La chronique de JPB : Pacha du papier glacé

 

 

Je suis de la dernière génération qui vénère l’écrit et aime à tenir une œuvre imprimée. Loin de moi ces gens qui se promènent en tenant à la main, tel un scapulaire, leur téléphone cellulaire, leur Ipad ou Ipod, leur lecteur MP3.

 

Tous ces adolescents, jeunes ou vieux, qui s’échangent plus de cent messages textes par jour, des infos sous forme de haïku de 140 caractères, des vidéos d’une minute dans lequel un inconnu tombe sur la barre de sa bicyclette ou alors un chat danse sur un air connu.

Pitié!

S’il est une preuve que la société moderne engendre un profond malaise, une solitude personnelle sans fond, une incapacité à se retrouver seul avec soi-même, une crédulité sans borne face aux technologies de l’information, un désir de partager le vide du quotidien… et bien cette preuve vous la trouvez dans ces adolescents qui circulent sur les trottoirs en vous présentant l’objet qui affirme leur existence.

Observez la position de la main, ouverte, écran vers le ciel, tenant l’appareil tel une offrande aux dieux du monde digital, virtuel.

Observez ces accros du Blackberry qui titillent sans cesse la molette de leur maître. Est-ce un substitut plastique à une piètre vie sentimentale?

 

Je ne sais pas. Je constate simplement que jamais, dans ce monde connecté du matin au soir, les hommes et les femmes n’ont été aussi seuls. Isolés. Dépourvus face à la vie. Incapables de relations durables. Incapables de passions durables. Jamais les humoristes n’ont fait autant de spectacles. Jamais leurs clients n’ont eu le regard aussi vide…

 

L’imprimerie existe encore mais un auteur anglais affirmait la semaine dernière que, dans le pays de Harry Potter, les gens ne lisaient plus. Des livres de recettes, des almanachs, mais rien de plus. Il donnait encore une vingtaine d’années à la presse écrite. Philip Kerr, vous le connaissez sans doute. La ‘’Trilogie Berlinoise ».

 

La presse montagne survit encore. En français. Ce qui peut paraître surprenant considérant la moyenne d’âge des grimpeurs. Elle est ballottée, cherche ses repères, lutte pour des revenus publicitaires provenant d’un petit bassin d’entreprises du milieu.  Le tout est quasiment incestueux quand on connaît la taille du marché et les acteurs qui gravitent autour du pot de miel.

 

 

L’importance d’une presse qui touche au monde de la montagne et de l’escalade ne peut être surestimée. Si ce n’était que pour la part de rêve qu’elle nous apporte à tous les mois, les magazines spécialisés vaudraient la peine d’être feuilletés.

 

Est-ce qu’il y a plus que la part de rêve? Selon moi, oui, beaucoup plus!

 

Passons sur les informations qui relèvent de l’immédiat. Elles se prêtent beaucoup mieux au support du web. Le résultat d’une compétition, c’est du consommable, un nom et un lieu dont on ne se souviendra plus dès le lendemain. Mais il y a place à des enquêtes, à des tests, à des souvenirs, à des analyses… tout ce qui prend plus de 140 caractères et trois neurones pour s’expliquer. Tout ce qui ne nécessite pas la dernière ‘’toune » de la chanteuse ‘’virale » comme support à la compréhension.

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J’ai entre les mains le premier Grimper publié par les soins du nouveau directeur des rédactions. Nouveau, c’est un bien grand mot. Pour obtenir le poste, il n’a eu qu’à faire glisser sa chaise de deux bureaux. Vous savez que Nivéales est passé au vert, à l’écologie mur à mur! On y recycle les rédacteurs en chef! L’ancien rédacteur est le nouveau rédacteur.

 

Laurent Belluard a repris du service!

 

Le Grimper ne me semblait pas trop mal. Alors je me suis dit que le rédacteur valait bien un coup de fil et une entrevue déjantée. Il a accepté de bon cœur de se plier à mes caprices. La presse montagne et Grimper sont-ils là pour rester…

 

 

– Revenir à la barre de Grimper … tu pars de Skieur … tu descendais et maintenant tu dois remonter. Tu te donnes combien de temps pour atteindre les chaînes?

