On a croisé Alex Honnold à Paris

Quand l’attaché de presse de Guérin m’a proposé de rencontrer Alex Honnold pour une interview, j’ai dit oui sans hésiter une seconde. Une fois l’organisation bouclée, il a fallu préparer cette rencontre et là, j’ai frôlé la copie blanche ! Merde alors ! Qu’est ce qui se passe ? Pourquoi cette panne d’inspiration ?

Les jours passaient et je repoussais ma copie. Pourtant je préparais cet entretien, je relisais son nouveau livre Solo Intégral, je visionnais à nouveau toutes les vidéos disponibles, j’en parlais autour de moi mais rien ne s’organisait dans ma tête.

Puis j’ai fini par comprendre que les réalisations en solo d’Alex Honnold me paralysaient le corps et l’esprit. A chaque fois que je le voyais grimper sans corde dans des longueurs extrêmement difficiles et impressionnantes j’avais les mains moites et j’oubliais de respirer !

Finalement, j’y suis allé avec mon ami Jean Christian Vinel. Historien des états Unis et bleausard Jean Chri allait réparer ma panne d’inspiration et m’accompagner dans cette interview tout en anglais.

Nous avions rendez-vous au grand REX à Paris à l’occasion de « Rencontre au sommet », événement organisé par l’équipe de « montagne en scène » où Killian Jornet et Alex Honnold venaient présenter leurs nouveaux films respectifs, en parler puis échanger sur leur pratiques.

En bons français que nous sommes nous avons respecté les traditionnelles dix minutes de retard et Alex nous prouvait quant à lui sa capacité d’intégration en finissant la corbeille de pain qu’il n’allait certainement pas abandonner au restaurant.

Kairn : le Yosemite, le Tchad, l’Angola, le Mexique et maintenant les lumières de Paris ! Comment tu vis ce contraste ?

Alex Honnold : C’est un peu plus civilisé ici. Je ne suis pas fan des grandes villes mais ça reste cool, ça fait partie du monde. Je ne me vois pas vivre ici mais c’est génial d’y passer trois jours, de visiter. J’apprécie cette culture et la bonne bouffe.

Raconte-nous une semaine type. Quelle est la part du solo dans ton entrainement ?

Le solo c’est très minoritaire en fait. Si je veux faire une centaine de longueurs il y a effectivement du solo pour être suffisamment rapide. Mais en général y il a 95% d’escalade avec des partenaires et une corde.

Tu as un programme d’entrainement type ? De la poutre ou autre ?

J’ai une poutre dans mon van, j’ai un nouveau van où je peux tenir debout maintenant. En fait, je n’ai pas vraiment de semaine normale, parce que je voyage constamment. Les deux semaines précédentes j’étais en Ecosse et en Irlande, les conditions étaient parfaites et j’ai grimpé 13 jours en deux semaines.

Là je suis vraiment crevé mais ça tombe bien parce que j’ai 3 jours relax à Paris. Je suis tout le temps en déplacement, j’ai testé un nombre incroyable de lits !

Ces dernières années l’escalade est devenue de plus en concentrée, raccourcie. Toi tu enchaines les 3 plus grandes faces du Yosemite en une journée ! Tu as l’impression d’aller à contrecourant ?

Je ne pense pas que l’extension de l’escalade soit focalisée sur le bloc ou l’escalade sportive. Regardez Tommy Caldwell avec sa réalisation du « down wall ». Je pense que l’escalade se développe dans toutes ses variantes. Evidement on voit plus facilement des vidéos en bloc ou en couenne parce ce que c’est beaucoup plus facile à filmer !

Un smartphone, un pote et une vidéo en ligne. L’alpinisme ou les solos dans un bigwall c’est super dur à filmer ! Pas grand monde peut faire ça. Toute l’équipe de CAMP 4 PRODUCTION sont des amis et des grimpeurs.

Quel est l’impact des sponsors sur ta pratique ? Tu ferais autant de solos sans eux ?

Je ferais la même chose si je n’avais pas de sponsors. Exactement la même chose. Tu sais, chez The North Face, mon sponsor principal, la plupart des gens me répètent : « je serais tellement content si tu ne refaisais plus de solos, tu pourrais juste grimper et ouvrir un shop dans ton van ».

Clairement ils ne me mettent pas la pression pour que je tente des choses dangereuses ou difficiles. La plupart des gens dans cette entreprise sont largement satisfaits si je vais dehors, me fais plaisir en donnant le meilleur. C’est un super soutien.

Oui mais quand tu es en solo et qu’il y a des caméras partout, des copains à deux mètres ? Ça ne te déconcentre pas ?

En général, je suis totalement seul quand je fais un solo pour la première fois. La plupart du temps j’ai moins la pression quand il y a du monde partout dans la face parce que je peux toujours demander une corde et le pote m’envoie un brin. Alors que si t’es seul et que t’as un problème t’es dans la merde.

