La Chronique de JPB : Fidèles aux Postes

 

Le commun des mortels peut croire que la vie de Père Noël est un long fleuve tranquille agrémentée, une fois par année, d’une décharge d’adrénaline causée par la distribution de tous ces cadeaux autour du monde.

 

Ce n’est pas le cas !

 

Le Père Noël, de septembre à la fin décembre, passe son temps à répondre aux millions de lettres provenant de tous ces gens, jeunes et vieux, qui désirent recevoir un cadeau. Tellement que c’est une menace pour ma santé ! Je risque quotidiennement une tendinite au poignet à force de manier la plume. Je risque aussi un mal de tête chronique considérant toute la gestion que ces réponses impliquent.

Qui a été gentil ? Qui n’a pas été gentil ? Est-ce que le cadeau est représentatif du niveau de bonté, de sagesse, de l’individu ? Y aura-t-il seulement un cadeau ?

 

Vous allez me dire que je pourrais engager des temporaires.

Malheureux ! Vous avez vu les charges que ça comporte, l’embauche ?

J’ai tenté d’utiliser quelques âmes perdues, vous savez, du genre Rouzo, Lulu et Hugh…

 

Je me demandais bien pourquoi la Puissance Céleste me les laissait à si bon prix.

 

Après que certains grimpeurs connus aient reçu une réponse du genre :

‘’ Tes cadeaux, on s’en fout ! ‘’ et que certains responsables d’une fédération sportive du vertical aient ouvert une missive portant un magistral ‘’ Mort aux cons ! ‘’ agrémentée de petits dessins scabreux de la meilleure facture…

Il était évident que de la main d’œuvre temporaire de cette qualité, et ce malgré une excellente orthographe, ne pouvait convenir aux besoins de ce qui est maintenant une grosse entreprise. J’ai donc décidé de les réaffecter au contrôle de qualité avant l’emballage des jouets. Les Lutins, outre leur piètre orthographe, ne sont pas pointilleux lors de la fabrication.

J’en ai vu, des baudriers avec trois jambes. Des chaussons avec les semelles collées à l’envers. Des mousquetons dont le doigt ne s’ouvrait pas. Des ascendeurs qui descendaient et des bloqueurs qui ne bloquaient pas. Des cordes de 9.4 qui en faisait 4.9. Des marteaux sans têtes et des tentes sans toits. De la colle pour points qui ne collait que peu (maintenant surnommée, à l’interne, de la colle tarnique). Des sacs de portage sans bretelles et des bretelles cousues sur des sacs de magnésie. Des topos avec les mauvaises cotations. Des manches de piolets de drytooling totalement lisses. Des vis à glace sans filets. Des casques tellement aérés qu’un bloc de Fontainebleau en entier aurait passé à travers les trous. Des crashpads remplis de fèves….

Vous voyez le problème : vite ne rime pas toujours avec bien! Surtout quand on est un Lutin.

 

Toute cette correspondance me rend fou!

Comment expliquer à un grimpeur que je ne peux lui donner un ciseau à froid parce que son intention, c’est de tailler des prises? Comment expliquer à un autre que je ne peux accorder que son concurrent tombe sous le crux lors de la prochaine compétition?

Comment expliquer que le matériel livré est fourni sans les batteries pour cause d’ententes avec les fabricants mondiaux. Avec la crise économique, il faut bien faire rouler le business d’une quelconque façon sinon tout le monde va devoir travailler jusqu’à 85 ans avant de prendre une retraite bien méritée dans un cercueil!

Et cela vaut pour tous les petits gadgets érotiques utilisés – qu’on m’écrit – pour l’entraînement. Je ne vois pas l’utilité d’un godemiché six vitesses avec turbo rotatif  dans un planning visant à devenir plus fort.

On me demande quelquefois des falaises secrètes permettant de faire des croix loin de la vue des critiques. Alors que ces croix n’existent souvent que dans l’œil de l’assureur. Un phantasme dans une illusion qui relève de l’utopie… tout cela pour lire son nom dans les magazines! Le Père Noël n’encourage pas la triche et ne répond pas à ces lettres.

