Xavier de Le Rue est-il un alpiniste ou un snowboardeur ?
Voici la question que nous nous sommes posé quand l’agence de presse de The North Face nous a invités à l’avant-première du nouveau film DREGREES NORTH.
Nous avons fait partie des heureux élus qui ont eu le privilège de rencontrer l’athlète pour une interview. Et voici ce qu’il en est ressorti.
Xavier est le gabarit type du sud-ouest, vraiment large d’épaules, une carrure impressionnante, bien ancré dans le sol et solide sur ses appuis. Pas dénoncé pour autant par les éleveurs de la région, n’ayant pas un caractère d’ours. C’est peut-être parce qu’il ne passe pas son temps à guetter les brebis mais plutôt des lignes originales et nouvelles. D’une personnalité franchement modeste, il s’éloigne de l’image du snowboardeur classique. Un langage compréhensible, un peu américanisé mais pas besoin du dico franco-rider. L’homme est bavard mais pas grand gueule, il n’a rien à prouver et c’est bien agréable. C’est un passionné.
Ce qui nous a le plus frappés c’est sa curiosité, son ouverture d’esprit. Et c’est grâce à cette qualité qu’il a réussi à mêler le snowboard à l’alpinisme.
Dans l’une des nombreuses vidéos qui circulent sur le net, un des membres de l’équipe du tournage définit son style si unique par sa capacité à rider à MACH 3 là où tout le monde serait en travers de la pente. Il se justifie en répondant que c’est parce qu’il a peur du manteau neigeux, parce qu’il est flippé ! Modestie ? Oui, sans aucun doute !
S’il ne fallait retenir que trois noms depuis 20 ans dans le milieu du big mountain on citerait Tom Burt, Jeremy Jones et Xavier de Le Rue.
Kairn : Comment as-tu acquis les bases de l’alpinisme ? Est-ce un but ou un moyen ?
Xavier de Le Rue : Si je devais choisir, je dirais que c’est un moyen. Mais j’ai fait beaucoup d’escalade jusqu’à ce que je déménage vers l’Atlantique. J’avais fait pas mal d’alpinisme à un petit niveau dans les Pyrénées et à Chamonix et mixer les deux m’est venu comme une évidence. C’est né d’une frustration, ça m’a permis d’aller chercher beaucoup de runs inaccessibles autrement. Ça m’a donné plus d’aisance, d’autant plus que tu n’as pas besoin d’un niveau de fou pour décupler les possibilités en snowboard.
K : On t’as vu descendre l’aiguille du plan et sur la vidéo tu n’avais pas l’air content…
X : C’était horrible ! Pour ce genre de runs il faut quelques minutes, là, on a mis quatre heures. Le début se passait bien mais arrivé sous les séracs, la neige est devenue super piégeuse. En surface c’était plaqué et la sous-couche était sans cohésion. On a du faire toutes les traversées encordés. Le niveau intrinsèque est vraiment tranquille, ce n’est vraiment pas raide, ce sont des vires suspendues avec un max de gaz, mais avec cette neige et sous les séracs, c’était glauque. Il y avait des signes de purges et, quand quelques jours plus tard des copains sont allés faire un super truc dans le coin, tout était parti.
Dans de bonnes conditions le risque est acceptable, il y a un rappel exposé mais c’est rapide, pas plus d’un quart d’heure. Mais là, c’était une expérience horrible.
K : On a été scotché quand on a vu ton run dans le couloir Copt aux aiguilles dorées. C’était tout en glace bleue sur 70 mètres et sacrément encaissé. Pourquoi faire un truc pareil ? Pourquoi un tel objectif ?
X : Le raisonnement est simple. Pourquoi faire un rappel si ça peut se descendre ? C’est le même principe que de sauter un cliff (une falaise) au lieu de s’arrêter. Je voulais ouvrir cette possibilité. L’hiver était super pauvre en neige, il n’y avait pas grand-chose en conditions et il y avait cette ligne. Et puis c’est une sensation unique, cette accélération, c’est un truc de débile. J’étais remonté dans le couloir, le run out était plutôt safe, il y avait cette ambiance, super encaissée. J’ai fait trois essais dont deux chutes. Par la suite j’ai moins hésité à prendre des transitions tout en glace, mais ça n’a jamais été aussi engagé.
K : Le split board ? Tu pratiques ? Ça t’éclate ?
X : A fond ! Je peux largement préférer une session split à une journée d’hélico. Je n’aurais peut-être pas dit ça il y a quinze ans, mais j’ai toujours eu besoin de me sentir libre. Et c’est ce que tu peux vivre en split.
