Faire le Mont-Blanc est devenu aussi important que de courir son premier marathon ou de mettre la main sur une Rolex à 40 ans. Et si l’on peut très bien ne pas avoir raté sa vie sans être monté à 4807 mètres, la hausse spectaculaire des tentatives d’ascension (et des accidents) depuis quelques années laisse à penser que nous sommes de moins en moins nombreux à penser de la sorte.
Selon l’étude Petzl de 2011, le nombre total de passages est estimé « entre 17 000 et 17 500 sur l’ensemble de l’été ».
D’où les réflexions en cours à la Préfecture de Haute Savoie pour tout simplement réguler et encadrer l’accès au mythique sommet des Alpes. Bien sûr, les guides ont leur mot à dire dans l’affaire. Leur idée ? Refaire du Mont-Blanc une course d’alpinisme traditionnel dès le départ du refuge de Tête Rousse, à 3100 mètres.
« Le SNGM et l’UIAGM sont favorables à un changement d’optique dans la conception des aménagements de la voie d’accès au refuge » disent Christian Jacquier et Christian Trommsdorff, respectivement Président du Syndicat national des guides de montagne et de l’Union Internationale des Associations de Guides de Montagne.
Équipements de protection ou équipements d’aide à la progression ?
Au cœur du débat pour être très clair, faut-il privilégier des équipements de protection ou bien les équipements d’aide à la progression ?
Aujourd’hui, ce sont des équipements facilitant la progression, comme des marches, des échelons pour les pieds, mais aussi des câbles, qui permettent aux candidats au Mont-Blanc de se hisser vers le haut du couloir du Goûter. Une des pistes de réflexion consiste à renforcer ce dispositif.
« Il devient très difficile de maintenir en état cet équipement, qui suite aux changements climatiques est de plus en plus soumis aux chutes de pierres et parfois aux risques d’éboulements. Dans ces conditions l’entretien des câbles nécessite un contrôle suivi, très compliqué à mettre en œuvre dans ce secteur » assurent néanmoins les représentants des guides.
Lutter contre la « fallacieuse sensation de sécurité »
L’autre solution ? Mettre en place des équipements de protection, soit des points d’assurage solides et judicieusement placés, qui permettent une progression encordée. C’est cette seconde piste qui a la faveur des guides.
Cela pourrait inciter « la plupart des candidats au Mont-Blanc à s’équiper afin de pouvoir s’assurer, et (…) dissuader ceux (…) qui se lancent avec un matériel insuffisant ou inadapté » disent t-il.
Leur pari ? La diminution des équipements de progression ôterait la « fallacieuse sensation de sécurité » qui conforte les alpinistes inexpérimentés. De quoi fournir aussi peut-être plus de travail aux guides, au passage. Car qui de mieux qu’un guide pour « conforter les alpinistes inexpérimentés » ?
Cette réflexion n’est cependant pas uniquement à visée corporatiste, il faut bien le reconnaître.
Une rambarde sur l’arête des bosses ?
« L’ascension du Mont-Blanc ne s’arrête pas au refuge du Goûter, mais 1000 mètres plus haut » rappellent les guides. Et il faut en redescendre. Et ce dénivelé supplémentaire exige en plus de supporter correctement les effets du mal des montagnes, la maîtrise d’un alpinisme technique d’altitude.
Faciliter à force de câbles et d’échelle l’accès au refuge du Goûter alors que la partie suivante n’est pas sécurisable, voilà une incitation supplémentaire à l’accident disent les guides. Et de citer en exemple la fameuse « arête des Bosses », qui il faut en convenir, ne se prête en aucun cas à la pose d’une rambarde !
« A l’heure où une démarche UNESCO est en cours pour obtenir le classement de l’alpinisme au Patrimoine Immatériel (et Mountain Wilderness est pour), une autre visant le classement du massif au Patrimoine Naturel, le sens de l’histoire plaide pour un allégement des aménagements en place » disent les guides. Tous les guides ? Non.
« Une voie intellectuellement satisfaisante et bien dans l’air du temps »
« Le Sngm et l’UIAGM s’engagent de façon aventureuse dans une voie intellectuellement satisfaisante et bien dans l’air du temps » dit Denis Crabière, qui a présidé le Syndicat national des guides de hautes montagne pendant 6 ans. Cependant note t-il, cette voie « pourrait bien se révéler toute autant, voire davantage, pourvoyeuse d’accidents ».
« Ces câbles ne font pas que faciliter les évolutions : ils rendent montées et surtout descentes bien plus rapides, particulièrement lorsque l’usage des crampons est requis » dit-il. Dans un contexte où le nombre de places dans les refuges ne diminue pas, cette remarque fait sens.
« Il y a une autre réalité que peu considèrent : si l’on connait bien le nombre d’accidentés annuel, personne n’est en mesure de dire combien de vies ont été préservées grâce à la présence de ces câbles… Des équipements dont on peut penser qu’ils contribuent à la sécurité générale bien plus qu’ils ne créent de problèmes en facilitant l’accès des trailers et autres alpinistes inexpérimentés ».
« Imaginerait-on le gouvernement népalais interdire les cordes fixes sur l’Everest tout en autorisant l’accès au sommet à plus de trois cents candidats ? Évidemment non : ce serait un désastre. Toute proportions gardées, c’est pourtant ce que certains ici appellent de leurs vœux… »
Attention à ne pas considérer que les dirigeants du SNGM et de l’UIAGM portent la voix « des guides » en général. Primo, ils ne consultent pas « les guides » avant de s’exprimer et ne portent que leurs opinions personnelles. Deuxio, il existe d’autres syndicats que le SNGM (le SIM, notamment). Tertio, tous les guides ne sont pas syndiqués.
Quant aux visées bassement économiques qui pourraient dicter certaines pistes d’aménagement (ou de désaménagement) évoquées, elles ne sont pas à négliger… la volonté de la compagnie et du maire de St Gervais de contraindre les ascensionnistes à embaucher des guides des compagnies locales (voire avec un ratio de 1 guide pour 1 client) étant une vieille lubie.
Bonjour et merci pour ce commentaire. L’article évoque deux points de vues pour illustrer justement que tout cela fait l’objet d’un débat.