Et les lauréats des 21ème Piolet d’Or sont …

Les 6 ascensions nominées !!!

C’est un jury présidé par le vénérable Stephen Venables et incluant le slovène Silvo Karo, l’autrichienne Gerlinde Kaltenbrunner et le « Giri Giri boy » Katsutaka « Jumbo » Yokoyama (déjà lauréat), qui en ont décidé ainsi, et ce à l’unanimité !

Pour cette année, le jury a voulu mettre l’accent sur le fait que les ascensions nominées étaient toutes représentatives des valeurs du Piolet d’Or, chacune à leur façon. Son président a rappelé aussi que l’objectif des Piolets d’Or était davantage de véhiculer l’esprit d’une démarche plutôt que d’estimer le résultat d’un sport quantifiable et rationalisable, pouvant se permettre ainsi d’outre passer les cadres classiquement établis de la compétition.

Un choix engagé qui, si il a créé quelques remous dans l’audience, a clairement ravi les lauréats mais ne devrait cependant pas faire jurisprudence : à chaque année son jury, sa subjectivité, sa liberté ! Chaque année décidément un peu plus, le Piolet d’Or offre davantage un champ (un chant !) d’expression unique à l’alpinisme « traditionnel ».

Les lauréats de l’année :

Kyashar (6,770m), Nepal

Les japonais Tatsuya Aoki, Yasuhiro Hanatani et Hiroyoshi Manome pour la première ascension des 2200m du pilier sud du Kyashar au Népal (région du Khumbu, Hinku Valley). Il s’agit là d’une voie très convoitée qui a été l’objectif d’au moins sept expéditions (dont les célèbres cordées Ramsden / Fowler, Bullock / Houseman…). Après une tentative infructueuse sur les versants sud-ouest puis sud-est, le trio a mis six jours pour grimper cette élégante ligne jusqu’au sommet, réussissant au passage la seconde ascension de la montagne. Au-delà de la section clé sur le fil de l’arête neigeuse (exposée car inconsistante) au cinquième jour, l’engagement a été total et les trois alpinistes sont ensuite redescendus par l’arête ouest, avec un bivouac supplémentaire.

Tour de Muztagh, 7284 m

Le trio russe constitué de Dmitry Golovchenko, Alexander Lange et Sergey Nilov pour l’ouverture de l’impressionnant éperon nord-est, souvent envisagé mais jamais tenté jusqu’ici (il ne s’agissait d’ailleurs là que de la cinquième ascension de ce sommet pourtant emblématique du Karakoram !).

Retardés par le mauvais temps, les grimpeurs ont passé 17 jours dans cette paroi de plus de 2000m de haut ! Les difficultés principales se situaient dans une longue progression en oblique très difficile entre 6700 et 6900 m (cotations annoncées à 6a/6b et A2), avec une paroi très raide et des placages de neige épais spectaculaires. Les trois alpinistes ont grimpé en style alpin mais avaient pris un grand sac de hissage avec de la nourriture et du fuel, une stratégie qui leur a permis d’attendre ou de progresser lentement pendant les périodes de mauvais temps.

Sortis par l’arête nord sous le sommet (atteint le 25 Aout) et ne pouvant pas en raison du mauvais temps rejoindre l’arête nord-ouest initialement envisagée pour la descente, le trio s’est alors rabattu sur le versant nord, délicat et dangereux, redescendu en 24 heures.

Kamet, 7756 m

Cocorico ! Après Vincent Sprungli en 1993 (pour l’ouverture avec Michel Piola d’une nouvelle voie aux tours du Paine), Lionnel Daudet et Seb Foissac en 2000 (pour l’ouverture d’une nouvelle voie en face sud-est du Burkett Needle en Alaska), le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) entre donc à son tour dans le club très fermé des tricolores « piolets d’orisés » ! Qui plus est en continuité avec sa propre histoire, le même GMHM ayant déjà réussi la première de l’arête sud-ouest sur la même montagne en 1985. Cette fois, le groupe a réalisé la première ascension de la très raide face ouest en pur style alpin, face qui n’avait connu aucune tentative auparavant.

De leur camp de base avancé vers 5800m, Sébastien Bohin, Didier Jourdain, Sébastien Moatti et Sébastien Ratel ont remonté la paroi en cinq jours via une succession de pentes de neige raides présentant des longueurs de glace souvent verticales, ce jusqu’à atteindre un bivouac sur l’arête sud à 7500m. La journée les menant au sommet a encore révélé des difficultés inattendues, avec une dernière longueur très raide. Les quatre alpinistes ont ensuite rejoint leur bivouac pour une nouvelle nuit (de trop!) avant d’entamer le lendemain, fatigués, la descente de la face sud, restée vierge jusque-là.

Baintha Brakk (a.k.a The Ogre, 7,285m), Pakistan

Les américains Kyle Dempster, Hayden Kennedy et Josh Wharton pour la 3ème ascension du mythique Ogre via son versant sud, resté vierge jusque-là. Le trio a choisi une ligne audacieuse suivant l’arête puis la face sud-est pour rejoindre la face sud (cette ligne avait déjà fait l’objet d’une tentative par une équipe composée d’Aymeric Clouet, Julien Dusserre et Jérome Para). Atteindre sa partie supérieure a nécessité une traversée très raide et précaire dans du rocher pourri à mi parcours (déjà « repérée » cependant par l’équipe de A. Clouet). Les alpinistes ont dû ensuite faire face à des sections de mixtes difficiles. Après un bivouac à 6900m, seuls Dempster et Kennedy ont réussi atteindre le sommet dans une ambiance exceptionnelle, la descente par le pilier sud (criblé de cordes fixes!!!) avec Wharton, malade, ayant ensuite été très délicate.

