‘En quête de plus grand – Une vie de montagnes et d’explorations’ de Jean Bourgeois

Après la lecture d’une autobiographie comme celle de Jean Bourgeois, à l’instar de celles d’un Raymond Renaud ou d’un Robert Flematti, on reste scotché par la vie et l’itinéraire remarquables qu’ont pu connaître certaines personnalités du milieu alpin.

Mais surtout on est heureux une fois encore de la portée de ce type de témoignage sur un plan humain. Car par delà les aventures – les épopées même ! – grisantes d’un alpiniste globe trotter de premier plan et la variété des domaines intellectuels dans lesquels il s’est épanoui (technicien en astronomie, ethnologie, astrologie, geobiologie…), dont témoigne simplement la fraîcheur et la maîtrise de son écriture, c’est bien une personnalité, un être humain authentique avec ses forces, ses doutes et ses émotions qui a choisi de se raconter ici.

Robert Paragot ne s’y est pas trompé, rendant hommage dans sa préface à « un ouvreur de chemins que pourront parcourir les jeunes générations ».

de l’alpinisme : « toute occasion est bonne pour améliorer mon endurance et ma résistance au froid ». Freyr, 1960.

à l’astronomie : « Jean au foyer du prestigieux téléscope d’un mètre d’ouverture de l’observatoire du pic du midi, 1985 »

en passant par l’ethnologie : « une des nombreuses dalles gravées de la vallée de Laghman. Au centre, une écriture en caractère tcharada pourrait permettre de dater les gravures ayant la même patine, Chalatak, novembre 1970.

Ecrit à 75 ans, son témoignage n’en est que plus fort : après une quête agnostique aventureuse effrénée de (toujours !) plus grand, l’auteur a fini par prendre refuge dans la seule dimension de l’humain. Certaines de ses réflexions dispensées en filigrane le long du chemin traitent ainsi de ses choix de vie, concernant la montagne, le couple ou l’amitié. Ces remises en perspective, en question parfois, auront de quoi nourrir la réflexion de tout un chacun. Qu’ils s’agisse de son positionnement quant à sa responsabilité d’homme et d’alpiniste, la gestion de la vie de couple – rendue ici notablement difficile par le niveau d’engagement des entreprises (comment ne pas se juger trop dur ou intransigeant à posteriori lorsqu’il a fallu faire le choix de quitter son conjoint plusieurs mois durant ?), la relation à ses compagnons de cordée et leurs ambitions (des plus égocentriques, éternellement avides de reconnaissance, aux plus « détachés »…pas moins en quête d’eux mêmes !).

« Claudio Barbier dans son élément, les Dolomites, Cima di Campiglio, 1964 ».

« L’équipe de l’expédition hivernale 1982 1983 à l’Everest, sur fond de cascade de glace :

A l’arrière : Michel Mabillon, René Ghilini, Emmanuel Schmutz, un visiteur, Alain de Blanchaud, Pierre Alain Steiner.

A l’avant : Jean Bourgeois, Louis Audoubert, Michel Metzger, Marc Batard et Michel Piola. »

Un éventail de personnalités et de motivations exceptionnelles approchées sans équivoque !

De son histoire familiale difficile à ses cirvonvolutions aux 4 coins de la terre en compagnie d’alpinistes aventuriers d’exception (Terray, Barbier, Heinrich, Mroz, Fréhel, de Roos etc…), des moments exceptionnels en Afghanistan avec sa compagne Danielle en passant par les grandes classiques des Alpes et l’Antarctique aux récits de survie inédits au Noshaq, dans les Andes et à l’Everest (où le survivant assiste une nuit, hagard dans le désert tibétain, à une éclipse totale de lune), de sa sortie de l’alpinisme de haut niveau jusqu’à l’accompagnement en fin de vie de ses proches…une fois refermé le livre du « concerto de sa vie » qu’il a souhaité jouer noir sur blanc, on en vient à vouloir remettre en perspective pour soi le dilemme existentiel que Jean Bourgeois distille tout au long de ses pages : si le risque en vaut la chandelle et sert l’alpiniste en quête de soi (et au delà), qu’en est il de cette quête dans la relation à (celle de) ses proches ?

« Lorsque nous emboitons le pas à cette caravane de nomades afghans, nous ne savons pas que nous (NDLR : Jean et Danielle) vivre une expérience qui marquera notre vie à tout jamais. Province de Ghazni, mai 1968. »

Si le désir de réalisation individuelle de l’alpiniste et ses effets psychologiques en partie néfastes sur son entourage amèneraient presque l’auteur à accepter finalement pour lui-même l’avis commun de notre société étiquetant l’alpiniste d’éternel adolescent un peu irresponsable et à épouser un positionnement plutôt fataliste – ainsi à son retour en Belgique où il fit la une des médias suite à sa (salvatrice) disparition du côté nord de l’Everest, l’énervement le prit à la lecture d’un gros titre le présentant comme « un homme maître de son destin » ! De l’autre, impuissant, on serait tenté de plaider malgré tout en sa faveur par une des phrases tirée de sa même expédition de 1982, allant au moins dans le sens de l’alpiniste acteur de sa vie ! « Marchant vers la Grande Ourse et la Polaire, je redeviens un voyageur cosmique et l’inconnu recule ». Alors même qu’il revient de l’enfer, d’un seul élan contemplatif le quêteur de cimes, d’étoiles et de soi mêlés reprend en main le cours de son existence…De même sa lettre publiée en 1976 dans « La montagne et alpinisme », écrite le surlendemain d’un accident survenu dans les Andes, illustre-t elle à merveille cet élan vital de l’alpiniste vers la connaissance : « Je crois faire partie de cette espèce d’hommes qui dirigent leurs activités pour augmenter les chances de le rencontrer, ce moment où l’on n’est pas encore mort, mais peut être plus tout à fait vivant. Est ce un souci morbide ? Je ne le pense pas : tôt ou tard, nous serons tous confrontés à cet instant suprême, celui du basculement irrémédiable de notre vie d’homme dans ce qu’on appelle la mort. Ce moment unique, mystérieux, je le tiens pour merveilleux : c’est l’expérience ultime de toute une vie, l’expérience que nous vivrons avec la plus grande maturité que nous puissions acquérir. Voilà bien celle que je désire réussir au mieux ! Je ne joue donc pas follement avec la mort : pour moi aussi elle doit venir le plus tard possible, car chaque année gagnée me permet de mûrir un peu plus et donc d’y être mieux préparé. (…) La mort est la compagne fidèle de ma grande amie, la vie. »

« La face ouest du Nevado Carnicero (5980m). La crevasse qui se trouve juste sous les corniches sommitales est celle qui, en s’ouvrant, a « avalé » les trois alpinistes, Andes de Huayhuash, Pérou, 1976. »

Si l’alpiniste à visage humain cherchera toujours son équilibre entre désirs d’ascensions (toujours « en quête de plus grand » !) et vie en société à assumer au mieux (d’une connaissance intime à une connaissance davantage reliée), ce livre palpitant, à sa façon, en est un témoignage sincère à inscrire dès que possible dans sa bibliothèque.

Rodolphe Popier

Acheter le livre : En quête de plus grand : Une vie de montagnes et d’explorations (Editions Névicata)

Laisser un commentaire

quatre × 4 =