« Lorsque deux guides encadrent un groupe, on note un excès de communication implicite »

Parce que les accidents en montagne sont trop nombreux et que chaque accident grave est un drame humain mais aussi social, le milieu Montagnard doit agir – pour « ouvrir la voie » à une réduction drastique de l’accidentologie en montagne. Un changement de culture et de paradigme est aujourd’hui nécessaire.

Les Assises de la Sécurité (du 22 au 24 novembre à Nice), est une initiative partagée avec les fédérations de pratiquants, la magistrature, les organismes de secours en montagne, l’administration publique, des chercheurs, des assureurs, … et de grands témoins.

Christian Morel, auteur des Décisions Absurdes, écrivain et sociologue, répond aux premières questions :

Comment avez-vous commencé à travailler avec les guides de haute montagne ?

En 2014, après la parution de mes deux premiers ouvrages sur les décisions absurdes, le SNGM m’a demandé d’aider les guides à concevoir une formation de recyclage à la sécurité. Ils m’ont présenté une douzaine de retours d’expérience, que j’ai étudiés, et l’analyse que j’en ai tirée a servi à élaborer la formation.

Qu’aviez-vous observé au cours de ces retours d’expérience ?

Nous avions mis en évidence qu’une partie des problèmes provenait des interactions entre les guides eux-mêmes : défauts de communication, de coopération… Par exemple, lorsque deux guides encadrent un groupe, on note un excès de communication implicite, un manque de verbalisation ou encore, un ascendant trop élevé du guide senior sur le junior.

Parfois aussi, du fait des relations amicales qui existent entre les deux guides, ils hésitent à se parler franchement, ont tendance à privilégier la bonne entente aux sujets qui fâchent. Ces facteurs humains sont des circonstances aggravantes du risque.

Les guides subissent aussi les effets pervers de ce que vous appelez la « destinationite » ?

Plus on approche de l’objectif, plus on veut l’atteindre, plus il devient prégnant ; on est aveuglé par ce but final au détriment de la vigilance et de la réflexion. Une erreur qui altère l’aptitude au renoncement. Surtout que la société exalte justement la capacité à ne pas renoncer !

Pour un guide, il est difficile de renoncer quand il est proche du sommet, avec la pression du groupe des clients qui ont payé pour l’ascension ou l’expédition.

Dans votre dernier ouvrage, vous écrivez avoir été frappé par la manière dont la profession gère les risques ?

Dans ce métier où les pertes humaines sont considérables et les risques inhérents à l’activité, il serait en effet tentant de s’entourer d’un bouclier de règles et procédures, en croyant que cela atténuera le risque d’accidents.

Mais les guides ont choisi d’emblée de concentrer leurs efforts sur les interactions entre eux, sur la formation. Dans le séminaire où nous avons examiné leurs retours d’expérience, ils ont privilégié en conclusion les principes de coopération de haute fiabilité : une plus grande collégialité, l’expertise de terrain et le retour d’expérience, le débat contradictoire où on apprend à ne pas négliger les avis minoritaires ou singuliers…

Vous dénoncez l’absurdité qui naît de l’excès de règles et de normes. Vous ne croyez pas à la nécessité de procédures ?

Je ne suis pas contre les règles par principe. Mais quand elles sont trop complexes ou trop nombreuses, elles deviennent contre-productives. Il faut être conscient qu’une règle ne sera efficace que si elle s’accompagne d’une explication, en formation initiale, en formation de recyclage, et surtout de la compétence adéquate.

Les guides travaillent dans un contexte naturel, très changeant où il faut accepter une grande part d’imprévu, et qui ne peut donc être totalement maitrisé par des règles préétablies. Il faut accorder la priorité aux compétences, aux relations humaines, à l’analyse des retours d’expérience, à la capacité à gérer des situations imprévues.

Sociologue de l’organisation, longtemps chargé des ressources humaines chez Renault, Christian Morel a consacré trois livres aux « décisions absurdes ». Dans des univers professionnels où les risques sont permanents – centrales nucléaires, cockpits d’avion, tables opératoires -, il a traqué les erreurs de décisions qui ont conduit à la catastrophe et dégagé des principes à suivre pour les éviter. Il a travaillé avec les guides de haute montagne, et sera durant les Assises de la Sécurité en montagne (du 22 au 24 novembre à Nice), l’un des grands témoins des cinq tables rondes.

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