Aller plus haut, plus loin…

La peur s’est installée au centre de notre humanité. Nos sociétés industrialisées n’ont jamais autant développé de concepts autour du « risk management », afin de maîtriser les aléas et les crises potentielles. Dans le même temps, la naissance de l’alpinisme à l’orée du XIXe siècle est apparue comme un exutoire à ces sociétés qui se normalisent et qui cherchent tant à écarter le risque. Comme si l’homme, à travers ces nouvelles aventures alpestres, puis himalayennes, cherchait à redonner un sens à son existence, exposant sa propre vie pour aller plus haut, plus loin dans les difficultés. Dès la première ascension du mont Blanc, en 1786, qui résonne comme un prélude à la Révolution française, les alpinistes apparaissent comme des hommes libérés du fardeau des peurs ancestrales et des superstitions.

Dans les années 1930, l’escalade et l’alpinisme deviennent l’expression d’engagements nationalistes et la référence supérieure du courage physique et moral. La première ascension de la face nord de l’Eiger, en 1938, par une cordée austro-allemande, en restera l’exemple marquant. En Italie, Emilio Comici, virtuose de l’escalade, aime gravir des voies directes, verticales, aériennes. Il défie les lois de la gravité et pousse très loin le jeu, puisqu’il sera un des premiers, avec Paul Preuss, à pratiquer l’escalade solitaire sans aucun matériel pour s’aider. La prise de risque est absolue, le héros est acclamé par une Italie fasciste en quête de symboles et de revanche.

Avec les années 1970, les pratiques se diversifient, l’individu en quête de transgression part à la découverte de nouvelles expériences, la médiatisation des drames s’intensifie et, peu à peu, la société ne regarde plus les alpinistes comme des héros, mais comme de simples imprudents. Le risque, autrefois lointain et relaté à froid par des récits épiques, devient immédiat et impressionnant par l’usage intensif des images et des médias, avec aujourd’hui l’usage généralisé des mini-caméras portatives qui enregistrent des images effrayantes d’escalades solitaires, de sauts en parachute depuis des parois verticales (le wingsuit), de ski extrême, d’ascensions de cascades de glace.

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