 

 Je ne pars pas de Skieur, ni même de Big Bike, je reviens m’occuper de Grimper parce que j’aime ce magazine et que notre organisation interne le nécessite. Fred Labreveux, qui lui s’occupe quotidiennement de Grimper, fait un très bon boulot et le mélange entre actualité, services, belles images, bref tout ce qui fait la vie de l’escalade, me convient parfaitement dans la ligne éditoriale. On a aussi voulu avoir le renfort de quelques plumes acérées, à l’image celle de Florent Wolff mais surtout de sa vision complémentaire du sport. Il y aura d’autres nouveaux collaborateurs prochainement

 

 

 

 

 

On m’a dit que tu avais acheté une veste pare-balles. Les grimpeurs tirent facilement sur le rédacteur… ça prend quoi pour les rendre heureux, les challengés du vertical?

 

Personne ne nous oblige à faire ce métier. On le fait parce qu’on aime ça, que c’est stimulant. La critique est toujours intéressante, ce qui ne l’empêche pas d’être parfois injuste voire mensongère. Je pars du principe que si le magazine me plaît, alors il devrait plaire aux autres. C’est une recette comme une autre mais jusqu’ici, elle ne fonctionne pas trop mal… Pour stimuler les grimpeurs ou les rendre heureux, il faut bien les traiter, donc donner de sa personne, montrer qu’on essaie de faire du mieux possible, d’être original, inventif, malgré toutes les contraintes qui existent.

 

– Quelle est ta recette pour conserver ton équilibre mental? Certains affirment qu’il est fragile mais, quand même, ce nouveau poste est tout un défi!

 

C’est une question qu’il faut poser aux autres, étant mal placé pour répondre. L’équilibre, par définition, c’est fragile. Mais faut-il être équilibré ? Est-ce vraiment une finalité ? 

 

– Un vieux rabougri comme toi, ça grimpe où? Quelle est ta falaise favorite? A vie, la plus belle falaise que tu aies vue ? La plus belle voie grimpée (et pas la plus dure, il y a une différence) ?

 

Un vieux grimpeur comme moi ne grimpe plus vraiment actuellement si ce n’est sur un bout de pan avec d’autres vieux grimpeurs… La plus belle falaise, c’est difficile car ça dépend si on prend le cadre général, l’émotion du moment, etc. J’ai des souvenirs émus du Verdon, de Buoux, de Rodellar, des Calanques en général et de la Triperie en particulier, de Joshua Tree, du Wadi Rum mais aussi en montagne. Bref, comment opposer le rocher du Buoux à celui de Chateauvert ou du Verdon ? Le style change, pas le plaisir et encore moins l’émotion. Je crois que c’est ça le plus fort en escalade, l’émotion. A la fois, j’ai toujours été nul, donc…

 

– Si tout était à refaire, ta vie en entier … tu ferais quoi ?

 

C’est pas vraiment que j’aimerai refaire ma vie mais j’aimerai en avoir d’autres, une pour faire de la musique, une pour écrire, une autre pour voyager… Certains parviennent à tout faire, pour l’instant, pas moi mais c’est un vrai challenge. Le but n’est pas de réussir sa vie mais de la remplir. Dans cette démarche, j’admire Lionel Daudet.

 

– Question bonus : comment vois-tu la grimpe en 2030? Tu seras redac’ pour Grimper ? Tu crois qu’il y aura la  »Grimper Girl » en page centrale ?

 

Je ne pense pas que les fondamentaux auront changés. L’escalade est mature, plurielle, mais les tabous sont tombés. On grimpe sur de la résine, dans des salles payantes, pour faire de la gym et pourtant, les grimpeurs d’aujourd’hui ont effectué leur retour en falaise et se touchent moins qu’à une époque. Le niveau explose et les valeurs restent grâce notamment aux ‘anciens’ qui perdurent, ne rangent pas les chaussons, et peuvent donc transmettre, à l’image de Yann Ghesquiers par exemple. J’ai connu une époque où certains grimpeurs ou grimpeuses ne grimpaient quasiment plus en falaise pour garder les voies à-vues, le jour où. La notion de plaisir avait quasiment disparu… J’ai l’impression que c’est moins vrai aujourd’hui même si je suis moins en prise. Bref, je suis optimiste et je fais confiance aux suivants.



– Dessert favori ??

 

Désolé, je ne suis pas très dessert ou si, mais version Côte Rôtie

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