Shiva, 6142 m

Les vétérans britanniques Mick Fowler et Paul Ramsden pour la première ascension en style alpin de l’arête nord-est du Shiva Kishtwar ou « proue de Shiva » (il s’agit d’une montagne isolée de la Tarundi Valley, elle-même située dans la région de Pangi en Himachal Pradesh).

Le tandem, déjà lauréat du Piolet d’Or en 2003 (pour la 1ère ascension de la face nord du Siguniang) double la mise, après avoir réalisé une escalade très esthétique et soutenue (ED+) sur un excellent granite le long de placages et de minces coulées de glace, avec des passages parfois exposés, le tout sans emporter de « bolts ».

L’ascension complète a duré neuf jours au total (sommet le 11 Octobre), dont deux jours d’approche glaciaire complexe et deux jours de descente par l’arête sud et la face sud-est de la montagne, dont il ne s’agissait que de la cinquième ascension connue.

Nanga Parbat (8,125m), Western Himalaya, Pakistan

Les vétérans himalayistes britanniques Sandy Allan et Rick Allen pour la première ascension (quasi !) intégrale de l’arête Mazeno au Nanga Parbat (ou arête Ouest). Tentée à plusieurs reprises par certains des plus grands alpinistes (d’abord Doug Scott en 1995, puis Lorétan/Troillet…), l’entreprise restait sans aucun doute l’une des plus convoitées sur les très hauts sommets du Karakoram et de l’Himalaya. C’est indiscutablement l’une des arêtes les plus longues des sommets de 8000m, estimée entre 10 et 13km !

Accompagnés pour une grande partie de l’ascension par Cathy O’Dowd (Afrique du Sud), Lhakpa Rangdu Sherpa, Lhakpa Zarok Sherpa et Lhakpa Nuru Sherpa (Nepal), l’équipe a adopté une approche pragmatique adaptée à la taille de l’entreprise en s’acclimatant sur la première section de l’arête avant de partir en style alpin du camp de base. Après avoir traversé les huit sommets de l’arête Mazeno, à partir d’un bivouac à 7200m au Mazeno gap, l’équipe au complet a fait une tentative infructueuse sur l’arête vierge menant directement au sommet.

A ce stade, tous sauf Allan et Allen ont abandonné et entrepris une descente difficile via la voie Shell sur le versant Rupal (sud) du Nanga Parbat. Les deux Britanniques ont alors fini par traverser le flanc nord jusqu’au sommet et sont redescendus par la délicate voie normale versant Diamir (nord), atteignant le pied de la face au terme d’une traversée de 18 jours !

Un prix spécial a sinon été attribué à Hayden Kennedy, David Lama et Peter Ortner pour leurs ascensions successives au Cerro Torre l’hiver dernier. Le premier accompagné de Jason Kruk, après s’être aperçu que la voie qu’ils avaient attaqué sans trop y croire pouvait se parcourir quasi intégralement en libre, a trouvé naturel de déséquiper à la descente la plus grande partie des spits posés par Cesare Maestri lors de la « première » en 1959 ! Les seconds ont réalisé l’intégrale en libre de la voie peu après (difficulté jusqu’à 8a), David Lama ayant particulièrement mis l’accent sur son évolution personnelle de grimpeur « sportif » à celui d’alpiniste lors de cet épisode (suite à sa pose d’une centaine de spits sur la paroi pour les besoins d’un film, geste qui fit polémique, sous la pression, il les avait retiré par la suite).

Pour statuer quant aux vents de polémiques ayant entouré ces deux ascensions, Stephen Venables a tenu à appuyer fermement le geste des deux jeunes américains, qui a permis de rendre son respect à la montagne (selon les termes de Silvo Karo : « Maestri stool the mountain to the future » !), n’en déplaise ainsi à un courant qui considère comme patrimoniale la présence du matériel laissé en place par Maestri en 1959 (pour l’anecdote, Reinhold Messner était venu avec un hélicoptère pour retirer ledit compresseur de la montagne : il avait dû le remettre immédiatement en place pour cette même raison !)

Le 5ème Piolet d’Or Carrière était quant à lui attribué au légendaire Kurt Diemberger pour son exceptionnelle carrière d’amoureux de la montagne.

Après un documentaire relatant les évènements clés de sa carrière (notamment vainqueur des premières ascensions historiques du Broad Peak avec Herman Buhl en 1957 – première absolue d’une ascension himalayenne en style alpin ! et du Daulaghiri en 1960), l’autrichien a tenu à rappeler que c’est d’abord le gout de l’exploration qui l’a amené à l’alpinisme, essentiellement à travers la recherche des cristaux dans sa jeunesse, puis son gout du partage qui a transcendé cette même pratique ensuite, l’ayant amené à faire carrière comme cinéaste-conférencier de montagne. Arrivé en 1962 sur la bicyclette de son grand père à Courmayeur pour travailler comme guide de haute montagne, Kurt Diemberger, après avoir évoqué à plusieurs reprises l’arête intégrale de Peuterey qu’il aime à comparer à un assemblage de cristaux, a terminé en disant simplement qu’il se sentait chez lui au pied du Mont Blanc.

Rodolphe Popier

Laisser un commentaire

3 × cinq =