Rencontre avec Seb Montaz-Rosset, le réalisateur de « I believe I can fly », le documentaire sur la highline dont les images ont fait le tour du web ces derniers jours. Entretien réalisé par Benjamin Ribeyre lors des Recontres du Cinéma de Montagne cette semaine. Les images qui illustrent sont tirées du documentaire.
– Kairn : Boujour Sebastien, si tu peux te présenter, présenter un peu ton parcours ?
– Sébastien Montaz-Rosset : Bonjour, Sébastien Montaz-Rosset, j’ai 36 ans, j’ai grandi dans une station de ski qui s’appelle « Les Arcs ». J’ai toujours eu une grande passion pour le milieu de l’outdoor. J’ai passé le guide il y a 12 ans, ce qui m’a permit de bosser à plein temps pendant 11 ans. Et maintenant je vis de la réalisation de différentes choses comme la réalisation de films, de documentaires mais aussi de la publicité et des commandes commerciales. Et voilà c’est ce qui m’amène là ce soir.
– Kairn : Mais plus particulièrement, ton arrivée dans la réalisation de films s’est passée comment ?
– Sébastien Montaz-Rosset : Bah c’est très simple, j’ai toujours eu une grande passion pour l’image, que ce soit le dessin, la photographie ou autres. Pour moi c’est un besoin de créer des choses. Lorsque j’emmenais mes clients en montagne, je les filmais toujours. Je faisais un petit montage, je leur donnais. En fait j’adore le montage, surement autant que la prise de vue. Donc au fil du temps j’ai évolué au niveau du style et de la construction des récits. Et voilà maintenant on arrive là naturellement et j’espère que ça va continuer pour découvrir de nouvelles choses, de nouveaux horizons.
– Kairn : Nous avons regardé ton dernier film (I believe, I can fly) qui sera présenté ce soir et toute la rédaction de Kairn s’est posé la même question. Comment gères-tu la responsabilité éthique et technique de filmer quelqu’un faisant du solo en highline ?
– Sébastien Montaz-Rosset : D’un point de vue personnel au niveau du tournage quand je suis derrière la caméra je suis plus dans la vraie vie. C’est-à-dire que je ne ressens pas les émotions que les spectateurs peuvent ressentir. Moi ça ne me dérange absolument pas. Au niveau de l’éthique, c’est marrant parce que ces questions ont été posées une fois que le documentaire a été vu. Je ne me les suis jamais posé moi-même. Par exemple le solo de Bernhard il était tellement naturel. C’est-à-dire que ce mec là je l’avais jamais vu avant qu’il arrive, je le connaissais pas, et je ne l’ai pas revu après non plus. Il ne savait pas ce que je faisais et lui non plus. Quand il a traversé ce n’était sûrement pas pour figurer dans un film qu’il ne connaissait pas. Il avait une telle maîtrise de lui, un tel contrôle, que je savais qu’il ne faisait pas ça pour en imposer. D’ailleurs il y a un passage d’une interview que j’ai fait que j’aurai peut-être dû publier dans lequel il dit que s’il perd l’équilibre il sait qu’il rattrapera la ligne. Il sait, mais est-ce qu’il la rattrapera, ça j’en sais rien. Et pour lui c’est une maîtrise complète de soi. Le solo il a toujours existé depuis Paul Preuss il y a 100 ans, en passant par Lafaille et les frères Hubert, donc je ne vois pas pourquoi en Highline il serait tabou.
– Kairn : Après c’est la sensation que le public ressent en étant devant ton film qui est particulière. Le passage à la fin du solo de Bernhard lorsqu’il se met en équilibre sur les deux bras par exemple, c’est un moment où le spectateur est mal à l’aise.
