Marc Le Menestrel : Chouca, 8a+, Buoux, août 1985

Il y a quelques jours dans le courrier des lecteurs, suite à une publication d’un portrait d’Amandine Loury au pied de la fameuse voie de la falaise de Buoux dans le Lubéron, nous nous sommes interrogés sur l’origine du nom ‘Chouca’ et sur son orthographe, en se demandant si il était tiré du nom de l’oiseau car on trouvait les deux écritures dans la littérature.

Nous nous sommes naturellement tournés vers Marc Le Menestrel, géniteur et premier ascensionniste de cette voie mythique du Sud de la France pour avoir la réponse.

Il nous fait partager un témoignage écrit en décembre 2009 retraçant l’histoire de ‘Chouca’, avec quelques précisions et anecdotes croustillantes… Merci à lui !

Le dimanche matin, lorsque nous nous préparions à aller grimper dans la forêt de Fontainebleau avec mes parents Jacques et Hélène, mon frère Antoine et ma soeur Séverine, il nous suffisait de sortir nos sacs d’escalade ou de prononcer le mot “Fontainebleau” pour que notre chienne Chouca, un labrit, se mette à bondir de joie et d’excitation. Chouca connaissait la forêt bien mieux que nous, ses odeurs et ses recoins, comme elle connaissait les falaises où nous allions grimper. Elle faisait de chacune de nos sortie une véritable fête. Lorsque nous grimpions à Buoux, elle était capable de faire tout le tour de la falaise et de nous attendre sur le plateau, en haut du pilier des fourmis, pour que nous redescendions à pied tous ensemble (on ne faisait pratiquement pas encore de moulinette à l’époque). Elle est morte au printemps de 1985, une nuit d’orage, alors que mes parents campaient sur le plateau de Buoux, au-dessus de cette partie de la falaise que nous appelons maintenant le “bout du monde”. Lorsque j’équipai une ligne dans cet endroit magique cette même année, je décidai de lui donner son nom, et c’est pourquoi “Chouca” s’appelle “Chouca”, sans “s” à la fin car il s’agit bien d’une chienne et pas d’un nom d’oiseau.

Tony Yaniro dans ‘Chouca’ (coll. Heinz Zack)

J’ai équipé Chouca en Août 1985, après trois semaines passées en Allemagne en Juillet, au Frankenjura et dans l’Altmütal. Nous grimpions en groupe, campant sur le plateau comme une tribu. Comme il se doit en revenant du Frankenjura, j’étais dans une période de forme. Pendant ce mois d’Août, je devais équiper et réaliser trois voies plus dures que toutes celles que j’avais réalisées : “Les mains sales” en face ouest à Buoux, “Le fluide enchanté” à Mouriès et Chouca au bout du monde. « Chouca » est la seule de ces voies qui n’est pas restée cotée 8b mais cela n’a que peu d’importance. C’était pour moi un saut dans la beauté de la ligne, dans le devers et la distance entre les prises, une nouvelle inspiration. De ces trois voies, « Chouca » est la dernière que j’ai réalisée et elle évoque pour moi une émotion particulière.

Thomas Leuleu dans la voie (Photo : coll. Arnaud Gasser / Escalade-Alsace)

L’équipement, réalisé à la main au tamponnoir, prit près de trois jours, brossage compris. J’ai ensuite travaillé les mouvements quelques jours et j’ai commencé à essayer d’enchainer, assuré par David Chambre et Frank Scherrer. Fin Août, il fallait se lever tôt pour avoir des bonnes conditions et je grimpais entre 7 et 9 heures du matin, juste assez pour trois essais. Pour autant, c’était plutôt agréable de passer tout le reste de la journée tranquille à la piscine des Seguins. Le premier jour, je tombai trois fois au-dessus du troisième spit, avant le grand jeté, car c’était là pour moi le mouvement le plus dur. Je n’avais pas vu l’inversée et faisais un mouvement aléatoire avec une prise plutôt plate main droite. Le deuxième jour, je tombai encore deux fois à cet endroit pour finalement tomber une fois au grand jeté. Le troisième jour, les mains en feu, je retombai encore au grand jeté, puis au deuxième essai au passage du “cacagnolet” (le nom de ce double monodoigt étrange mais naturel !). Après une journée de repos, j’enchainai au premier essai. Le travail et l’enchaînement avaient pris moins d’une semaine.

Loic Fossard dans ‘Chouca’ (coll. Yann Corby / Escalade-Alsace)

Des trois voies que j’ai ouvertes cet été là, Chouca est celle qui de loin a attiré le plus d’attention et de répétitions. Je pense que c’est dû à la beauté du lieu, à la ligne et aux mouvements. Elle fût bien sûr essayée et répétée par mon frère Antoine et par Jean-Baptiste Tribout, dès leur retour d’Angleterre où ils avaient répété les voies les plus dures de nos amis Anglais, dont certains mythes de Jerry Moffat comme “Revelations”. Je me rappelle aussi Alexandre Duboc et Alain Ghersen essayant et répétant la voie. Ils ont tous très rapidement trouvé un mouvement plus facile grâce à cette douloureuse inversée main gauche. Le plus gros problème restait le jeté. Assez vite, un consensus devait se faire que « Chouca » n’était pas plus dure que « Le Bidule » (Saussois), « la Boule » (Sainte Victoire) ou « Geant Jones » (Salève), trois références de 8a+.

Photos : Heinz Zack

Les années suivantes, je ne devais que rarement retourner faire « Chouca », préférant La Rose et Le Vampire, un 8b ouvert par mon frère à gauche, ou le Minimum, un 8b+ que j’ouvris en 1986 et qui est maintenant 8c depuis qu’une prise de pied a cassé. Mais quand même, je m’amusais à enlever assez systématiquement le tas de pierres au pied de la voie. J’essayais d’inciter les grimpeurs à ne pas éviter le premier mouvement, une sorte de traction d’un bras sur un excellent bidoigt qui fait partie intégrante de la voie mais qui est trop souvent évité par les grimpeurs plus intéressés par faire la croix « Chouca » que par vraiment en faire tous les mouvements durs. J’ai même enlevé une chaise qui permettait d’éviter les 3 premiers mouvements ! J’ai trouvé aussi très intéressant le mouvement “figure of 4” qui rendait le grand jeté plus facile. Je sais que ce mouvement est parfois attribué à Tony Yaniro à cause des photos, alors qu’il est l’idée de Darius Azin, qui m’avait époustouflé la première fois que je l’ai vu faire ! Quoiqu’il en est, j’ai toujours préféré refaire le grand jeté, que j’adore. Il est d’ailleurs maintenant plus facile grâce au quart externe pied gauche qui à l’époque n’existait pas. En plus, depuis que la bague main droite a cassé, le “Figure of 4” n’est plus vraiment faisable. Comme quoi rien n’est immuable.

Avec Bout’chou (8b+), mon frère Antoine proposait en 2001 une nouvelle sortie directe jusqu’au plateau, offrant une nouvelle jeunesse à cette voie de maintenant 25 ans. Première voie à droite de la fissure Serge dans ce grand mur du bout du monde, « Chouca » continue de nous inspirer et de nous régaler.

Et moi, j’ai encore le coeur qui se serre et les yeux qui s’embrument en pensant que quelque part, l’esprit d’une chienne fantastique nous regarde et fête par son excitation cette joie de grimper dans des endroits merveilleux.

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