Il semblerait que Xavier ne soit ni un extrémiste du kérosène, ni du collant moulant et les derniers projets qu’il a réalisés ont montré que l’idée principale était d’aller chercher des lignes nouvelles. Et avec un hélico il ne restait plus grand-chose à découvrir. Dans son dernier film (DEGREES NORTH) on le voit se faire larguer d’un paramoteur dans la pente… Les images sont folles. Elles rappellent ces surfeurs de grosses vagues, tractés par un jet ski et lâchant la corde quand la vitesse atteinte est suffisante.
K : On connait les avantages d’être un rider pro, quelles sont les contraintes ?
X : On est beaucoup moins libre d’aller en montagne tous les jours. Il y a les objectifs qui prennent beaucoup de temps en logistique, les conférences et les déplacements. Mais je le vis bien.
K : Est-ce que tu as l’impression d’être poussé ? De devoir en faire plus ?
X : J’ai toujours été hyper prudent et conservateur. Le couloir Copt c’est l’exemple typique d’un run qui parait débile, mais si tu l’analyses froidement, c’est vraiment moins risqué que faire une ballade en ski de randonnée avec tes potes par risque 3 dans une pente à 30°. J’adore raisonner comme ça parce que c’est un combat mental pour s’engager dans la pente mais scientifiquement, tu mises beaucoup moins ta vie là que dans l’exemple précédent.
K : Tu peux nous parler de l’avalanche de 2008 ? Tu étais déjà papa ? (Xavier s’est fait prendre par une double coulée monstrueuse qui l’a trainé sur plus de deux kilomètres. Il s’en est sorti grâce à son sac ABS et grâce à beaucoup de chance…)
X : C’est la seule fois de ma vie ou je me suis fait prendre par une avalanche. J’étais déjà papa et ça a déclenché une grosse remise en question. C’est un tournant dans ma carrière. J’en suis sorti avec une entorse qui clôturait la saison et j’ai eu tout l’été pour gamberger. Une grande leçon. Je ne suis vraiment pas passé loin cette fois-ci.
J’ai analysé ma pratique pour savoir si c’était acceptable ou non de continuer. J’ai choisi la première option, mais en étant intransigeant avec les signes et mes feelings. C’est ce que j’ai fait ces dernières années et je suis complètement à l’aise avec les risques que j’ai pu prendre.
Ce qu’on voit de moi ce sont essentiellement des vidéos. Dans ma pratique au quotidien je suis hyper prudent. Si tu me voyais en station, je suis le dernier à sortir dans les pentes à risque. Je préfère laisser les autres faire les premières traces. Les vidéos restent des montages des meilleurs moments de glisse, même si on parle de la peur et du renoncement, elles ne sont pas représentatives. Elles ne montrent pas toutes les décisions prises dans une saison, dans une journée ou à chaque seconde. Elles sont un condensé des moments les plus fous, ce qui donne l’impression que je fais ça tous les jours. Mais ce n’est pas le cas…
K : On te voit de plus en plus avec des skieurs ! C’est assez rare dans le milieu du snowboard ! On te verra un jour avec deux planches au pied ?
X : Je ne fais pas du snowboard : je fais du snowboard en montagne et les skieurs ont une mentalité plus proche de l’alpinisme. Le délire de se détester entre les disciplines est complètement has been, surtout dans un environnement pareil.
On a fait une session avec Aurélien Ducroz, les conditions n’étaient pas folles pour filmer et la neige pas top. Du coup on a switché de matos. Il ride super bien et moi j’ai fait de la compétition en ski. Je n’en fais plus beaucoup mais j’en ai bouffé. C’était mortel.
K : On parle de Marco Siffredi ?
X : On est presque de la même génération. C’était un monstre. Un monstre avec un brin de folie. Qui a vécu avec jusqu’au bout, no limit. Ça nous a fait rêver.
Il avait un talent fou. En poussant le bouchon il a vraiment repoussé les limites.
K : Tu faisais pareil à vingt ans ?
X : Je ne crois pas avoir pris autant de risques, ou alors de manière inconsciente. Mais j’imagine que ça devait être pareil pour lui.
Il était ultra fort en pente raide. En free ride il avait un style à part, tu voyais qu’il n’avait pas appris à l’école, c’était un surdoué autodidacte. Il y allait avec la passion, c’était beau à voir et ça mettait le sourire à tout le monde.
K : L’Himalaya ?
X : Non ! Je n’aime pas la très haute montagne.
Peut-être une fois pour voir… Mais j’ai toujours basé ma pratique sur le plaisir et l’esthétique. Il y a trop de contraintes, trop de risques là-bas. Surtout si c’est pour mal rider à cause des conditions de neige et du manque d’oxygène. Peut-être plus tard, à titre personnel mais pas pour faire un film. Ça me fait peur.
K : C’est récent la peur ?
X : Non, j’ai toujours eu peur. Mais je trouve que c’est positif, ça me garde en éveil, je reste alerte quand je suis là-haut.
K : J’ai entendu dire que tu rides à MACH 3 pour fuir les avalanches ?