– Sébastien Montaz-Rosset : D’abord le sentiment de peur j’ai voulu le provoquer, ce n’est pas vraiment que j’ai voulu le provoquer, c’est plutôt que j’ai voulu l’amplifier. Dans mes choix de tournage il y a beaucoup de mouvements de caméra qui accentuent le vertige, la peur, la vitesse… Notamment en allant chercher le bord de falaise grâce à des Stalicams ou avec des monopodes. Je pense que si les gens regardent ça, c’est qu’ils veulent avoir des sensations. La peur pour moi elle est constructrice, ce n’est pas morbide. J’avais envie de la magnifier, de magnifier cette performance. En fait ce que je veux c’est que lorsque les gens regardent ça ils soient accrochés au canapé ! Et apparemment j’ai des centaines de messages qui me prouvent que ça fonctionne. Les gens sont contents, ils ont eu des sensations, c’est très bien. Mais je ne pense pas pour autant que des mecs vont aller tendre des lignes pour faire du solo, les gens ne sont pas bêtes ! Mon film n’est pas là pour valoriser le solo, c’est une activité hyper anecdotique. Je sais que certains en font mais ce n’est pour ça que je vais les contacter pour aller les filmer.
–Kairn : Pour la petite anecdote le dernier film qui nous a fait ressentir une sensation similaire était « Under the pole », la scène où ils plongent entre des blocs de glaces qui craquent de façon très sinistre.
– Sébastien Montaz-Rosset : Oui je vois très bien, on est sur la sensation inverse, celle de la claustrophobie. Là il est 1000m au-dessus de l’eau ! En fait pourvu que je ne laisse pas indifférent le public, c’est ça l’idée.
– Kairn : Si Bernhard était tombé lorsque tu le filmais, quel impact cela aurait eu pour ton film, ta façon de filmer, de choisir tes sujets ?
– Sébastien Montaz-Rosset : Je n’aurai déjà pas mis les images, impossible ! Par contre aucun problèmes à continuer à filmer du solo ou du BASE Jump. Si je l’ai fait une fois c’est que je suis en accord avec moi-même. En fait cela dépend vraiment de la personne, si je ressens que le mec il est là pour se faire voir et faire le spectacle, je ne filmerai pas. Bernhard il avait une telle marge technique. Il faut savoir qu’il a traversé 6 fois la Highline qui était très difficile car très tendu. Pour les sauts de BASE Jump ils avaient besoin de quelque chose de tendu pour pouvoir impulser loin. Moi j’y suis allé et c’est sûrement une des highlines les plus dures que j’ai jamais faite, pourtant elle n’est pas très longue, une vingtaine de mètres. Mais j’ai pris des buts, des buts, des buts… Mais lorsqu’il est venu pour la première fois qu’il a traversé à vue en grosse chaussure 6 fois et qu’il a posé son baudrier. Je savais que le mec était en pleine maîtrise de soi. D’ailleurs il a fait un aller/retour, après un aller à 1000m au-dessus du sol tu pourrais être vidé, et bah lui a pris plaisir à faire le retour, il a fait ce qu’on appelle un Fullman. Un mec qui a peur, qui est pétrifié, il ne ferait pas ça. A la limite si c’est un casse-cou je préfère partir, parce que je ne veux pas qu’il le fasse parce que je suis là.
Kairn : Par rapport aux Bad Slackliners tu as d’autres projets ?
– Sébastien Montaz-Rosset : Ouais je pense que l’on va continuer, encore une fois ces images ont été beaucoup vues. Mais ce n’est pas l’important, il y a eu 2 millions de vues mais en faisant un saut du 1er étage de la tour Eiffel c’est facile de faire la même chose. Non ce qui est bon c’est qu’il y a eu des centaines de messages de gens qui sont bouleversés par ces images et finalement ça dépasse la communauté des amoureux de l’outdoor. Ca touche tout le monde car ils ont parlé de peur, de doute, d’euphorie, d’envie, et en fait c’est des sentiments qui rassemblent tout le monde. Donc oui j’aimerai bien continuer avec les bads.
– Kairn : Continuer sur même principe de la recherche d’innovations, de nouvelles pratiques et de mixtes d’activités ?
– Sébastien Montaz-Rosset : Oui, oui ! D’ailleurs ce soir on part dans le Verdon. (ndlr : Pendant la projection nous apprendrons qu’ils partent essayer un saut pendulaire installé par des Russes avec 180m de chute libre !)