Oui ça c’est une approche rationnelle et scientifique…

C’est sûr qu’il est difficile d’être concentré à 100%. Et dans le film « HONNOLD 3.0 » on me voit grimper avec mon propre matos et une corde pour franchir les pendules. Du coup je suis vachement plus relax. Mais normalement en « free solo » je préfère être seul, d’ailleurs c’est l’essence même du solo !

Et la communauté te fait confiance quand il n’y a pas de preuve de tes ascensions solitaires ?

C’est ce que j’adore dans ce milieu parce que la plupart des voies dures que j’ai réalisées, personne ne m’avait vu. La plupart de mes records de vitesse, j’avais juste mon téléphone et tout le monde a accepté le fait.

Oui mais il y a aussi des grimpeurs qui sont remis en cause, comme Barnabé Fernandez et son 9b par exemple.

Il l’a fait ou pas ? C’est une voie longue, bien rési, il l’a probablement réussi ?

Et la voie du compressor de César Maestri au Cerro Torre ?

C’est clair que ce gars n’est pas allé en haut ! C’est certain ! Tu as lu le livre « the tower » ? Un super bouquin. J’étais dans le bus en direction du Cerro Torre quand je l’ai fini et en grimpant dans la face je me disais « c’est une comédie. Il dit qu’il a grimpé la face nord, avec une portion facile en glace dans le haut.

Mais c’est faux. Personne n’aurait pu grimper un truc pareil dans les années cinquante. En plus il n’y avait absolument aucune trace là-haut.

Dans ton livre on suit les différents épisodes avec ton ex copine. Ces sentiments en dent de scie ont-ils eux un impact sur ta façon de grimper ? Des décisions impulsives ?

Je ne pense pas qu’elle ait eu un impact énorme sur ma pratique. C’est intéressant par ce qu’au début notre relation allait super bien et je pensais que j’avais perdu la motivation pour les gros projets, que je passais trop de temps avec elle mais en regardant mon cahier de courses ou je note tout, j’ai constaté que l’état de notre relation n’avait pas d’incidence sur la fréquence et la difficulté des réalisations.

Ok pour le coté rationnel mais dans ton livre tu parles d’un solo à Las Vegas et la décision est clairement liée à une période compliquée dans votre relation !

C’est un de mes passages favoris du livre, mais au final peu importe les raisons qui te poussent à te lancer dans un solo intégral, avec l’expérience, quand je quitte le sol je suis absolument concentré sur le prochain mouvement et rien d’autre.

Émotionnellement j’ai plus de difficultés à gérer les phases ou je me dé-longe et me re-longe régulièrement quand je tire aux clous (le french climbing dans son livre). Ça donne : « en sécurité /en danger/en sécurité /en danger ». Ou à repartir d’une vire super confortable.

Nous aussi on a eu notre star du solo intégral en France. Patrick Edlinger. Comment gères-tu la célébrité ?

Ça va. Au début c’était un peu déroutant mais je n’ai pas trop de problèmes avec ce phénomène. Patrick Edlinger était une super star.

Beaucoup plus célèbre que moi. On dit que le solo intégral est extrêmement dangereux mais il y a très peu d’exemples de grimpeurs qui se sont tués en solo. Tu es tellement concentré et puis tu n’as pas du tout envie de mourir.

On ne te voit pas beaucoup en Europe ! Le Verdon, les Dolomites ça t’attire ?

Les dolomites c’est vraiment loin et il faut un long créneau météo, ça rend la chose compliquée dans mon emploi du temps. Le Verdon ? Carrément ! J’y suis déjà venu il y a quelques années.

Et cet été je vais y passer un peu de temps. Il n’y a pas beaucoup d’endroits aussi captivants que chez moi en Californie. Mais le Verdon et Ceüse font partie des plus belles falaises du monde.

Biographie ? Et le haut niveau en général ça fait partie des projets ?

Oui grave ! Mais je voyage énormément. J’adore voyager mais je ne peux pas me poser pour travailler un projet. Faire des essais, me reposer, retourner dans la voie, retravailler des séquences, récupérer et retenter l’enchainement. C’est incompatible avec mon planning.

9A à cinquante ans alors ?

J’espère.

Dean Potter vivait en marge de la société. En 2004 pourtant, il s’est dit que ça serait une bonne idée d’aller voter ! Et toi tu suis l’actualité ? La politique ?

Oui bien sûr que ça me préoccupe, Trump par exemple ! Ce matin je suis allé voir les résultats des primaires en Californie. Je vote par correspondance. La justice sociale ne me laisse pas indifférent mais selon moi la question qui domine toute les autres est celle de l’environnement. Parce qu’elle concerne tout le monde.

Quel que soit l’état du compte en banque, la ville ou le pays dans laquelle on se trouve, on est concerné. Je me suis impliqué dans cette voie grâce à la fondation Honnold. C’est ma manière d’essayer de faire changer les choses.

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