Un matin de mars à Dugny (Seine-Saint-Denis), alors que je m’y rendais pour rencontrer un collectif d’habitants mobilisés contre un nouvel équipement numérique, j’ai senti l’air plus lourd que d’habitude. Sur les grilles du futur site, le permis de construire venait d’être affiché : un mastodonte de 200 MW de capacité électrique, planté entre crèche et logements¹. Pour les riverains, c’est le même refrain : au-delà du bruit et des ondes, c’est la pollution atmosphérique qui passe sous silence.
Cuves de fioul et groupes électrogènes : la pollution cachée des data centers
« Un data center ne supporte aucune interruption de courant », rappelle Vincent Courboulay de l’Institut du numérique responsable. Batteries et supercondensateurs prennent le relais instantané, mais ce délai suffit pour faire tourner des groupes électrogènes massifs. Ces moteurs diesel, loin d’être anecdotiques, peuvent fonctionner 48 à 72 heures en continu grâce à de gigantesques cuves de fioul ou parfois d’huile végétale hydrotraitée (HVO)².
Des centaines de groupes électrogènes
Lors de l’inauguration à La Courneuve de l’installation la plus puissante de France (130 MW), j’ai été surpris d’apprendre qu’elle repose sur 72 groupes de 3 MW chacun³. À Dugny, ce sont 108 moteurs prêts à craquer, alimentés par 219 cuves. À Aulnay-sous-Bois et Tremblay-en-France, d’autres projets prévoient 112 et 54 engins similaires. Chaque essai mensuel, nécessaire pour garantir leur fiabilité, répand dans l’air oxydes d’azote et particules fines, comme le dénoncent la Surfrider Foundation France et l’ANSSI.
Des technologies propres non abordables
Des alternatives existent, notamment des groupes à hydrogène développés par EODev, mais leur coût et leur usage intermittent les rendent peu rentables. Les promoteurs vantent le recours au HVO, mais conservent des réservoirs de fioul par « sécurité », avertit Philippe Schmit de la Mission régionale d’autorité environnementale. Les capacités de production européenne de HVO ne couvrent aujourd’hui qu’une fraction des besoins, maintenant ces sites sous la menace d’une utilisation intensive de diesel.
Pollution atmosphérique sous-estimée
Pour l’instant, l’impact global est jugé « limité » par Airparif, qui observe en moyenne 15 heures de fonctionnement des secours diesel par an. Pourtant, des études menées aux États-Unis — notamment dans le comté de Loudoun (Virginie) — estiment qu’une telle utilisation minimale pourrait provoquer plusieurs milliers de cas d’asthme et près de 100 décès prématurés par an, sans compter plusieurs centaines de millions de dollars de coûts sanitaires.
Réseau sous tension
En novembre 2020, l’incendie du data center des Ulis a maintenu le site 270 heures sur secours diesel, démontrant que ces dispositifs peuvent être activés bien plus qu’imaginé. Avec la montée en charge de l’intelligence artificielle, la demande électrique du secteur pourrait tripler d’ici 2030, amplifiant les épisodes de basculement. D’après la MRAe, les 108 groupes électrogènes de Dugny pourraient émettre l’équivalent de la pollution annuelle d’une commune entière en quelques heures de tests.
Notes de bas de page
- Capacité électrique de 200 MW pour le futur data center de Dugny – https://france3-regions.franceinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-saint-denis/pourquoi-le-plus-grand-data-center-de-france-bientot-installe-a-dugny-inquiete-les-riverains-3157335.html
- Autonomie des groupes électrogènes diesel de secours – https://fr.bluettipower.eu/blogs/news/combien-de-temps-peut-tourner-un-groupe-electrogene
- Installation 130 MW à La Courneuve : 72 groupes de 3 MW – Les Echos, “La Courneuve accueille le plus grand data center de France”, 5 octobre 2022 ; https://www.lesechos.fr/industrie-services/it/la-courneuve-plus-grand-data-center-france-1367425