Il y a quelques jours, Nina Caprez est revenue des Asturies après avoir réussi en libre toutes les longueurs de son projet de l’été en grande-voie, la terrible « Orbayu »(8c, 500 m) à défaut de l’enchainement du bas. Nous sommes allés à sa rencontre histoire d’en savoir plus. Vous pouvez aussi lire le récit sur le blog de son sponsor Arcteryx. Les photos qui illustrent sont signées Sam Bié.
– Kairn : Comment s’est passée cette seconde session estivale dans Orbayu ? Des progrès notoires par rapport à la première session ?
– Nina : Alors déjà il faut dire que c’était beaucoup moins rude par rapport à la première session car il a fait bien plus beau et plus chaud. Je crois qu’on a eu deux jours de mauvais sur les 10 jours, ce qui est incroyable pour les Asturies ! 😉
Niveau grimpe j’ai enfin pu grimper normalement, ça veut dire essayer d’enchainer des longueurs et pas que de saucissonner dans le brouillard.
Donc j’ai été plus concentrée et aussi plus réaliste. Pendant la première session je me suis pas trop rendu compte de la vraie difficulté de la voie car je n’avais jamais eu l’occasion de réellement aligner des longueurs et même de mettre des vrais essais dans les longueurs clé.
– Kairn : Tu as réalisé en libre toutes les longueurs de la voie. Qu’est-ce qu’il te manque pour pouvoir réaliser l’ascension ‘one push’ ?
– Nina : Ben en gros le tournage du film m’a vraiment couté….je me suis rendue compte que c’est juste impossible de faire des exploits quand t’as toujours un oeil veillant sur d’autres gens. Ce n’est pas une excuse ou quoi, c’est juste pour dire qu’en fait, Cédric et moi on a été entièrement responsables de la vie de trois êtres humains, donc c’est une grande responsabilité et un poids lourd à porter.
Quand Cédric a enchainé, il s’est vraiment appliqué et il a du se botter les fesses. Mais enchainer un 8c, il en est toujours capable; quelles que soient les conditions, car il a de la marge.
Moi c’était autre chose. Le style est brutal, les mouvements demandent une bonne puissance et une grande force dans les bras. En gros, pendant 5 séances je ne bougeais pas et il m’a fallu des conditions parfaites pour enchainer cette longueur.
Là haut, on est en montagne, donc t’as jamais les condis parfaites au bon moment…Donc il faut avoir de la marge ! Il me manquait clairement du niveau et un esprit un peu plus libre…
Kairn : Tu parles d’une 5ème longueur problématique, pourquoi ? Quelle est la longueur clé de la voie et le topo complet des longueurs.
– Nina : Je pense que Cédric et moi on est dans une bonne position pour donner un avis objectif des cotations. On est la troisième cordée, donc plus trop de prises qui ont cassé, il y a eu des « petits passages », donc on voyait les prises et on est quand même des grimpeurs qui grimpent dans tous les styles et qui se rendent compte d’une difficulté.
Il y a eu pas mal d’histoires avec Nico et les Pous par rapport à la cotation et on s’est bien renseigné pourquoi…En gros, les frères Pous ont été fracassés de l’ouverture et du nettoyage de la voie et peut-être ils se sont fixés sur des méthodes trop dures. Donc je pense qu’ils ont coté un peu trop dur…Mais faut dire que fatigué ou pas, Iker c’est une putain de machine et il ne va pas se tromper de deux cotations !
Donc Nico est arrivé et vu qu’il est sur surmutant dans ce style et qu’il est assez grand (ce qui aide énormément dans le crux), il les a un peu cassé en disant que c’était que du 8b+.