X : Il y a de ça mais aussi… (Il hésite sincèrement) Avec la technique et l’expérience de la compétition, la vitesse ne change pas grand-chose. Je suis même plus à l’aise. J’adore la sensation, quand ça va très vite, de m’appuyer sur l’air, les bras écartés, un peu comme en Wing suit.
K : Question préparation physique ?
X : A la base je ne suis pas fan, mais un minimum quand même. Le surf ça travaille plutôt le haut du corps et l’équilibre, c’est bien bourrin. Je fais un peu de footing, quand je me sens coupable. C’est vrai que j’étais plus préparé physiquement quand j’habitais en montagne et que je sortais souvent.
C’est pour cette raison que l’hiver prochain je prévois une vraie saison sur la route. Pas trop roots quand même, avec un camping-car. Ça fait longtemps que j’ai envie de vivre ce trip en couple pour rider, rider, rider… Sans tout baser sur les prises d’images et sans faire tout le temps de la mise en scène. Grâce au drone autonome HEXO PLUS qu’on a développé on va pouvoir se filmer tout l’hiver sans trop de matos ni de logistique. Juste nous deux. Et les copains bien sûr. Et en plus les sponsors suivent.
K : Est-ce que la naissance de ta fille a changé ta manière de pratiquer ?
X : La mère de ma fille et moi avons beaucoup discuté et réfléchi à la question. On est réalistes. Renoncer à nos styles de vie serait lui transmettre un mauvais message. Par contre, on a décidé de ne plus sortir en même temps. On sait que le risque est présent mais on pense qu’on lui fait aussi passer des valeurs riches par le biais de la montagne. Maintenant, dès qu’il y a la moindre alarme, c’est le premier truc auquel tu penses. Je n’ai pas vraiment l’impression d’être plus prudent, je crois que j’ai toujours fait vraiment gaffe. A ma façon…
J’ai choisi ma manière d’engager. J’ai fait le choix de ne pas y être tous les jours, de choisir les moments et les endroits. J’ai voulu éviter de m’exposer sur la durée. Parce que, statistiquement, plus tu es en montagne, plus les probabilités jouent en ta défaveur. Par contre, quand j’y vais, c’est pour de vrai, concentré à 100%.
K : Comment tout cela va-t-il finir ? C’est quoi le projet de reconversion ?
X : Ce qui m’a drivé jusqu’ici c’est d’arriver en fin de saison et d’avoir fait et apporté des trucs nouveaux. Le jour où je n’aurais plus ce sentiment, j’arrêterai. Je t’avoue qu’il y a dix ans, je pensais que j’étais déjà vieux et je ne voyais pas du tout ce que j’allais faire après la compétition. Et en fait je vis mes plus belles années. L’équipe de TIMELINE avec qui je bosse me dit à chaque fois que ça va être dur de faire quelque chose de nouveau, et à chaque fois on se surprend.
Depuis quelques temps j’ai l’impression de m’être franchement calmé sur les prises de risque ! Mais les idées bouillonnent, elles me permettent de voir et d’aborder la montagne avec un œil nouveau.
K : Ah oui ? Et cette fameuse pente à 70° en Antarctique ? C’est un truc pépère ?
X : La pente, c’est Tony (dixit Tony Lamiche) qui avait estimé son inclinaison. Mais c’était la neige parfaite, tu comprends, les conditions idéales. Ce mélange de cohésion et de densité parfaite… Bon ok, je ne faisais pas le malin, c’était raide et j’étais vraiment flippé…
Ca faisait plus d’une demi-heure qu’on bavardait au lieu du quart d’heure initialement prévu. J’étais le dixième et dernier journaliste de la journée, Xavier était toujours à fond dans ses réponses et moi aussi, mais il était venu pour nous présenter son nouveau film et la salle commençait à se remplir. Il fallait y aller.
Evidement le film est grandiose et novateur, beaucoup moins explosif et creux qu’une grosse production étouffante. On ressent les -40°C et le vent sur le visage, on vit les doutes et les craintes, on a l’estomac qui se noue quand ils se font larguer du paramoteur en plein vol et une décharge d’adrénaline à chaque run. On se marre aussi quand on les voit sous un autre angle et on a envie de faire partie de la bande. Faut dire que Xavier est bien entouré… Sam Anthamatten, génie surdoué du ski et de l’alpinisme, Ralph Backstrom, rider pro et local de l’étape, et le staff de TIMELINE qui ne fait pas semblant de faire des vidéos incroyables.
Merci à The North Face de nous avoir invités ainsi qu’à Claire et Capucine de North Communication pour ce moment privilégié.
PS : le film sera diponible gratuitement le 22 et 23 octobre 2015 sur http://www.redbull.tv/
puis sur vimeo.com
retrouvez toutes les infos sur timelinemissions.com