Que dire du besoin de cinq minutes de gloire pour avoir réalisé – le souhait – la vingt deuxième répétition d’un 8b à vue?

Et celui d’avoir une vague de froid sans neige dans une vallée où existe une tour de glace alors que l’autre vallée, à coté, demande de la neige en abondance pour ses pistes de ski? Je réponds quoi, moi?

Que dire du souhait de pousser sur les fesses de la plus belle grimpeuse de la SAE locale pour l’aider à atteindre le premier point, à deux mètres du sol ? Même si cette égérie possède le quotient de ses chaussons et que ses cris sont entendus à des milles à la ronde dans certaines situations critiques. Je lui dis qu’il pourra pousser à loisir ? Sérieusement ??

Et ces grimpeurs qui souhaitent que leurs falaises fétiches soient plus hautes ? Ceux qui souhaitent que leurs voies fétiches soient plus faciles tout en conservant les mêmes cotations ? Ceux qui aimeraient briller en société pour avoir découvert un nouveau champ de blocs ? Ceux qui aimeraient que le tirage de leur magazine double et triple ? Ceux qui voudraient que tous les grimpeurs se rendent au pied des falaises en tricycle pour cause  d’écologie maladive.

 

Que de problèmes de formulation !

 

C’est la dernière année : maintenant, plus une lettre venant de grimpeurs ne sera acceptée. On se concentre sur la clientèle cible : les enfants en bas âge. Pas les grands enfants!

 

– Père Noel, dit le Rouzo qui venait de passer la porte de mon bureau, il y a un problème avec les t-shirts qui doivent être livrés dans la région de Nice! Pas de manches… les Lutins ont créé le premier t-shirt pour manchot grimpeur!! On pourrait les recycler en taies d’oreillers mais il y a écrit ‘’Mort aux Cons! » dessus…  ça risque de ne pas être facile pour les performances à horizontale. Il va y avoir de sérieuses questions sur l’oreiller…

 

– C’est assez ! Va me chercher le reste du trio infernal… vous allez répondre en personne aux demandes de certains grimpeurs. Tiens, commencez donc par la petite là, celle qui veut faire des performances loin des yeux mais près de la page publicitaire. C’est quoi son nom, déjà? Vous trouverez bien dans le lot de lettres, à terre … remettez-là dans le droit chemin et ça presse!

 

Le Rouzo sortit sans faire de bruit. Permission de sortie pour la nuit! On aura tout vu. Espérons pour certains qu’il y aura des biscuits sur la table de la cuisine. Et quelques bouteilles de vin dans le garde manger. La visite des Fêtes arrive : les trois Grimpeurs de Noël… Il y en a une qui aura de la difficulté à dormir sur ses deux oreilles!

 

Non mais il y a des limites à demander l’impossible et son contraire. Le monde de la grimpe est impossible… tiens… j’envoie le trio visiter Bollinger qui désire, lui, réussir à trouver d’autres voies potentielles au Gauxberg. Puis ce sera chez Arnaud Petit qui veut découvrir un Nutella qui ne fait pas engraisser. Et il y a cette mademoiselle Ho qui souhaite réussir des 8000 plus bas que 8000 mètres… je vous le dis : tout et son contraire!

 

Voilà une nuit de Noël qui ne passera pas, pour certains,  comme une lettre à la Poste.

 

La porte de mon bureau s’ouvre : quatre Lutins entrent en traînant derrière eux des sacs remplis de courrier. Le courrier de la Vallée de Chamonix et un sac venant de Grenoble… Un léger mal de tête commence à pointer… pas cette gang là!!! Uniquement des demandes impossibles et ils ne sont pas gentils trop souvent. Mais, pour mon malheur,  ils sont fidèles aux postes.

 

Avec un peu de chance, je vais manquer d’encre!

 

 

 

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