Personnellement, j’aurai bien aimé que ça soit que 8b+ car j’en ai trop bavé ! Je pense que l’avis de Cédric est bien car les 8b+ il les fait à vue ou en basket et il a bien coiné pour enchainer celle là…donc jamais 8b+…;-)
Bref, nous on pense pour les longueurs à 8a, 8a, 7c, 7a, 8c, 7c+, 6b, 6b et ensuite quelques longueurs dans du 5 et 6 pour aller au sommet. Les frères Pou sont assez d’accord avec nous, et on est tellement reconnaissant pour l’ouverture qu’ils ont fait car c’est du gros boulot !
Mais bon, pour être honnête il faudra un peu oublier ces cotes car c’est un tout ! La montagne, la météo, la mal-bouffe…le terrain d’aventure….Tout ça fait d’ Orbayu la voie la plus classe et la plus exigeante que j’ai essayé de ma vie ! On s’en moque des histoires qu’il y a eu, ce qu’il faut savoir c’est qu’il faut apporter un bon niveau (Cédric conseil 8b+) pour ne pas se blesser car il y a plein d’endroits où c’est interdit de tomber.
– Kairn : Est-ce que l’histoire s’arrête là où tu comptes tenter un enchainement de la voie dans le futur ?
– Nina : Quand je venais d’enchainer la longueur clé j’ai eu l’impression que jamais dans ma vie je pourrais refaire ça. Je me suis tellement donné, c’était un truc de fou.
Là avec du recul je pense que tout est possible ! (c’est facile de dire quand t’es bien au chaud chez toi après avoir passé des super nuits et après avoir mangé des repas de fou avec du bon vin)
En fait je voulais plus y retourner cette année car j’avais pas envie de faire revenir Cédric encore une fois pendant deux semaines juste pour m’assurer. Et pour trouver un autre partenaire c’était trop tard.
Mais honnêtement j’aimerai bien y retourner l’année prochaine, si possible avec Babsi (ndlr : Barbara Zangerl) car on s’entend trop bien et elle apporte les capacités, la motivation et l’esprit battant qu’il faut.
Et puis, ah, je suis exigeante…Libérer toutes les longeurs c’est vraiment super, mais quand même…Boucler ce projet ça me donnerai vraiment une grande satisfaction et je pense qu’après je serai prète pour avoir un gamin !
Mais si j’y retourne, ça sera sans caméra ni rien.
– Kairn : beaucoup de médias t’ont placé au centre de polémiques au début de l’été en raison de l’intérêt de Sasha DiGiulian pour la voie qui s’est sentie évincée. Que répondrais-tu aux critiques ?
– Nina : Je réponds que les médias ont poussé Sasha à dire de la merde et que les médias ont écrit de la merde avec même pas 10% de la vérité dedans….C’était fou….Personne m’a demandé ce qui c’était réellement passé et je me retrouve avec des accusations comme quoi j’avais interdit à Sasha d’aller dans la voie ? Mais c’est dingue, tout le monde sait que ma plus grande valeur dans la grimpe c’est le partage, alors pourquoi lui interdire d’aller dans la voie ?
Bref, c’était une bonne leçon de vie qui m’a, malgré tout, beaucoup blessé mais au moins j’ai vu avec qui je veux travailler dans le futur avec avec qui je ne ferai plus jamais quelque chose.
– Kairn : Pourquoi avoir choisi « Orbayu » comme objectif ? Qu’est-ce qui t’attire particulièrement dans ce challenge ?
– Nina : Quand je suis allée en septembre passé dans les Picos j’ai ressenti un truc….Il y a eu une ambiance de fou…J’ai été entourée d’une force de la nature qui m’a vraiment impressionné : l’endroit, la voie, tout est juste lunaire et j’ai l’impression que tout mon expérience est réunie dans cette voie: Mon bien-être en montagne, mon savoir faire de mes débuts d’escalade avec la partie en terrain d’aventure et le bon niveau qu’il faut que je me suis fait pendant ces 10 derniers années.
C’est une voie extrême pour moi, dans laquelle je me sens dans mon élement et dans laquelle j’arrive à m’exprimer pleinement !