Pour une approche raisonnable de la réintroduction d’espèces sauvages

Au fil d’articles, de posts et de réponses, il est parfois légitime de s’interroger sur les politiques de réintroduction ou de sauvegarde de certaines espèces animales. Nous sommes le plus souvent concernés par des espèces qui sont proches de l’Homme par leurs modes de vie (loup, ours), mais il ne faut pas oublier que ces deux espèces emblématiques font trop souvent oublier au grand public que des Plans Nationaux d’Action (PNA) financent actuellement des actions de sauvegarde d’autres mammifères (bouquetins, chiroptères, desman des Pyrénées, hamster commun, loup, ours, vison et loutre d’Europe), des reptiles et amphibiens (et en particulier le lézard ocellé, le plus grand lézard d’Europe), des insectes, de la faune marine, des poissons, des oiseaux et des invertébrés aquatiques. Dès lors, il est inutile de s’interroger sur la légitimité ou non de ces PNA (ceux qui se battent sur des questions de ‘scandale d’état’ sont dans ce sens plus des gesticulateurs que des acteurs).

De manière générale, ces espèces interfèrent peu ou prou sur les activités humaines et ne font pas l’objet de polémiques particulières entre les gestionnaires des espaces sauvages (professionnels de la gestion de l’environnement, agriculture pastorale) et les associations et/ou scientifiques auxquels ont été donnés par délégation préfectorale la gestion de ces PNA via des COmités de PILotage (COPIL) auxquels participent tous les acteurs. Par exemple, le Comité Déparemental FFME de l’Ardèche est membre du COPIL du PNA relatif à l’aigle de Bonelli dans le même département.

Cependant, pour certaines espèces, le sujet fait l’objet de débats passionnés et trop souvent dogmatiques. Il s’en suit une impossibilité de discussion entre les acteurs où le moindre écrit à ce propos (comme par exemple ce post) peut engendrer des réactions violentes.

L’ensemble du règne animal, auquel l’Homme appartient, s’inscrit dans des chaînes alimentaires ou chaînes trophiques. L’Homme y est un cas particulier dans le sens où de proie potentielle de certains superprédateurs (comme le loup, l’ours, certains félins d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique, voire certains reptiles ou rapaces) il est devenu prédateur ultime de part l’utilisation d’outils (ou armes) plus ou moins élaborées. De plus, cette course à l’armement n’a pas de limites et est extrêmement rapide, contrairement à ce qui se passe dans la nature. Ainsi, au cours de l’évolution, si la course à l’armement n’est pas limité, les prédateurs vont détruire toutes les proies potentielles et vont donc disparaîtront faute de biomasse. Inversement, si les capacités de fuite des proies évoluent trop vite, leurs populations vont trop se développer et disparaître également faute de biomasse disponible. Sauf pour l’Homme qui a inventé l’agriculture intensive …



Donc, dès lors qu’un prédateur, tel que le loup ou l’ours, a accès à cette biomasse, il peut prospérer. La problématique est que l’Homme met à la disposition de ces prédateurs une biomasse aisée à capturer grace au pastoralisme. Faut-il pour autant supprimer ces activités humaines? Bien sûr que non! Elles ont d’une part une légitimité culturelle et participent à la sauvegarde des espaces naturels. La question essentielle est comment faire coexister sans éradiquer ces activités avec une gestion raisonnée des espaces sauvages et des chaînes alimentaires qui y résident?
Le premier point concerne la prise en compte de la facilité de capture des proies. En effet, l’objectif, pour tout prédateur, est d’ingérer un maximum de calories en en dépensant le moins possible, ce que l’on appelle la balance énergétique. Il est dès lors évident qu’entre un mouton qui se déplace lentement dans des pâturages avec des possibilités de défenses limitées et un chamois, le loup choisit pragmatiquement le mouton. En ce sens, l’Homme est similaire car il préfère élever des moutons que de courir après les chamois. De plus, le loup, comme l’ours, n’est pas un animal domestique et ne fait pas donc ce que l’Homme souhaiterait qu’il fasse …

Le second point est celui du nombre de proies disponibles pour chaque individu. Plus le nombre de proies sur une surface donnée est important, plus le territoire du prédateur sera réduit, et plus d’individus pourront co-exister dans un même espace.

En d’autres termes, la coexistence entre l’Homme et les prédateurs ne peut réussir, entre autres, que si le cheptel ovin est, en terme de dépense énergétique, plus couteux à capturer que des individus sauvages, et que si le nombre de proies potentielles est suffisamment élevé pour maintenir une population donnée de prédateurs sans que ces derniers aient à prélever dans les élevages. Or, il est évident que ces règles de base ont bien trop souvent été négligées dans la mise en oeuvre des politiques de réintroduction (qu’elles soient légitimes ou non socialement). Ainsi, par exemple, quand les vautours fauves sont nourris quotidiennement par des charognes déposées volontairement par l’Homme, il est évident que nous avons affaire à une politique d’élevage et non de préservation d’une espèce, puisque nous préservons artificiellement une population trop importante par rapport à la biomasse disponible. D’où l’explication de certaines attaques contre l’Homme lorsque le déséquilibre prédateur/proies est trop grand.

Il est donc évident qu’une analyse fine, globale et scientifique serait nécessaire pour continuer le débat, trop long pour qu’il ait sa place dans un simple article. Mais j’ai souhaité développer quelques exemples pour montrer qu’une analyse raisonnée et pragmatique, libérée de tous dogmatismes (écolo ou non), peut aider à apporter une aide à une coexistence plus harmonieuse entre l’Homme et certains super-prédateurs.’

Pierre Legreneur
Maître de conférences HDR
Président de Minéral Spirit et Membre Correspondant du Muséum National d’Histoire Naturelle

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