La chronique de JPB : Le voyage continue…

Je n’ai pas écrit depuis des mois. Et personne ne semble s’en plaindre. Ce qui signifie sans doute qu’il est temps que je vous irrite à nouveau avec mes élucubrations sur le monde du vertical. Ma santé mentale – ou ce qu’il en reste – m’oblige à ces quelques lignes.
Comme le disait si bien la littérature alpine des décennies précédentes, il faut ‘’planifier l’assaut vers le sommet »; ‘’ Établir des camps intermédiaires »; ‘’Gérer l’approvisionnement de la cordée de tête ».

Pour cela, on choisissait un chef de camp. Celui qui verrait au bien-être des grimpeurs et assurerait les meilleures chances d’atteindre le sommet. Celui qui paierait les porteurs, négocierait les assurances et les billets d’avion, engagerait le meilleur cuisinier de la région visitée, celui qui nivellerait tous les obstacles ne relevant pas de la pratique de l’alpinisme.

Nous aussi, conquérants de l’inutile monde de la falaise, avons nos chefs de camp. Souvent oubliés, laissés pour compte, jamais remerciés… ceux qui font le casse-croute et le placent dans le sac juste à côté du pull  ceux qui gardent les enfants lors de nos nombreuses absences, ceux qui supportent notre mauvaise humeur, ceux qui endurent nos veillées trop arrosées, ceux qui sont trainés d’un massif à un autre à toutes les vacances alors que leur souhait, c’est d’aller la mer. Ceux qui, par amour, sont les piliers de notre passion.
Je ne vais pas jusqu’à affirmer que toutes ces choses se font sans heurts dans tous les ménages. Que d’engueulades, que de séparations, que de nerfs à vif! Et pourtant, nous grimpons encore…

Depuis des années, dans ces vaines chroniques,  je mets en scène mon amie Gère-Mène.
Sans jamais vous offrir une photo. Sans jamais vous donner plus de détails sur sa personnalité. Sans jamais vous offrir la joie d’une biographie. Et pourtant, je suis ce que je suis grâce à elle et à son support sans faille. En fait, bien des idées farfelues énoncées ici dans ces chroniques ont pris naissance dans son cerveau pour le moins fertile. Bien des critiques acerbes furent aiguisées à la meule de son esprit.

Gère-Mène se nomme Lyne. Mes amis la connaissent bien et pourraient vous dire que c’est une femme pour le moins extraordinaire. Naturellement, pour réussir à partager quatre murs avec moi durant quinze ans, elle est douée d’un excellent sens de l’humour et d’une logique implacable. Elle a surtout une volonté de fer et jamais ne se laisse abattre.
C’est la personne la plus positive qu’il m’ait été donné de rencontrer et une des plus intelligente. Elle a un don pour la logistique qui ferait honte à Napoléon. C’est aussi une mère comme il ne s’en fait plus.

Je l’ai trimballée un peu partout sur la planète à la recherche de la falaise idéale. Et quand elle ne pouvait m’accompagner, elle faisait tout pour faciliter ma soif de rocher vierge. Vous allez me dire que c’est l’esclave idéal! Non, Lyne a des goûts distincts et nous vivons en parfaite harmonie malgré et peut-être à cause de nos différences et de notre facilité à laisser l’autre explorer ses centres d’intérêts.
Vous n’avez jamais vu sa photo parce qu’on lui a diagnostiqué un cancer il y a dix ans. Sein et ganglions… rémission… les os … rémission… en 2007, on nous annonçait qu’elle avait six mois à vivre car le foie et d’autres organes étaient atteints… traitements expérimentaux… rémission… puis, en mars de cette année, suite à de violents maux de tête… quelques semaines à vivre : le cancer avait atteint son cerveau.

Lyne est décédée le premier septembre. Elle a lutté jusqu’à la fin et je vous garantis que ce n’était pas beau. Depuis mars que je suis là, présent, à toutes heures du jour ou de la nuit. J’ai mis de côté l’écriture, l’escalade, le sport, le travail, le sommeil, les amis. Je n’ai conservé que l’espoir!
Car elle a eu le courage d’espérer jusqu’à la fin. Deux jours avant sa disparition, elle fêtait mon anniversaire : un autre projet mené à bien. Sa vie était une suite de projets qu’elle réalisait pour son plaisir et notre bonheur. Elle avait un cœur immense comme plusieurs d’entre vous ont pu le constater.
Je ne vous parlerai pas du vide qu’elle laisse dans la maison. Je suis comme les feuilles mortes que le vent emporte. Je ne contrôle plus rien de ma destinée. S’il n’y avait notre fils, je serais déjà parti. Loin. Mais elle m’a mis en garde contre mon instinct de nomade lors de nos dernières conversations. Et elle a raison.

Voilà ce que je voudrais vous dire… vous avez, à vos côtés, des conjoints et des amis qui sont pour beaucoup dans la vie d’aventure que vous menez. De petites ou de grandes aventures, c’est selon. Ne les prenez pas pour acquis : la vie est courte. C’est tellement un lieu commun…la vie est courte… qu’on ne s’en rend compte que lors d’une disparition. Lyne était dans la jeune quarantaine. Notre fils a douze ans. Elle a été malade dix ans.

Dix ans sans cheveux, avec un corps qu’on ne reconnait plus, qui ne répond plus. Pour la première et la dernière fois, je vous offre une photo de Lyne Paulin. Et je la remercie en public!
Pour le signet qu’on offre lors de la cérémonie, j’ai composé :
‘’ Elle rendait l’impossible possible. Sa volonté guidait les étoiles. Son sourire éclairait nos vies. Son amour vit dans nos cœurs. Le voyage continue… »

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