se passent de perceuse !

Si vous l’utilisez, vous ne serez pas parmi les meilleurs ! Vous êtes des moins que rien, vous mériteriez de vous faire écraser les doigts au marteau pitons !!! ». C’est ce qui devrait arriver à ces gens ! Il y a par exemple des grimpeurs d’Afrique du Sud qui ont ouvert deux belles classiques en style traditionnel, et les Suisses ont déboulé et se sont mis à tout percer, ils ont mis des spits partout !

Est-ce une habitude si spécifique aux Suisses ?!

Oui, partout ! Steve Sustad a ouvert des voies superbes dans le nord du Kenya, en pur style traditionnel, et les Suisses sont passés juste après et ont tout percé ! Je ne sais pas, sans doute l’effet dévoyé de leur service civique ?!

Mais n’existe t-il pas d’institution internationale qui puisse réguler ça ?

Non, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’établir une politique en ce sens, mais plutôt que la communauté des alpinistes devrait se mobiliser d’elle-même.

Pensez-vous que les valeurs de l’alpinisme soient en contradiction avec celles de la société d’aujourd’hui et pensez qu’un événement comme les « Piolets d’Or » puisse attirer l’attention du grand public sur notre activité ?

Personnellement, je ne pense pas que l’alpinisme soulèvera jamais l’intérêt de la société globale, je ne pense pas que ce soit tellement important.

Je pense plus important que les « Piolets d’Or » parviennent à réunir l’ensemble des grimpeurs et continuent d’affirmer : « Nous pensons que les meilleurs sont ceux qui grimpent par des moyens traditionnels », comme ces gars par exemple (désignant Bjorn-Eivin Artun, un des nominés qui entre juste dans la pièce) !

Que représente la montagne dans votre vie, est-ce un sport, un mode de vie, un sentier introspectif et spirituel ?

C’est de toute évidence un mode de vie, ça aide de bien des façons à appréhender la vie. Vous revenez d’une bonne escalade après 2 mois en Himalaya, ça vous change de la routine, vous avez plus d’enthousiasme pour faire ce qui doit être fait.

Aussi parce que…Bon ça dépend ce que vous faîtes, mais lorsque vous vous êtes concentré plusieurs jours d’affilée à chaque instant pour survivre, quand vous vous savez enfin sorti d’affaire, vous vous sentez alors basiquement vivant et votre esprit se met à ralentir, interrompt ses bavardages incessants. Et ce moment, à la fin de l’escalade, lorsque le processus de la pensée ralentit et que vous vous apprêtez à redescendre dans la vallée, eh bien c’est le meilleur moment !

Car à cet instant, vos pensées deviennent juste assez lentes pour pouvoir s’en détacher et vous découvrez alors qu’il y a un espace significatif entre cette pensée et la suivante, qu’il y a un entredeux de la pensée qui est vraiment tranquille. Et vous semblez alors avoir une conscience plus large de chaque chose. Vous devez faire de l’espace dans votre esprit pour connaître ces choses. Sinon vous allez juste d’une pensée à l’autre, comme le ronronnement incessant d’un wagon de train !

Vous êtes en train de me parler de méditation en fait !!

Oui ! Mais en fait vous pourriez ne pas risquer votre vie en allant au Kangchenjunga pour y arriver, il vous suffirait juste de vous installer sur vos toilettes pour y arriver !!

Si vous aviez une ascension à retenir parmi toutes celles que vous avez faîtes, laquelle choisiriez vous ?

Eh bien c’était très bien avec Jean Afanassief, même si nous ne sommes pas arrivés au bout de l’arête Est du Makalu. Nous étions à seulement 100m du sommet, le temps était incertain et nous devions redescendre, après 10 jours de voyage à très haute altitude.

Avant ça, la même avec Georges Bettembourg et Roger Baxter-Jones, en 1980 sur la même route, nous avions vraiment touché nos limites.

Mais il y en a eu tant d’autres de 1975 à 1985, juste des journées exceptionnelles de grimpe avec des personnes comme Jean, Georges, Roger, Dougal en particulier, Mick Burke, Nick Estcourt…Tous étaient tous de bons gars, on s’est tellement marrés ensemble.

Vous êtes nostalgique parfois ?

Oh oui, triste même qu’ils ne soient plus là…

Et si vous vouliez grimper dans votre prochaine vie avec un compagnon de cette vie là, lequel choisiriez vous ?

(silence) Dur à dire, je dirais n’importe lequel de ces types : Chris Bonigton, Greg Child, Jean Affanassief, Georges, Dougal Haston… Ils étaient tous différents, mais ils ont avant tout été honnêtes avec eux-mêmes et vous savez, quoiqu’il advienne ensuite, vous devez faire face à ce que vous avez pu faire dans cette vie.

J’ai remarqué que vous aviez une affection spéciale pour le Kangchenjunga, est-ce que je me trompe ?!

Oh oui, j’ai été trois fois dans la région du Kangchenjunga et c’est vraiment un endroit fantastique, plus calme comparé à l’Everest ou au K2, et beaucoup moins commercialisé.

Ce qui est curieux, après le Mont Kailash il est considéré comme la montagne ayant sous doute la plus grande signification religieuse pour les gens résidant à ses pieds. Mais il y a également une chose étrange, saviez-vous qu’Hitler avait eu connaissance d’anciens parchemins, d’informations venant des aryens affirmant qu’il y avait une grotte menant au Kangchenjunga ? Pour cette raison, Hitler était intéressé par le Kangchenjunga et avait envoyé des enquêteurs dans la région pour en savoir plus !

Et comment était l’escalade, est-ce que c’est une de vos meilleures ascensions aussi ?

Oh oui ! C’était la première fois qu’une des trois plus grosses montagnes était grimpée en style léger, sans oxygène et par une voie entièrement nouvelle.

(NDLR : la voie ouverte par l’équipe indienne lors de la seconde ascension deux ans auparavant en 1977 rejoint l’arête Nord à 7700m au « Sugarloaf », mais la voie ouverte par Scott, Boardman et Tasker longe en contrebas cette même section de l’arête Nord sans la toucher)

Avez-vous déjà eu la sensation après avoir grimpé une montagne de ne pas l’avoir vraiment gravi ?

Une chose intéressante. À une époque, je voulais à tout prix gravir le K2 (en vérité, j’y suis allé 4 fois).

Et une fois, il y a eu un matin très étrange où j’ai basculé dans une vie parallèle. Et dans cette autre vie, je savais tout du K2 comme si je l’avais grimpé, comme si nous avions réellement atteint notre objectif ! Et alors de façon incroyable, mon envie de le grimper s’est évaporée ! Comme si je l’avais déjà grimpé, c’est pratique !!

Mais je l’ai noté quelque part, et Jim Wickwire, qui a aussi grimpé le K2, m’a dit qu’il avait eu la même impression sur l’Everest, il avait cru qu’il grimpait l’Everest dans une autre vie !

(NDLR : Doug Scott a tenté le K2 à 4 reprises mais en a bien atteint le sommet avec Steve Sustad par la voie normale en 1983 ! Lors de la même expédition, il faut mentionner sa tentative poussée sur l’éperon Sud, que conclura Tomo Cesen en 1986.)

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